Si le Fonds monétaire international prévoit une croissance de 4% pour les économies du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord cette année, il n’en demeure pas moins que, sur le plan géopolitique, le monde arabe est toujours en train de se frayer un chemin à travers une salve inédite de changements et de bouleversements mondiaux, aggravés par les lourdes conséquences des tensions croissantes et par une pandémie qui continue de sévir.
Ces pronostics en matière de croissance économique sont certainement les bienvenus, compte tenu du contexte difficile. Toutefois, plus la région restera affectées par des crises, qu'elles soient d'origine interne ou externe, plus il sera difficile de faire des prévisions crédibles sur la manière dont les pays arabes se comporteront dans un monde bouleversé par de nombreux facteurs tels que l'aggravation des effets du changement climatique, la hausse des prix des matières premières, les transitions énergétiques, les problèmes de chaîne d'approvisionnement, l'inflation record et les conflits, pour n'en citer que quelques-uns.
Naturellement, ces menaces communes émergentes viennent exacerber les crises propres à la région arabe, amplifiant les effets de la fragmentation régionale due aux faibles niveaux de coordination et de coopération entre les capitales arabes, même lorsqu'elles sont confrontées à la migration irrégulière et à des risques qui menacent de mettre en péril le triptyque « sécurité alimentaire, eau et énergie ».
Parallèlement, le taux élevé de chômage des jeunes ainsi que la faiblesse de la participation et de l’inclusion des principaux groupes démographiques dans les économies, les politiques et les sociétés arabes, viennent superposer une dynamique complexe aux multiples facettes des défis existants.
Si de sérieux efforts ne sont pas déployés pour résoudre simultanément un nombre croissant de problèmes – ce qui est presque impossible – l'avenir s'annonce sombre pour ce qui était censé être une décennie de transformations décisives vers des sociétés arabes résilientes, autosuffisantes et inclusives.
Déjà, le rétrécissement de l'espace fiscal et monétaire dans la plupart des économies arabes laisse présager des reprises inégales quasi-certaines dans un futur proche, le service de la dette supplantant une liste croissante de priorités urgentes, y compris la vaccination de masse.
L'un des principaux facteurs contribuant à la tiédeur des perspectives de reprise régionale est le fait que plusieurs pays arabes ont vacciné moins de 10 % de leur population contre la Covid-19. Cela entraînera probablement la résurgence du virus et, peut-être, sa mutation en de nouvelles souches plus virulentes.
Il est vrai qu'il ne sera ni facile ni rapide d'éradiquer l'hésitation à se faire vacciner et de rassembler des populations exaspérées par une pauvreté croissante, des opportunités qui s'amenuisent et des gouvernements de plus en plus déconnectés de la réalité. Cependant, l'essentiel est d’entamer et de maintenir un niveau de persistance plus ou moins égal à l'urgence du moment. La procrastination, méthode d'atténuation des crises privilégiée par les gouvernements arabes depuis des temps immémoriaux, n’est tout simplement plus possible.
En effet, le recours aux mêmes vieux manuels n'est pas seulement contre-intuitif, il va également faire dérailler les efforts en cours pour renforcer la résilience des sociétés arabes, assaillies de toutes parts par des menaces à leur développement et à leur intégration.
Toute stratégie crédible de renforcement de la résilience doit intégrer au moins cinq éléments : la préparation, en prévoyant la plupart des résultats à long et à court terme ; l'adaptabilité, en adoptant la polyvalence et la flexibilité ; la collaboration ; la responsabilité ; la confiance.
Il est clair que les perturbations ne vont pas disparaître. Au contraire, elles risquent de s'intensifier dans les années à venir. Alors que la région arabe commence à élaborer des stratégies nationales ou régionales pour faire face à ce qui sera probablement une sombre période de deux ou trois ans, une nouvelle façon de penser devrait parvenir aux couloirs du pouvoir et aux bureaux des décideurs dans les capitales de la région.
L'atténuation du changement climatique doit être la pierre angulaire de la planification politique à moyen et long terme dans les capitales arabes.
Hafed Al-Ghwell
Au-delà de la simple coordination d'une reprise robuste et inclusive, les interventions en cas de crise doivent de plus en plus être centrées sur le secteur privé, les femmes et les jeunes. Après tout, comme nous l’avons indiqué précédemment, les ratios record de la dette publique par rapport au produit intérieur brut, qui continuent d'augmenter, laissent très peu de place, sur le plan fiscal ou monétaire, aux interventions traditionnelles du haut vers le bas, dans lesquelles les gouvernements dépensent ou empruntent davantage pour résoudre les problèmes.
