Le Parlement européen a publié au cours de ce mois son rapport annuel sur la Turquie et son processus d’adhésion. Comme prévu, très peu de commentaires positifs ont été formulés à son sujet.
Oliver Varhelyi, le commissaire européen chargé de l’élargissement de l’Union européenne (UE), s’est rendu en Turquie au début du mois et s’est entretenu avec plusieurs autorités d’Ankara. Le ton général de sa déclaration ultérieure donne l’impression qu’il y a eu un changement radical dans l’attitude de l’UE envers la Turquie. Il a déclaré que, après les élections générales de mai de cette année, la Turquie se trouvait désormais à un tournant important et qu’il avait entendu des messages encourageants de la part du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ainsi que du nouveau gouvernement. Il a l’impression qu’Ankara œuvre à un nouveau départ dans ses relations avec l’Europe. Le Conseil européen n’a pas tardé à aborder le sujet et a demandé à la Commission européenne d’établir les paramètres d’un programme constructif avec la Turquie.
M. Varhelyi essayait de définir les domaines dans lesquels un programme constructif pourrait être développé. Il souligne que la Turquie est membre de l’union douanière de l’UE, que le pays est très important en matière de marché et d’investissement, qu’il est l’un des membres les plus puissants de l’Otan et qu’il a beaucoup en commun avec l’UE. Par ailleurs, au niveau de la géographie, il est très clair que l’UE et la Turquie dépendent l’une de l’autre. Il pense qu’une nouvelle approche de l’élargissement de l’UE a été adoptée depuis le début de la guerre en Ukraine. Énumérer les nombreux facteurs positifs en faveur des relations de la Turquie avec l’UE est un phénomène nouveau.
Telle était l’attitude de M. Varhelyi. Cependant, dans son discours annuel sur l’état de l’union le 13 septembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’a mentionné la Turquie que dans le contexte d’un nouvel ordre du jour pour la Méditerranée, ajoutant que l’UE continuerait à travailler sur différents aspects de ses relations avec Ankara.
Mais le rapport annuel de l’UE sur la Turquie critique le bilan du pays en matière de droits de l’homme, de droits et libertés fondamentaux, de démocratie et de liberté d’expression. En réalité, le taux de conformité de la Turquie avec l’acquis communautaire de l’UE est tombé à 7%. Il faudra des efforts gigantesques pour faire grimper ce chiffre à un niveau acceptable.
L’UE souligne, dans son rapport annuel, que le processus d’adhésion de la Turquie ne peut pas reprendre dans les circonstances actuelles. Il appelle l’UE à explorer «un cadre parallèle et réaliste» pour ses relations avec Ankara.
Lorsque tous ces faits sont rassemblés, on a l’impression que les idées de la Turquie et de l’UE sont floues en ce qui concerne le processus d’adhésion.
Alors qu’une atmosphère potentiellement favorable régnait, le président Erdogan a jeté un froid dans cet environnement relativement optimiste en affirmant que la Turquie pourrait se séparer de l’UE, si nécessaire. Il laisse entendre que le pays pourrait mettre fin à sa candidature d’adhésion.
Toutefois, rompre les liens avec l’UE ne serait pas une étape facile. Cela provoquerait un mouvement tectonique dans le contexte transatlantique et celui du Moyen-Orient.
«L’UE souligne que le processus d’adhésion de la Turquie ne pouvait pas reprendre dans les circonstances actuelles.»
Yasar Yakis
Il serait injuste de faire porter toute la responsabilité à l’UE. Ankara présente également plusieurs lacunes. Comme prévu, la Turquie a publié une déclaration sévère qui réfute presque toutes les remarques contenues dans le rapport de l’UE.
Cependant, le rapport contient également plusieurs éléments positifs. Les efforts de la Turquie pour mettre en place un accord sur les céréales de la mer Noire en sont un exemple. Son approche positive à l’égard des réfugiés syriens irréguliers et des demandeurs d’asile en est une autre.
D’autre part, comme on pouvait s’y attendre, l’UE n’a pas apprécié l’amélioration des liens économiques et politiques entre la Turquie et la Russie.
Chypre et la Grèce continuent d’adopter un point de vue unilatéral sur la question chypriote comme s’il s’agissait de l’attitude commune de l’UE. Une décision de principe adoptée lors du sommet de Lisbonne en 2007 stipule que lorsque les intérêts d’un État membre de l’UE entrent en conflit avec ceux d’un pays non membre, les autres membres de l’UE doivent se ranger de son côté. Cette décision lie les pays de l’UE, même si les intérêts de ce pays sont illogiques. En d’autres termes, la Turquie ne peut pas avoir raison dans une controverse où ses intérêts entrent en collision avec ceux de n’importe quel membre de l’UE.
Deux paragraphes du rapport résument de nombreux points de l’attitude de l’UE à l’égard de la Turquie. Au paragraphe 21, il est indiqué que, comme le démontre l’écart croissant entre la Turquie et l’UE, la Commission européenne tire la conclusion que le gouvernement turc n’a pas l’intention de combler cet écart. Un manque évident de volonté a été constaté ces dernières années au niveau de l’attitude de la Turquie dans les domaines de l’État de droit, des droits et libertés fondamentaux et de la protection de toutes les minorités ethniques et confessionnelles. La Turquie n’a montré aucun intérêt à respecter les critères de Copenhague ou à harmoniser ses politiques avec celles de l’UE.
Le paragraphe 38 utilise un langage plus audacieux: elle affirme que si la Turquie ne change pas de direction, «son processus d’adhésion à l’UE ne pourra pas reprendre».
En toile de fond, la France et l’Allemagne ont présenté la semaine dernière une proposition qui vise à relancer une vieille idée d’une Europe à quatre cercles concentriques. Le premier d’entre eux serait celui des pays «à intégration profonde», suivi d’un groupe de pays européens présents et futurs attachés aux objectifs politiques, aux principes et aux valeurs du bloc. Le troisième groupe serait composé de membres associés qui devraient respecter les principes et valeurs de l’UE en matière de démocratie et d’État de droit. Les autres pays européens resteraient en dehors de la «ligne rouge» et ne seraient pas tenus de participer à l’intégration. Le quatrième ensemble serait composé de pays que l’on appellerait la «Communauté politique européenne». La Turquie espère être incluse soit dans le troisième cercle avec le Royaume-Uni, soit dans le quatrième.
En termes de relations entre la Turquie et l’UE, nous en sommes à ce stade aujourd’hui.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com