Les Libanais se rendront aux urnes dimanche prochain pour élire un nouveau Parlement. Le sort du pays dépend de ces élections. Bien qu’il soit peu probable que nous assistions à un déracinement des dirigeants politiques corrompus actuellement au pouvoir, le vote décidera du contrôle du Hezbollah sur le pays.
L’ambiance générale est différente de la période qui a suivi l’accord de Doha, en 2008, lorsque la tendance était au compromis. Aujourd’hui, les gens n’ont qu’une seule hâte: faire face au Hezbollah. Après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri en 2005, le camp pro-Hariri, anti-Syrie et anti-Hezbollah a remporté la majorité. Le chef de ce groupe, Saad Hariri – le fils de Rafic –, a fait des compromis et il a réintégré Nabih Berri, chef du mouvement Amal et proche allié du Hezbollah, à la tête du Parlement. Il a essentiellement donné à cette organisation le contrôle du Parlement, bien que le parti n’ait pas la majorité. Ce ne sera plus le cas aujourd'hui.
S’il y a un changement au niveau de la majorité, ce sera le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui la dirigera. Son attitude est plus radicale que celle de Saad Hariri vis-à-vis du Hezbollah et, par ailleurs, le comportement régional a également changé: les pays du Golfe sont catégoriquement opposés au groupe.
Les élections sont cruciales pour le Hezbollah. S’il perd sa majorité, ses armes – qui font partie des principaux outils régionaux de l’Iran – seront en danger. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a déclaré cette semaine dans un discours que le groupe, quoi qu’il arrive, ne renoncera pas à ses armes. Malgré ce signe de confiance apparent, le Hezbollah se trouve dans une situation précaire. Son allié chrétien, le Courant patriotique libre, perd de sa popularité. Le chrétien moyen est consterné par ce qu’il considère comme la soumission complète de Michel Aoun et de Gebran Bassil au Hezbollah.
Les Forces libanaises tirent profit de ce changement. Samir Geagea est perçu par les chrétiens comme le leader qui résiste fermement aux projets du Hezbollah visant à saper la souveraineté du pays. Un changement au niveau de la majorité chrétienne est important dans la mesure où il supprimerait la couverture du groupe pour le Hezbollah. Ce dernier ne pourrait plus se présenter comme un mouvement «national» soutenu par la majorité des chrétiens, ce qui remettrait en question sa légitimité.
Ce qui serait encore plus désastreux pour le Hezbollah, c’est qu’il perde sa majorité. Il suffit de peu pour inverser cette tendance. Actuellement, il suffirait que l’opposition s’empare de sept sièges, puisque la différence entre l’alliance pro-Hezbollah et ses rivaux n’est que de douze députés.
Bien qu’il puisse y avoir quelques exceptions, le Hezbollah et le mouvement Amal ont une grande emprise sur la communauté chiite. Il est peu probable que le chiite moyen vote pour une nouvelle représentation. Le Hezbollah pourrait compenser la perte du vote chrétien si les sunnites s’abstiennent de voter ou si leur vote est dilué. Si les sunnites ne votent pas, comme dans Beyrouth II, fief de la communauté sunnite, la liste du Hezbollah obtiendra plus de sièges. Il s’agit d’un calcul mathématique simple: si les sunnites s’abstiennent de voter, alors le nombre total de voix diminuera et la liste pro-Hezbollah disposera de davantage de sièges.
Cependant, Saad Hariri, qui a quitté la politique, du moins pour le moment, a encouragé les gens à ne pas voter. Son argument est le suivant: le vote donnera une légitimité au Hezbollah. Bien qu’il n’ait pas publié de déclaration officielle appelant au boycott, ses associés diffusent le message. Son adjointe, Rola al-Tabash, a écrit sur Twitter: «Tarik al-Jadida [un quartier de Beyrouth] boycotte les élections.»
Saad Hariri cherche à jouer un rôle, même négatif. Selon sa logique, si le Hezbollah gagnait, il pourrait alors retourner vers ses anciens alliés et les convaincre qu’il est le seul et unique chef sunnite. Mais la question n’est pas si simple et les gens ne sont pas si naïfs. Les sunnites sont généralement favorables au vote – celui des expatriés a confirmé cette tendance. L’ambassadeur saoudien a récemment intensifié ses activités au Liban en vue d’encourager les gens à voter, tandis que le mufti sunnite a prononcé un discours dans lequel il a souligné l’importance de voter pour mettre en place les changements que le pays mérite. Lors des sermons prononcés vendredi avant les élections, les imams encourageront les gens à voter.
Si le président de la république, le Premier ministre et le président de la Chambre des députés n’étaient pas du côté du Hezbollah, ce serait désastreux pour l’avenir du groupe.
Dr Dania Koleilat Khatib
Saad Hariri a été critiqué en raison de son comportement égoïste et s’est vu accusé d’adopter l’attitude du «moi ou personne». Mais il joue avec le feu, car une forte participation des électeurs sunnites dimanche soulignerait son insignifiance.
Le fait que les sunnites soient sans chef et démoralisés est un élément extrêmement important pour le Hezbollah: cela pourrait lui garantir la majorité, lui donnant ainsi une légitimité renouvelée aux yeux de la communauté internationale, et cela accorderait plus de poids à l’Iran, qui en a désespérément besoin au moment où les négociations sur l’accord nucléaire sont au point mort.
Une nouvelle majorité anti-Hezbollah signifierait un nouveau président anti-Hezbollah, un nouveau Premier ministre anti-Hezbollah et, peut-être, contrairement à la tendance observée depuis trente ans, quelqu’un d’autre que Nabih Berri à la tête de la Chambre des députés – qui serait, lui aussi, anti-Hezbollah. Si le siège chiite de Jbeil, une région chrétienne, est remporté par les Forces libanaises, il pourrait y avoir un député chiite anti-Hezbollah susceptible d’être le président du Parlement. Si le président de la république, le Premier ministre et le président de la Chambre des députés n’étaient pas du côté du Hezbollah, ce serait désastreux pour l’avenir du groupe. C’est pour cette raison que dimanche prochain est un jour crucial pour l’avenir du Liban.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com