Il n’y a plus le choix, il faudrait à tout prix adopter des approches beaucoup plus inclusives afin de préserver les reprises post-crise, qui doivent impliquer des engagements proactifs avec le secteur privé et les organisations de la société civile afin de garantir les résultats souhaités.
En outre, en incluant les personnes traditionnellement marginalisées, il est possible de réaliser des progrès de taille dans la résolution de quelques-unes des crises les plus endémiques de la région arabe, notamment le chômage et la participation des femmes.
Cette dernière question est devenue plus pertinente aujourd’hui et des discussions se tiennent à haut niveau autour de la manière dont la région peut libérer un potentiel inexploité considérable grâce à l'autonomisation des femmes au travail et en politique.
La plupart des pays arabes ne disposent pas de stratégies nationales cohérentes pour pallier les inégalités entre les sexes et doter tous leurs citoyens, en particulier les jeunes, des compétences nécessaires pour entrer sur des marchés du travail hautement compétitifs qui s'étendent sur toute la planète et ne sont plus à l'abri des influences extérieures.
On estime qu'il faudra plus de 140 ans aux pays arabes pour éradiquer les obstacles sociaux, culturels, politiques et même économiques, à une intégration équitable des femmes.
En d'autres termes, cela signifie qu'une grande partie de la croissance positive de ces dernières années ne représente que la moitié de ce dont la région est capable, étant donné que près de la moitié de ses 560 millions d'habitants ne sont toujours pas en mesure de participer pleinement à l’activité économique. Cela bloque un énorme potentiel qu'il faudra plus d'un siècle pour libérer. Il est insensé de continuer à retarder les efforts visant à supprimer les obstacles à cette clé de la croissance explosive, du développement, de la sophistication et de la résilience.
Plus encore, les transformations en cours, ou même les simples interventions en cas de crise, doivent intégrer des considérations liées au changement climatique, étant donné que la région se réchauffe deux fois plus vite que le reste du globe, malgré une empreinte d'émissions relativement faible d'environ 8 %.
Les citoyens sont de plus en plus souvent témoins ou victimes des effets destructeurs du réchauffement de la planète, quel que soit leur lieu de résidence.
Les zones intérieures sont de plus en plus privées d'eau, tandis que les zones côtières doivent faire face à la menace croissante des inondations. Les possibilités économiques s'amenuisant dans les zones rurales, les citoyens sont attirés par les zones urbaines surpeuplées, ce qui crée de nouveaux défis ou exacerbe les anciens.
L'atténuation du changement climatique doit donc être la pierre angulaire de la planification politique à moyen et long terme dans les capitales arabes, non seulement en raison des risques clairement visibles, mais également pour exploiter le potentiel de la région en tant qu'exportateur d'énergies renouvelables telles que l'énergie solaire ou éolienne et l'hydrogène.
Enfin, la région arabe ne pourra jamais exploiter son plein potentiel dans le contexte géopolitique actuel dont l’instabilité est un obstacle à la coordination, à la coopération, au dialogue constructif et à la promotion de l'interdépendance stratégique géo-régionale.
Au moins quatre pays sont entravés par l'instabilité, tandis que quelques autres sont toujours incapables de se débarrasser des retombées des bouleversements politiques de 2011 et se trouvent maintenant dans un perpétuel entre-deux, coincés entre le désintérêt pour une démocratisation complète et une opposition intense à un retour à l'autocratie.
Pendant ce temps, les priorités intérieures des nations plus riches réduisent leurs capacités à accorder un soutien monétaire et d'autres formes de soutien aux nations arabes qui fournissent sans aucune forme de reconnaissance le service public mondial d'accueil des réfugiés.
Plus de nombreux pays de la région MENA demeureront aux prises des crises intérieures qui laissent peu de place aux préoccupations concernant leurs voisins, même pour les crises qui peuvent facilement déborder des frontières, moins il est probable que l’appétence pour une coopération et une intégration plus étroites augmente.
Hafed Al-Ghwell est chercheur principal non résident au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies. Il est également conseiller principal au sein du cabinet de conseil économique international Maxwell Stamp et de la société de conseil en risques géopolitiques Oxford Analytica, membre du groupe Strategic Advisory Solutions International à Washington DC et ancien conseiller du conseil d'administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.