Législatives en France: Un premier tour et une… première !

Un homme vote lors des élections législatives françaises dans un bureau de vote à Ajaccio, sur l'île méditerranéenne française de Corse, le 12 juin 2022. (Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)
Un homme vote lors des élections législatives françaises dans un bureau de vote à Ajaccio, sur l'île méditerranéenne française de Corse, le 12 juin 2022. (Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)
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Publié le Jeudi 16 juin 2022

Législatives en France: Un premier tour et une… première !

Législatives en France: Un premier tour et une… première !
  • C’est la première fois qu’un parti présidentiel ne l’emporte pas dès le premier tour ! Du moins depuis le changement du calendrier électoral en 2002
  • Sur les plateaux des chaînes d’info en continu, la soirée fut mouvementée, et les noms d’oiseaux volèrent «en escadrille», pour emprunter l’image à un ancien président français

Oui, c’est la première fois qu’un parti présidentiel ne l’emporte pas dès le premier tour ! Du moins, depuis le changement du calendrier électoral, en 2002, qui repoussa la tenue des législatives après la présidentielle. Une idée de la gauche, qui allait avoir «des effets funestes», comme le notait l’ancien député et ministre Jean-Marie Le Guen:
«L’élection législative vécue comme une ratification de l’élection du président ne conduit pas seulement à une hystérisation du régime présidentiel, sans égal parmi les démocraties. Elle amène naturellement à la confrontation directe entre le monarque républicain et la rue, puisqu’il n’y a plus de médiation du Parlement» (1).
Ainsi, le mouvement LREM, rebaptisé «Renaissance», est «Le plus faible parti présidentiel de toute l’histoire de la Ve République»: avec moins de 26%, il n’y a pas de quoi pavoiser, en effet. D’où l’étonnement d’un journaliste: «Qui aurait imaginé cette configuration il y a quelques semaines. Au début de la campagne présidentielle marquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, le chef de l’État semblait intouchable et la gauche dans un coma désespéré (…) Mais par un de ces mini-séismes qu’ils aiment provoquer et faire subir à leur classe politique, les Français ont une nouvelle fois chahuté un paysage trop convenu» (2).

De la violence verbale, et pas de débats
Sur les plateaux des chaînes d’info en continu, la soirée fut mouvementée, et les noms d’oiseaux volèrent «en escadrille», pour emprunter l’image à un ancien président français (Jacques Chirac). Même la Première ministre n’y alla pas de main morte: «Jean-Luc Mélenchon prétend vouloir être le Premier ministre, c’est surtout le premier menteur!» Ce qui est reproché au raïs de l’opposition, c’est qu’il a osé remettre en doute les derniers chiffres, concoctés selon lui, longtemps après minuit, juste pour faire passer Ensemble (le parti présidentiel) en tête. Et de si peu qu’Emmanuel Bompard, le candidat Nupes largement en tête avec 56,3 % à Marseille, s’était fendu d’un tweet accusant carrément le ministre de l’Intérieur d’avoir omis d’intégrer les résultats de plusieurs candidats de gauche «sous la bannière Nupes»:

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À cette accusation, le ministère a répondu en justifiant ses calculs par les étiquettes (PS, Écolo, etc.) sous lesquelles se seraient présentés les candidats en question. Cela n’a pas empêché le journal Le Monde d’insister en expliquant que, dans ses calculs, «La Nupes arrive très légèrement en tête avec 26,10 % contre 25,81 % pour Ensemble, alors que le site du ministère de l'Intérieur donne Ensemble légèrement devant avec 25,75 % contre 25,66 % à la Nupes» (3). Rappelons que ce procédé fut dénoncé par le Conseil d’État: «Comptabiliser les partis politiques de cette coalition séparément peut porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux» (4).
En fait, la différence entre les deux partis se ramène à 21 372 voix (5 857 571 – 5 836 199). Mais que représentent ces 21 372 voix? À peine la population d’une ville comme Orly (21 595) ou La Celle-Saint-Cloud (21 257) (5). Mais qu’importe: pour avoir osé appeler les Français à l’élire Premier ministre, le raïs de la Nupes aura prêté le flanc à une volée de flèches empoisonnées.
Si, pour l’essayiste Sophie Coignard, Mélenchon était déjà «le génie de l’illusionnisme politique» (Le Point, 3 mai 2022), pour le philosophe Michel Onfray: «Mélenchon, c'est l'homme politique par excellence, c'est-à-dire ce qu'il y a de pire. Le génie de Mélenchon, c'est le génie de la bricole et de la magouille». Et le philosophe, dans Front populaire, «la revue de tous les souverainistes», de rétablir un équilibre inattendu, en ajoutant: «C'est la même chose que Macron; ils ont en commun la détestation de la France».
Toutes ces attaques semblent amuser le raïs de Nupes. Souvent fustigé pour ses «accointances» avec les dictatures sud-américaines, il lui arrive de s’en amuser: «Me voilà repeint en Chavez gaulois. Ça fait de moi un gallo-gauchiste, je suis content ! J’étais islamo-gauchiste jusqu’à une date récente (6).

Et revoilà l’étiquette satanique qui reprend du service: l’islamo-gauchisme, même là où on ne l’attendait pas! Tout comme son «pendant», l’antisémitisme, est inattendu dans les invectives qui continuent de fuser: après son élimination, l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a qualifié la candidate Nupes, Danièle Obono, d’«Indigéniste, proche du mouvement antisémite». Une violence, sans débats, oui...

