Zemmour suite et fin… enfin

Eric Zemmour s'adresse à ses partisans à Paris le 10 avril 2022, après l'annonce des résultats lors de la fermeture des bureaux de vote au premier tour de l'élection présidentielle française. Bertrand Guay / AFP
Eric Zemmour s'adresse à ses partisans à Paris le 10 avril 2022, après l'annonce des résultats lors de la fermeture des bureaux de vote au premier tour de l'élection présidentielle française. Bertrand Guay / AFP
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Publié le Mercredi 04 mai 2022

Zemmour suite et fin… enfin

Zemmour suite et fin… enfin
  • La campagne de l’ancien journaliste polémiste a été la plus virulente, la plus raciste, xénophobe, islamophobe que l’indivisible République de la fraternité ait jamais connue
  • Voilà… Éric Zemmour et ses rêves à l’Élysée, la fable est terminée

Tout ça pour ça! Il n’a finalement recueilli que 7% des votes au premier tour. Et son visage arrogant a fini par s’incliner vers le sol. L’olivier, son patronyme algérien berbère le préfigurait pourtant, avait des racines peu profondes. Un coup de scirocco, ici l’invasion de l’Ukraine par son héros Poutine, a suffi à le déraciner. Voilà… Éric Zemmour et ses rêves à l’Élysée, la fable est terminée.

Récemment, le RN de Le Pen lui a fermé les portes d’une alliance avec son parti, Reconquête, pour les élections législatives de juin. Lui-même se dit «très tenté» par ces législatives, cependant une seconde défaite personnelle l’anéantirait. Plusieurs de ses lieutenants ont déjà plié bagage et quitté le navire, le Zodiac oserai-je même écrire. L’un d’eux, écœuré, déboussolé, a annoncé qu’il quittait la vie politique.

Même Marion Maréchal le Pen, qui avait trahi sa tante pour Zemmour, n’ira pas aux législatives. Elle était une figure emblématique du nouveau parti, blonde aux yeux bleus, qui allait débarrasser la France des musulmans qui préparaient, selon eux, dans l’ombre des mosquées, le fameux «grand remplacement». Cet échec cuisant contrecarre sa carrière politique et les projets de son école de formation à Lyon destinée à la fécondation des thèses de l’extrême-droite.

Quant à l’inénarrable allié de la première heure de Zemmour, Phillipe de Villiers, il est retourné en Vendée pour prendre du recul, a-t-il annoncé. Il en aura bien besoin, car beaucoup des électeurs de Reconquête vont retourner au bercail chez Marine le Pen et son lieutenant Jordan Bardella, qui, mine de rien, bien que battus, ont savouré les 42% de voix réalisés au second tour contre Macron. Un score historique! Finalement, les Français avaient encore leur mot à dire… et ils l’ont dit, malgré la menace. Majoritairement, ils ne voulaient ni de Zemmour ni de Le Pen aux commandes de la France.

Cependant, la campagne de l’ancien journaliste polémiste a été la plus virulente, la plus raciste, xénophobe, islamophobe que l’indivisible République de la fraternité ait jamais connue. À tel point que, passé la campagne, on se demande comment un pays comme la France, réputé mondialement pour son engagement humaniste et humanitaire, a pu laisser se répandre impunément ce déluge de nausée verbale.

N’y-a-t-il pas un moyen, législatif, à l’occasion d’élections nationales, d’ériger contre ce déluge des digues, des garde-fous susceptibles de réserver l’exercice du jeu démocratique à des candidats au casier judiciaire vierge sur le plan du racisme, du sexisme, de l’homophobie, etc.

Nombre de dirigeants dans le monde ont dû s’inquiéter du score réalisé par l’extrême-droite qui talonne le président élu Macron. Ils connaissent bien sûr le nom de ce dernier, mais maintenant ils ont aussi enregistré celui de Marine le Pen et ce n’est pas glorieux.

Azouz Begag

Car le racisme, je ne cesserai jamais de le répéter, est un poison mortel. La haine islamophobe déversée par ce candidat durant la longue campagne a été telle la lave d’un volcan en éruption. Elle durcit, ne s’éradique jamais et blesse durablement. Elle affecte le moral de millions de musulmans de France, de toutes les générations, dans leur diversité, celui des citoyens français soucieux de vivre ensemble, et elle ternit la France, son prestige international, au demeurant.

En effet, nombre de dirigeants dans le monde ont dû s’inquiéter du score réalisé par l’extrême-droite qui talonne le président élu Macron. Ils connaissent bien sûr le nom de ce dernier, mais maintenant ils ont aussi enregistré celui de Marine le Pen et ce n’est pas glorieux. Ils doivent se gausser du fait que, décidemment, les Français se croient en enfer alors qu’ils vivent dans un paradis… Quant aux optimistes républicains qui, jamais, n’ont pensé que Marine le Pen serait élue présidente, ils se demandent comment le polémiste Éric Zemmour a pu penser, lui, mordicus, qu’il le serait. L’a-t-il vraiment cru au fond de lui? Cette perspective était si insensée au vu de la grande histoire de France. Comment est née sa certitude?

En fait, ce qui est effrayant dans l’ascension de cet homme, c’est surtout la dynamique infernale des réseaux sociaux et de la télévision. À un moment donné, ces outils peuvent renverser une tendance de manière invraisemblable avec une jauge redoutable: les sondages. Ils annonçaient ainsi Éric Zemmour à 18%, devant Marine le Pen. À un millimètre de Macron. Aux portes de l’Élysée. Ils y croyaient, les adhérents de Reconquête qui affluaient au siège pour prendre leur carte et payer leur cotisation. Leur enthousiasme était une irruption. Les donateurs avaient le sourire.

