Les élections législatives françaises auront donné un verdict pour le moins surprenant et inédit. Le président élu il y a deux mois n’a tout simplement pas de majorité et il va devoir faire preuve d’une certaine souplesse.
Il est déjà arrivé qu’un président n’ait pas de majorité, qu’il soit de droite, comme Jacques Chirac, ou qu’il soit de gauche, comme François Mitterrand, mais les législatives avaient lieu en cours de mandat et surtout, l’opposition s’unissait et permettait de former un gouvernement de cohabitation.
Tout a été fait institutionnellement et culturellement pour que l’on soit dans l’affrontement plutôt que dans la négociation et le compromis.
Ce n’est pas ce que les Français ont décidé dimanche 19 juin. Le bloc de gauche est important avec cent quarante députés, mais insuffisant, ce qui prive son leader, Jean-Luc Mélenchon, du rêve d’être «élu Premier Ministre». De l’autre côté du bloc central que représente la majorité présidentielle, la droite parlementaire ne rassemble qu’une soixantaine de députés et encore plus loin à sa droite, on trouve plus de quatre-vingt-dix députés du Rassemblement national et de droite souverainiste.
En d’autres termes, il n’est possible pour aucun bloc de diriger seul. La majorité présidentielle ne disposant que d’une majorité relative, il lui reste deux options en l’état :
• En premier lieu, négocier un accord de coalition avec l’un des deux bords qui l’encadrent. A priori, la droite classique semble plus proche idéologiquement des idées de M. Macron, mais ses leaders semblent très réticents, car pendant cinq ans, Emmanuel Macron a débauché des élus de droite et il a continué au lendemain de sa réélection avec notamment Damien Abad, président du groupe parlementaire Les Républicains. Il paraît donc difficile pour un parti qui s’est fait piller d’accepter de servir de béquille pour aider celui qui est responsable pour partie de sa déchéance électorale.
• L’autre solution serait de créer des majorités « de projet », en cherchant des appuis – il en faut une quarantaine –, texte après texte. Après tout, la Cinquième République ne réclame qu’un seul véritable vote en faveur du gouvernement: le vote du budget. Tout le reste peut être négocié. Le Premier ministre n’est d’ailleurs même pas obligé de mettre en jeu sa responsabilité à l’issue de sa déclaration de politique générale.
Ces deux solutions nécessiteront quoi qu’il en soit un retour à une pratique qui est sortie des habitudes de la république française depuis les années 1950: le parlementarisme et la culture de la négociation entre partis.
C’est précisément ce qu’il pensait être un travers, que le général de Gaulle voulait éviter en esquissant les contours de la Cinquième République. Tout a été fait institutionnellement et culturellement pour que l’on soit dans l’affrontement plutôt que dans la négociation et le compromis. Les députés français ont été élevés dans cette culture, le personnel des Assemblées aussi, toute la classe politique française réfléchit ainsi, les médias également.
Cette culture du compromis est pourtant celle que l’on retrouve dans plusieurs pays européens, mais aussi au Parlement européen au sein duquel on est toujours surpris de voir des groupes de droite voter avec la gauche et inversement. Au passage, les députés européens français ont très rarement des carrières nationales par la suite tant il est difficile de passer d’un système basé sur la négociation et la recherche du compromis à un système basé sur l’opposition franche ou le soutien absolu à un camp.
Le résultat des urnes est, d’une certaine façon, un message inconscient du peuple qui demandait à être représenté dans toute sa diversité depuis longtemps.
Il va donc falloir, et c’est l’enjeu des semaines qui viennent, être capable de changer la culture institutionnelle du pays en un temps record, voire de changer la nature du régime. Il le faut, non pas pour faire fonctionner le pays, même si c’est important, mais aussi et surtout parce que les Français en ont décidé ainsi. Le résultat des urnes est, d’une certaine façon, un message inconscient du peuple qui demandait à être représenté dans toute sa diversité depuis longtemps. Il convient désormais aux institutions et à ceux qui les composent de se montrer à la hauteur de cette aspiration démocratique.
Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.