La visite du président russe, Vladimir Poutine, en Turquie, est attendue depuis longtemps. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a effectué une visite de travail à Sotchi en septembre de l’année dernière. C’est désormais au tour de M. Poutine de se rendre en Turquie. Cependant, malgré plusieurs tentatives pour planifier un voyage, les deux présidents n’ont pas réussi à faire coïncider leurs agendas. Vladimir Poutine a déclaré le mois dernier qu’il était prêt à se rendre en Turquie pour rencontrer M. Erdogan, mais le calendrier de ce dernier était serré en raison des prochaines élections locales, qui auront lieu le 31 mars. M. Poutine n’a pas tari d’éloges à l’égard des efforts déployés par Recep Tayyip Erdogan pour contribuer à une solution au conflit à Gaza.
L’ordre du jour des entretiens Erdogan-Poutine sera chargé de questions bilatérales. La demande insistante de la Turquie de rouvrir le corridor céréalier de la mer Noire en fait partie. Après son invasion en février 2022, la Russie a bloqué les ports ukrainiens et empêché Kiev d'exporter ses céréales. En juillet de la même année, la Turquie et l’Organisation des nations unies (ONU) ont négocié un accord établissant des corridors sûrs à travers la mer Noire. L’accord a expiré en juillet 2023, lorsque Moscou a refusé d’accepter une prolongation.
La construction par la Russie d’une centrale nucléaire à Mersin, ville côtière méditerranéenne de Turquie, est un autre point important à l’ordre du jour des deux dirigeants. Il s’agit d’une centrale électrique appartenant à la Russie et située sur le territoire turc. Les travaux avancent plus ou moins selon le calendrier prévu. La phase de test a pris fin en avril de l’année dernière. Le prix que la Turquie paiera par kilowattheure est élevé, car il a été négocié alors que l’économie turque avait cruellement besoin d’électricité. Le combustible nucléaire, qui était l’un des composants les plus importants, a désormais été livré à la Turquie. La production d’électricité devrait commencer en octobre 2024.
Une deuxième centrale nucléaire devrait être construite dans la ville turque de Sinop, sur la mer Noire. Au départ, des entreprises japonaises et françaises étaient intéressées par le projet, mais les normes de sécurité ont dû être renforcées. Désormais, la société russe Rosatom s’intéresse également au projet. Si un accord est conclu, il s’agira d’une centrale à grande échelle dotée de quatre unités de production. Cela pourrait potentiellement être un autre projet de coopération entre la Turquie et la Russie.
À la suite de la guerre en Ukraine, la diversification des sources d’énergie est devenue une priorité pour la Turquie. Les militants pro-ukrainiens affirment qu’Ankara aide indirectement la Russie à contourner les sanctions en achetant son pétrole. Mais si la Turquie n’achetait pas ce pétrole, d’autres pays le feraient. En outre, la Turquie soutient l’Ukraine de bien d’autres manières.
Lorsque les pays occidentaux ont imposé un embargo pétrolier à la Russie à la suite de son invasion de l’Ukraine, la Turquie a sauté sur l’occasion pour acheter du pétrole russe à prix réduit. En outre, la Russie a accordé à la Turquie un délai de paiement pour certaines de ses importations énergétiques.
«Les sanctions économiques imposées à la Russie par la communauté euro-atlantique sont devenues un avantage important pour Ankara.»
Yasar Yakis
Un autre sujet important dans les relations turco-russes est la question de l’utilisation du détroit turc pour le transit des navires de la marine britannique. Le Royaume-Uni et la Norvège ont conclu un accord avec l’Ukraine pour aider Kiev à renforcer sa sécurité dans la mer Noire. Cet accord prévoit le transfert de deux chasseurs de mines britanniques à la marine ukrainienne – un accord annoncé pour la première fois avant le déclenchement de la guerre. Cependant, l’article 19 de la convention de Montreux autorise la Turquie à bloquer le passage des navires de guerre dans le détroit turc en cas de guerre ou de menace imminente de guerre. Par conséquent, Ankara se retrouve entre le marteau et l’enclume, la demande britannique la mettant dans une position difficile. Si la Turquie autorise le passage des navires à travers les détroits, cela contrariera la Russie. Si elle refuse, l’Ukraine sera déçue.
La convention de Montreux prévoit également que les navires appartenant à la marine d’un pays riverain de la mer Noire, qui se trouvent en dehors de la mer au moment où éclate le conflit, ont le droit de regagner le port. La Turquie doit décider si elle autorise le transit des chasseurs de mines. En effet, on ne sait pas s’ils doivent être considérés comme des navires appartenant déjà à la marine ukrainienne. Il existe une petite zone grise. La Turquie doit examiner cette question avec le plus grand soin.
La guerre à Gaza est un autre sujet important que M. Erdogan ne manquera pas d’aborder lors de ses entretiens avec Vladimir Poutine. La Turquie soulève fréquemment cette question sur la scène internationale, mais sans effet tangible. Des pays plus petits, comme le Qatar, jouent un rôle plus concret. La Russie n’est pas impliquée dans la guerre à Gaza, mais contrairement à de nombreux pays occidentaux, elle soutient les droits légitimes des Palestiniens.
Au début de la guerre en Ukraine, de nombreux observateurs pensaient qu’elle pourrait pousser la Turquie vers la communauté euro-atlantique et rompre les relations turco-russes. Au contraire, la dynamique du conflit a rapproché Ankara et Moscou et la Turquie a joué un rôle positif dans la médiation entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que dans la négociation de l’accord céréalier. L’espace aérien de la Turquie est devenu le principal corridor aérien permettant à la Russie de se rendre dans de nombreuses destinations internationales.
En outre, les sanctions économiques imposées à la Russie par la communauté euro-atlantique sont devenues un avantage important pour Ankara. La Turquie et la Russie continuent de bénéficier de cet avantage.
Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine semblent impatients de se rencontrer. Si cette rencontre n’a pas lieu avant les élections locales cruciales en Turquie, elle se tiendra certainement immédiatement après.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir.
X: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com