Les plateaux de télévision se gavaient chaque jour du buzz d’Éric Zemmour devenu un buzz phénomène, dans une campagne ronronnant, marquée, disait-on, par la lassitude démocratique. Zemmour allait bouleverser l’ennui français, mettre huile et harissa dans les débats, quitte à choquer l’opinion.

Au meeting du Trocadéro, sous le soleil radieux, Reconquête annonçait l’arrivée du Messie. L’événement devint l’avènement. Z allait naturellement réunir les droites et prendre l’Élysée, rendre la France aux Français. Ils y croyaient tant que, lors de l’annonce des résultats, 7%, beaucoup ont pleuré dans le QG de Reconquête, dont Phillipe de Villiers. Ce fut le grand effondrement. La grande raclée.

7% de 35 923 707 votants. Soit 2 514 659 électeurs. C’est déjà beaucoup. Ils auront laissé des traces derrière eux.

Azouz Begag

Voilà à quoi mène un usage immodéré, machiavélique, militaire, des réseaux sociaux. Une espèce de folie collective qui porte un candidat, fantasque, venu de nulle part, qui martèle qu’il dira «la vérité, toute la vérité, rien que la vérité» aux Français qui la méritent enfin «parce que les autres partis leur mentent depuis si longtemps». Il allait libérer, nettoyer, éradiquer, renvoyer, remigrer, restaurer… en finir avec l’immigration. C’était la sève de son projet d’avenir national. Ben voyons! Ils y ont cru. Ils ont été corrompus. Ils furent rompus. 7% de 35 923 707 votants. Soit 2 514 659 électeurs. C’est déjà beaucoup. Ils auront laissé des traces derrière eux.

Ils ont pratiqué la politique de la terre brûlée et posé des mines, comme cette petite phrase qui tue, que, chez le Français de la rue, on a si souvent entendue: «Oui, mais il ne dit pas que des c…!» Zemmour a perdu l’élection, mais derrière lui, il a semé des graines de discorde, ébranlé les fragiles coutures du vivre-ensemble, alimenté le vote communautaire comme en Israël, par exemple, où 50% des électeurs franco-israéliens ont voté pour lui. Il a alimenté les ressentiments et les rancœurs en France entre citoyens de confession juive et musulmane; installé l’odieuse confusion entre l’islam et l’islamisme, la vérité et le mensonge, l’émotion et la raison (être Français, c’est pleurer en écoutant Jacques Brel…).

Il n’a pas hésité à faire feu de tout bois, des mois durant, pour in fine s’éteindre avec son maigre score. Dernières braises. On peut l’imaginer quitter la scène politique française sur un «Je vous ai compris!» pour aller méditer, sur une île déserte, avec sa famille, sans amis (parce qu’en politique il n’y en a guère), ce que sont vraiment les Français et la France en 2022.

En outre, il va apprendre à ses dépens à quel point le temps de la politique est cruellement court et éphémère. Quand l’heure de la défaite a sonné, ceux qui vous ont tant salué vous lâchent et baisent la main des nouveaux vainqueurs, alors les affres de la grande solitude s’amplifient autour de vous et le silence s’installe. Éric va se retrouver coupé de Zemmour, mais il laissera dans son sillage une terre offensée, et pour paraphraser de Gaulle: «Paris! Paris outragé! Paris brisé! Paris martyrisé! mais Paris libéré! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.»

Zemmour a perdu l’élection, mais derrière lui, il a semé des graines de discorde, ébranlé les fragiles coutures du vivre-ensemble, alimenté le vote communautaire comme en Israël, par exemple, où 50% des électeurs franco-israéliens ont voté pour lui.

Azouz Begag

Toutefois, le dangereux trublion aura favorisé deux conséquences dans cette élection. D’abord, il a redoré l’image de Marine le Pen pour en faire une sorte de candidate quasi humaniste, antiraciste et presque de gauche tant son discours a été adouci, puisque Zemmour reprenait à son compte les pires thèmes de l’extrême-droite, comme le racisme, l’islamophobie et l’immigration, laissant à sa rivale celui du pouvoir d’achat et de la ruralité, par exemple.

Ensuite, il a fait progresser de manière spectaculaire les scores de Jean-Luc Mélenchon dans les banlieues où les populations de confession musulmanes sont les plus présentes. À Saint-Denis, par exemple, en région parisienne, ce dernier a recueilli 61% des voix, loin devant Macron, 16%. Un résultat très significatif.

Chez moi, dans la région lyonnaise, la France Insoumise a réalisé 55% des voix à Vaulx-en-Velin (avec plus de 50% d’abstention, un record), 49% à Vénissieux, 54% à Saint Fons… Dans ces quartiers populaires, Mélenchon a dénoncé le manque de services publics, mais aussi les discriminations dont les musulmans étaient victimes, l’islamophobie, les amalgames entre islam et islamisme, les contrôles au faciès abusifs…

Autant de thèmes en contrepied de Zemmour et pour lesquels une forte proportion des Français issus de l’immigration ont voulu peser, cette fois, pour combattre le racisme. Ce n’était pas pour autant un vote «communautaire», destiné à promouvoir les intérêts stricto sensu des musulmans dans la république, mais surtout une façon de dire à l’extrême-droite qui les a utilisés comme boucs émissaires:  «Cette fois, on est là, on vote»! Quelque chose a changé en France, de l’autre côté du périph’. Enfin.


Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.