Des ministres candidats, en difficulté
Pour Françoise Degois, journaliste (LCI et Sud-Radio), tout cela ne favorise pas la paix sociale: «Les raisonnables et les fous furieux, les progressistes et les populistes, les ouverts et les repliés, comme si les êtres humains qui composent une nation étaient classables uniquement dans l’une ou l’autre des catégories. S’il y a bien une perversion dans le discours et la doctrine d’Emmanuel Macron, c’est celle-là…» (7).
Parmi les candidats du parti présidentiel, il y avait quinze ministres. Si Emmanuelle Wargon, l’ancienne ministre du Logement, et Jean-Michel Blanquer, l’ancien ministre de l’Éducation, ont été éliminés, d’autres ministres se retrouvent en difficulté. Elisabeth Borne (34,32%), face à un jeune étudiant de 22 ans, candidat Nupes (24,53%) ; Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique, en grande difficulté (30,4%), face à Jérôme Guedj, candidat Nupes (40,4%). Sur CNews, la ministre a carrément accusé ses adversaires d’«une forme d’antisémitisme»! Rappelons, au passage, que son adversaire, Jérôme Guedj, est lui-même issu d’une famille juive, et qu’il fut à l’origine du prix Ilian Halimi (8), Stanislas Guérini, ministre de la Fonction publique (32,5%) sera face à la Nupes (38,7%); Damien Abad, ministre des Solidarités et des Personnes handicapées (34,1%), face à la candidate de la Nupes (22,8%); Clément Beaune (35,8%), le «Monsieur Europe», devancé par la candidate Nupes (40,3%); Brigitte Bourguignon, ministre de la Santé (32,10%), face au RN (30,33%); Olivier Dussopt, ministre du Travail (30,04%), face à la Nupes (23,58%); Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture, en ballotage favorable (31,97%) face au candidat de la Nupes, Reda Belkadi (24,31%).
On se souvient qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle le candidat Mélenchon, arrivé en troisième position, avait appelé clairement à ne pas donner une seule voix à Marine Le Pen. Aujourd’hui, entre les deux tours des législatives, les voix de l’actuelle majorité se contredisent… Xavier Lacovelli, sénateur LREM des Hauts-de-Seine (sur France Info): «Pas une voix pour le RN». Jean-Michel Blanquer: «Notre pays est menacé par deux radicalités… Pas une voix pour le RN, pas une voix pour LFI». Sur CNews, Jean-Marc Morandini, après avoir parlé de «cafouillage», a lâché: «Je ne comprends rien à ces consignes: pas une voix à RN, pas une voix aux deux radicalités».

La femme de chambre et le boulanger
Deux candidatures symboles d’un renouvellement

«Ce que j’ai peur, c’est que la Nupes arrive en tête au second tour.» Ainsi parlait Jordan Bardella, président par intérim du RN, mais non candidat. Passons sur la faute de français, fréquente chez les adolescents («ce que j’ai» au lieu de «ce dont j’ai»), pour retenir juste la «peur». Celle d’une victoire des ennemis de la République, islamo-gauchistes comme on sait. Et populistes. La preuve: la Nupes a eu l’idée saugrenue de présenter la candidature d’une femme de chambre!... Oui, une gouvernante d’hôtel, plus exactement, arrivée en tête (37,22%), devant une ancienne ministre des Sports, Roxana Maracineanu (23,77%)!

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Une ministre devancée par une femme de chambre, ça n’existe pas, ça n’existe pas? Eh bien, le pays de Molière, le moqueur des Femmes savantes, l’a fait! Son nom: Rachel Keke, 48 ans. Ivoirienne d’origine, elle avait défrayé la chronique après une grêve de vingt-deux mois des femmes de chambre d’un hôtel Ibis, à Paris, appartenant au célèbre groupe Accor (9) !
Une autre candidature, tout aussi singulière, celle d’un boulanger de Besançon: Stéphane Ravacley, 53 ans, médiatisé en janvier 2021 après une grêve de la faim de dix jours, réclamant la régularisation administrative de son apprenti, Laye Fodé Traoré. Le jeune Guinéen avait été privé de titre de séjour à sa majorité. Il fut finalement régularisé par la Préfecture de Haute-Saône .
Autant dire que les législatives 2022 marqueront, au moins pour cela, l’histoire de la démocratie française, tant décriée dans les pays anglo-saxons (10).  

(1) Jean-Marie Le Guen, Marianne, 20-10-2021.
(2) Guillaume Tabard, Le Figaro, 12 juin 2022. 
(3) https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html
(4) https://www.conseil-etat.fr/actualites/legislatives-la-nupes-doit-etre-comptabilisee-comme-une-nuance-politique-unique
(5) Pour l’anecdote, historique tout de même:c’est là que Mohamed V du Maroc signa les accords avec Antoine Pinay qui devaient aboutir à sa libération et à l’indépendance de son pays.
(6) https://www.huffingtonpost.fr/entry/jean-luc-melenchon-a-trouve-la-formule-pour-samuser-des-critiques-de-lrem_fr_6299af14e4b016c4eef7ded6
(7) http://noslendemains.fr/pourquoi-macron-2-sera-pire-que-macron-1-sauf-si/
(8) Du nom du jeune Français enlevé, séquestré, torturé à mort, en 2006, parce qu’il était juif. 
(9) On peut l’écouter ici:https://twitter.com/i/status/1536363898743541760
(10) https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/besancon-lapprentiboulanger-laye-fode-traore-a-ete-regularise_4259291.html

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.