Un semblant de changement s’est produit il y a trois semaines dans l’attitude de l’Union européenne (UE) à l’égard de la Turquie. Josep Borrell, haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Oliver Verhelyi, commissaire européen chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage, ont présenté des déclarations détaillées sur l'état des relations entre l’UE et la Turquie.
Le premier signe de cette évolution positive est venu du Conseil européen les 29 et 30 juin, lorsqu'il a invité Borrell et la Commission européenne à soumettre un rapport sur les relations UE-Turquie, et sur la voie à suivre en matière de stratégie et d'avenir. Certains analystes y ont vu le signe d’une approche positive.
Le Conseil des Affaires générales de l’UE a alors signalé qu’il était prêt à un «engagement» avec la Turquie. La déclaration du Conseil a souligné le fait que la Turquie était candidate à l'adhésion à l'UE et un partenaire clé dans divers domaines — comme s'il s'agissait d'une nouvelle information, ces faits étant connus de tous, bien qu'aucun ne les ait proclamé haut et fort.
Le Moyen-Orient est en pleine tourmente. La guerre en Ukraine se trouve pratiquement dans une impasse. La Turquie et la Grèce ont fait des avancées positives l'une vers l'autre. À la lumière de ces développements, de nombreux observateurs en Turquie ont estimé que l’UE avait décidé d’élaborer un programme positif concernant ses relations. Par ailleurs, d’autres signes indiquaient que la communauté euro-atlantique faisait de nouvelles ouvertures vers la Turquie. L’atmosphère y était propice car ces pays avaient besoin du soutien d’autres pays en ces temps incertains.
L’UE a avancé l’idée qu’elle pourrait étudier avec la Turquie des domaines de coopération mutuellement profitables, mais a ajouté que tout engagement devait être progressif, proportionné et réversible. Le mot «réversible» dans ce contexte pourrait signifier que l’UE souhaite conserver la possibilité de revenir en arrière sur toute avancée si elle n’est pas satisfaite du résultat.
L’UE s’est révélée généreuse en promesses mais pas en actes. Le rapport de Borrell et Verhelyi devait être soumis au sommet européen. Cependant, une main invisible en a empêché la publication.
Sur le plan transatlantique, les enjeux liés aux relations avec la Turquie sont légèrement différents. À première vue, il semble que la question immédiate la plus importante en Europe pour les États-Unis soit l’adhésion de la Suède à l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), mais en réalité, une question plus urgente implique un accord entre le Congrès américain et le parlement turc. La Turquie veut résoudre les questions concernant son projet d'achat de 36 avions de combat F-16 et la modernisation de 80 appareils déjà en possession de l'armée de l'air turque, tandis que le Congrès veut en garder le contrôle.
Ces deux questions sont liées car les États-Unis souhaitent l’adhésion rapide de la Suède à l’Otan. Par ailleurs, la Turquie, tout en essayant de parvenir à un accord avec les autorités américaines sur l’achat des F-16, a informé Washington qu’une motion sur l’approbation ou non de l’adhésion de la Suède à l’Otan a été soumise au parlement turc pour examen.
Le Moyen-Orient est en pleine tourmente. La guerre en Ukraine se trouve pratiquement dans une impasse. La Turquie et la Grèce ont fait des avancées positives l'une vers l'autre.
Yasar Yakis
Les désaccords entre la Turquie et la Suède sont donc devenus une source de friction entre le Congrès américain et le parlement turc. Pour accélérer le processus, le président , Recep Tayyip Erdogan, a proposé que les motions soient soumises simultanément au Congrès et au parlement turc. Aucune des deux parties n’est prête à devenir le premier pays à couper le cordon.
Des deux pays, les États-Unis sont les plus susceptibles de traîner les pieds dans ce domaine. Il est peu probable que la Turquie s’oppose aux souhaits américains si la question de l’achat et de la modernisation des F-16 est résolue. L’adhésion de la Suède à l’Otan est donc devenue une question secondaire.
Outre la question de l’adhésion de la Suède à l’Otan, il existe une longue liste de désaccords entre Ankara et Washington qui doivent être abordés et résolus. Erdogan s'est empressé de discuter longuement des relations turco-américaines avec le président américain, Joe Biden. Une de ces discussions a eu lieu récemment, lorsque les deux dirigeants se sont entretenus pendant environ une heure au téléphone.
Les détails de la conversation téléphonique entre les deux parties ne concordent pas très exactement. Le texte publié par le bureau présidentiel turc souligne le fait que la crise humanitaire à Gaza doit être résolue immédiatement et que les États-Unis doivent retirer leur soutien inconditionnel aux actions d'Israël au cours de cette guerre, tout en mettant en garde sur le fait qu'une crise prolongée et qui s'intensifierait aurait de graves conséquences pour la région et pour le monde.
La Maison Blanche, de son côté, a souligné l’importance du renforcement de l’alliance de l’Otan et a réitéré le droit d’Israël à se défendre.
Biden et Erdogan devraient se revoir en personne lors du sommet annuel de l’Otan en juillet de l’année prochaine à Washington.
Un autre sujet sensible dans les relations entre Ankara et Washington concerne les récentes manœuvres militaires conjointes impliquant les forces américaines en Syrie et les Forces démocratiques syriennes, dont l'épine dorsale est constituée de membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que plusieurs pays, dont la Turquie, considèrent comme étant une organisation terroriste. Cette question est perçue par la Turquie comme une question plus importante que toute autre, et Erdogan en discutera probablement avec Biden lors du sommet de l’OTAN.
Par ailleurs, le président russe, Vladimir Poutine, a salué Erdogan lors de sa conférence de presse annuelle, affirmant qu’il jouait un rôle notable et prépondérant dans les efforts visant à résoudre la situation à Gaza.
Les problèmes de la Turquie ne seront pas résolus du jour au lendemain, et son rôle dans les efforts visant à mettre fin à la guerre à Gaza ne s'avérera peut-être pas crucial, mais le simple fait que son nom soit mentionné sur la scène internationale dans un contexte positif facilite la recherche d'une solution à certains des problèmes auxquels elle est confrontée.
• Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
X: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com