Les réfugiés syriens constituent un problème majeur en Turquie depuis que la guerre civile a éclaté dans leur pays. Des dizaines de milliers de Syriens ont demandé l’asile en Turquie lorsque le régime de Bachar al-Assad a utilisé, en 2011, une force militaire disproportionnée pour réprimer les civils qui manifestaient. Avec l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, les autorités turques avaient déclaré que si leur nombre approchait les cent mille, le pays devrait revoir sa politique d’ouverture. Le nombre de demandeurs d’asile syriens dépasse désormais largement les cent mille. Leur nombre est aujourd’hui estimé à plus de quatre millions. Près de 3,5 millions d’entre eux bénéficient d’une «protection temporaire».
Au fil du temps, de nombreuses couches de la société turque ont commencé à se sentir mal à l’aise face au nombre croissant de Syriens. Le taux de criminalité parmi les Syriens n’est pas plus élevé que celui des citoyens turcs, mais lorsqu'un crime est commis par un étranger, il devient plus visible.
D’autre part, la présence de Syriens est bénéfique pour le secteur industriel turc, car ces derniers acceptent de travailler pour des salaires plus bas. Un ancien ministre de l’administration locale a déclaré que l’industrie turque se serait effondrée si les Syriens n’avaient pas été employés avec de bas salaires. En outre, parmi les demandeurs d’asile syriens, il y a des professionnels hautement qualifiés qui ont trouvé des emplois en tant qu’ingénieurs, médecins ou artistes de renom.
L’arrivée de plusieurs millions de Syriens a provoqué des changements démographiques majeurs dans de nombreuses villes. Dans certaines secteurs proches de la frontière, les Syriens sont désormais majoritaires. À titre d’exemple, dans la ville frontalière de Reyhanli, la population est composée de quatre-vingt-dix-huit mille Turcs et de cent vingt-neuf mille Syriens. À Kilis, les Syriens représentent 74 % de la population.
Le maire d’Antioche a déclaré que son successeur pourrait être un Syrien. Cette remarque est d’autant plus importante que Damas considère le statut international d’Antioche comme une question litigieuse. Il ne reconnaît pas l’adhésion d’Antioche à la Turquie en 1939. Sur les cartes imprimées en Syrie, Antioche est toujours indiquée comme une province syrienne.
Le taux de natalité au sein de la communauté syrienne est quatre fois plus élevé que dans les familles turques. Cela risque de bouleverser davantage l’équilibre démographique en faveur de la population syrienne dans les provinces proches de la frontière.
Un autre risque est l’existence de combattants de Jabhat al-Nusra ou de Hayat Tahrir al-Cham. Les autorités turques arrêtent ponctuellement ces terroristes, mais leur intégration dans la société turque constituera une tâche gigantesque, car nombre d’entre eux n’ont rien fait d’autre de leur vie que de tuer des gens.
On peut également présumer que le régime de M. Al-Assad a dû introduire en Turquie de nombreux membres du moukhabarat – le service de renseignement militaire syrien. Il s’agit peut-être toujours d’agents secrets en Turquie.
La question des réfugiés syriens devient un sujet toujours plus politique à l’approche des élections nationales de juin 2023. Tous les partis ont des politiques contradictoires à ce sujet. Des partis de droite, à titre d’exemple, déclarent avec insistance que les Syriens doivent immédiatement être renvoyés chez eux.
La politique turque concernant la Syrie a toujours été opaque. Durant des années, le gouvernement n’a pas informé le public de ses actions à l’égard ou en faveur des Syriens. Ainsi, il a perdu sa crédibilité aux yeux du public et il pourrait avoir du mal à la retrouver.
«La question des réfugiés syriens devient un sujet toujours plus politique à l’approche des élections nationales de juin 2023.» - Yasar Yakis
En 2019, le gouvernement annonçait qu’il avait dépensé quarante milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro) au profit des Syriens, mais les détails de ces dépenses n’ont jamais été rendus publics. Nourrir plus de quatre millions d’étrangers a dû coûter énormément d’argent au pays, mais d’un autre côté, de nombreux Syriens ont également contribué au marché du travail. Désormais, le gouvernement mentionne moins souvent ces sommes. Le coût exact des demandeurs d’asile syriens vers la Turquie n’est pas facile à calculer, car des millions d’entre eux font désormais partie de la scène économique du pays.
Jusqu’au mois dernier, le gouvernement turc était fermement opposé à l’idée de renvoyer les Syriens dans leur pays. Il a désormais changé d’avis. La première déclaration provient, comme d’habitude, du Parti républicain du peuple – un parti d’extrême droite, partenaire officieux de l’AKP au pouvoir. Son président, Devlet Bahceli, souligne que si les Syriens se rendent dans leur pays d’origine à l’occasion de l’Aïd al-Fitr, cela signifie qu’il n’y a aucun risque sécuritaire. Par conséquent, s’ils y vont pour l’Aïd, ils ne devraient pas être autorisés à retourner en Turquie après les vacances. Il semble que le gouvernement soit favorable à cette idée.
Toutefois, cela reste plus facile à énoncer qu’à concrétiser, étant donné que de nombreux Syriens ont créé des entreprises en Turquie ou acheté des biens immobiliers. Leur interdire de revenir en Turquie pourrait causer plusieurs problèmes. Limiter les mouvements des personnes ne devrait même pas être une option. J’espère que les partis politiques trouveront des moyens innovants pour surmonter ce problème.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com