La coalition au pouvoir en Israël est en situation de crise permanente

Ghaida Rinawie Zoabi, députée du parti gauhe Meretz, assiste à une séance au parlement israélien, à Jérusalem, le 3 novembre 2021 (Photo, AFP).
Ghaida Rinawie Zoabi, députée du parti gauhe Meretz, assiste à une séance au parlement israélien, à Jérusalem, le 3 novembre 2021 (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 04 juin 2022

La coalition au pouvoir en Israël est en situation de crise permanente

La coalition au pouvoir en Israël est en situation de crise permanente
  • Plutôt qu’un gouvernement de changement, l’actuel éxecutif israélien est une administration hybride avec trop de membres qui ne connaissent ni sa composition, ni ses objectifs
  • La coalition de Naftali Benett est maintenue par la peur de Netanyahou et d'une nouvelle élection aux nouveaux résultats déroutants

Pour un pays avec un programme politique chargé et épuisant, un gouvernement stable et opérationnel est indispensable. Cependant, Israël passe d'une crise politique à une autre avec un gouvernement qui s'accroche de justesse au pouvoir, alors que ses ambitions nationales et internationales exigent exactement le contraire: la stabilité et la définition d'un véritable objectif.

Bon nombre de ces crises découlent d'une alliance gouvernementale bancale qui est constamment sous le feu de ses adversaires, qui cherchent à lui mettre des bâtons dans la roue, à la miner et à la déstabiliser. Dans le dernier episode de cette coalition à suspense, c'est la députée Ghaida Rinawie Zoabi, du parti de gauche Meretz, qui a fait sa valise et, pendant un court instant – un week-end entier pour être précis – a quitté la coalition du gouvernement de Naftali Benett. Finalement, elles est revenue au bercail, permettant au gouvernement d’obtenir le soutien de la moitié exacte de la Knesset (60 sièges sur 120), et ainsi de vivre encore un jour de plus… ou peut-être une semaine ou un mois.

Lorsque ce prétendu «gouvernement de changement» a été formé, personne ne s'attendait à ce qu'il navigue jusqu'à la fin de son mandat sans affronter une mer agitée, mais ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une mascarade. Je m'empresse de dire que les responsables ne sont pas seulement ceux qui dirigent cette alliance impossible, mais plutôt des jeunes politiciens et conseillers qui font passer leur ego avant l’intérêt de leur pays. N'ayant pas la capacité de comprendre les opportunités offertes par une vaste coalition, ils manquent également d'endurance face à l'adversité, ou ont tout simplement trop peur de ce qu'ils perçoivent comme leur électorat naturel.

Par conséquent, ils ont tendance à accomplir le geste de dernier recours peu convaincant de quitter la coalition, ou du moins de menacer de le faire, dans l'espoir que leur acte sera  récompensé par les urnes. Ce qu’ils ne saisissent pas, en adoptant cette attitude irritable, c'est que dès le départ, personne ne rêvait du gouvernement Bennett, mais qu’il a été contraint d’exister, de par l'indécision de l'électorat lors de quatre élections nationales en l'espace de deux ans, mais aussi en raison de la nocivité de l'ancien Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et de son proche entourage à la vision limitée.

Cette situation a conduit à un gouvernement de coalition avec une asymétrie marquée entre la droite et la gauche, dans laquelle cette dernière a moins de pouvoir pour influencer le rendement du gouvernement: elle a en effet moins de possibilités de former un gouvernement correspondant ses ambitions. Alors que pour les députés de droite, c'est le refus de Netanyahou de quitter la scène politique qui les empêche de se joindre à un gouvernement de droite à part entière avec le Likoud et les ultra-orthodoxes.

Plutôt qu’un gouvernement de changement, l’actuel éxecutif est une administration hybride avec trop de membres qui ne connaissent pas ni sa composition, ni ses objectifs. Dès sa constitution, elle était en mesure d'être soit une alliance dont la somme est supérieure à ses parties, soit une alliance dont les parties se chamaillent sans cesse entre elles en se contrebalançant, conduisant à la paralysie et au chaos. C’est ce dernier scenario qui prévaut.

Pour commencer, le seul ciment pratique et idéologique qui a réuni cette improbable coalition de huit partis était le désir de mettre fin aux douze années de mandat de Netanyahou et, ce faisant, de résorber les divisions qu'il a semées entre tous les segments de la société israélienne. Cependant, Netanyahou maintient toujours, comme chef du plus grand parti de la Knesset et de l'opposition, et par sa nature sans scrupules et manipulatrice sans limites, une énorme influence sur la politique israélienne, qui jette son ombre sur le gouvernement actuel et la société en général.

L'une des entraves majeures qui nuisent à ce gouvernement est qu'il existe peu de confiance entre ses différentes composantes. Il possède également une structure inhabituelle, étant dirigé par un Premier ministre, Naftali Bennett, et un Premier ministre «suppléant» (et ministre des Affaires étrangères), Yaïr Lapid. Les deux hommes ont des idéologies très différentes. De plus, il s'appuie pour sa survie sur quelques députés qui se distinguent principalement par leurs ambitions politiques et pas grand-chose de plus, promouvant des politiques vides de tout sens pour un pays saturé de problèmes aigus.

Bien que la coalition soit censée être soutenue par 60 des 120 membres de la Knesset, plusieurs d’entre eux ne se sont pas engagés à la soutenir à chaque vote, tandis que d'autres menacent constamment de partir si leurs revendications ne sont pas satisfaites, flirtant régulièrement avec les bancs de l'opposition.

Le gouvernement israélien actuel sera sans aucun doute une source de grand intérêt pour les politologues dans les années à venir, surtout s'il survit assez longtemps pour laisser une sorte d'héritage, même si ce n'est que celui d'empêcher Netanyahou de jamais retourner au pouvoir. Cependant, Israël peut difficilement se permettre d'être gouverné par de telles composantes, surtout si elles échouaient complètement. La complexité des problèmes auxquels le pays est confronté nécessite un leadership et une gouvernance stables et opérationnels avec une direction claire.

Nous assistons actuellement à une augmentation prononcée du niveau de violence entre Israël et les Palestiniens, chaque jour apportant avec lui un autre élément déclencheur d'escalade. En l'absence de tout processus de paix notable – on n’en voit pas à l'horizon – la prochaine poudrière ne semble malheureusement jamais très loin. De plus, le président américain, Joe Biden, devrait se rendre en Israël et en Palestine en juin. Pourtant, toute préparation pour discuter d’une série de questions d'intérêt commun – comme la relance de l'accord nucléaire et d'autres problèmes posés par l'Iran, la position d'Israël sur la guerre en Ukraine, ou encore la stabilisation des relations avec les Palestiniens – ne peut être pleinement examinée avec un gouvernement israélien en constante ébullition existentielle.

Cette coalition est maintenue par la peur: de Netanyahou et d'une nouvelle élection aux nouveaux résultats déroutants. Pourtant, plus que jamais, Israël a besoin d'un gouvernement capable de représenter un large éventail d'opinions et d'intérêts, à même de penser stratégiquement et à long terme ses affaires intérieures et extérieures. L'actuel «gouvernement du changement» démontre quotidiennement qu'il ne peut survivre tant qu'il privilégie le même style ancien plutôt que le contenu, et qu'il n'offre pas de nouvelles politiques susceptibles de provoquer les changements nécessaires.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg