Pour ne pas renforcer les nationalistes, Macron doit unir la France

Emmanuel Macron va devoir revoir son style de gouvernance ou risquer de nouveaux bouleversements sociaux et de nouvelles manifestations (Photo, Reuters).
Emmanuel Macron va devoir revoir son style de gouvernance ou risquer de nouveaux bouleversements sociaux et de nouvelles manifestations (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 04 mai 2022

Pour ne pas renforcer les nationalistes, Macron doit unir la France

Pour ne pas renforcer les nationalistes, Macron doit unir la France
  • Les cinq années à venir vont sembler très longues pour Macron s'il tente de gouverner d'en haut, loin des problèmes quotidiens des citoyens français
  • M. Mélenchon a raillé M. Macron, le qualifiant de président «par défaut» et lui décernant le titre de «président moderne le plus mal élu»

La France n'est pas une nation raciste, mais une nation en colère. L’élection de la semaine dernière a été présentée comme une lutte entre le libéralisme et le risque de voir un grand pays occidental basculer du côté l'extrême droite. Ceux qui félicitent Emmanuel Macron pour avoir évincé Marine Le Pen et avoir ainsi sauvé la France du fascisme simplifient à l'extrême le contexte politique très complexe de ce pays.

La candidate d'extrême droite a obtenu un score impressionnant de 41,5% des voix au second tour, avec un nombre beaucoup plus important d'abstentions que lors du premier tour. Les musulmans français et les autres individus issus de l'immigration sont restés sur leur faim, les partis des deux camps cherchant à les rendre responsables des problèmes du pays. Les cinq années à venir vont sembler très longues pour Macron s'il tente de gouverner d'en haut, loin des problèmes quotidiens des citoyens français. Sans un changement significatif dans la façon dont le pays est géré, sa victoire en tant que seul candidat plausible ne fera que renforcer les nationalistes la prochaine fois.

Les électeurs mécontents du président et peu impressionnés par Le Pen ont surpris en votant en masse en faveur du candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, au premier tour. Dans la mesure où Le Pen avait réussi à faire passer Macron pour le «président des riches», on s'attendait à ce que les personnes les moins bien payées et les chômeurs votent pour elle au second tour. Ce ne fut pas le cas, cependant, et beaucoup ont voté pour Macron simplement pour faire barrage à Le Pen.

Depuis, M. Mélenchon a raillé M. Macron, le qualifiant de président «par défaut» et lui décernant le titre de «président moderne le plus mal élu». En effet, bien qu'il soit le premier président sortant à remporter un second mandat depuis 2002, il a été élu lors d'une élection dont le taux de participation était le plus bas depuis 1969. De nombreux électeurs de gauche qui ont voté pour Macron chercheront maintenant à s'opposer à lui lors des élections législatives de juin, peut-être en vue d'une union populaire de la gauche qui pourrait voir Mélenchon émerger comme Premier ministre.

La disposition de Macron à concilier des intérêts politiques divergents sera déterminante pour le succès de son second mandat. Lors de son meeting de victoire, il a tenu à déclarer: «À tous nos compatriotes qui se sont abstenus de voter, nous devons répondre à leur silence et à leur refus de choisir.» Il a espéré être «le président de tous», tout en promettant de donner suite à la colère et aux désaccords exprimés pendant la campagne électorale.

Outre la xénophobie, les questions de fond ont dominé le discours politique et M. Macron devra faire face à une opposition à son ambitieux programme inachevé de réformes. N'ayant pas encore réussi à freiner les dépenses sociales en France, il a maintenant l'intention de porter l'âge de la retraite à 65 ans, alors que, au cours de la campagne électorale, les candidats de la gauche radicale et de l'extrême gauche étaient unanimes pour ramener l'âge légal de la retraite à 60 ans. Contraint de réduire ses réformes face aux manifestants des «Gilets jaunes», Macron sait pertinemment que son approche jupitérienne destinée à changer des politiques en place depuis longtemps pourrait être accueillie avec violence.

La disposition de Marcon à concilier des intérêts politiques divergents sera déterminante pour le succès de son second mandat.

Zaid M. Belbagi

S'il souhaite créer un consensus autour de ses réformes, Macron devrait convaincre le groupe démographique auquel Le Pen s’est adressée. Le Pen a réussi à élargir l'attrait de son parti au-delà du sud du pays et dans les zones qu’elle qualifie de «France oubliée», où les taux de chômage et de criminalité sont élevés. Alors que plus de 80% des électeurs de la capitale ont soutenu Macron, ailleurs dans le pays, Paris est devenu le symbole d'un système élitiste et mondialisé qui fait passer ses propres intérêts avant ceux de la France laissée pour compte.

En 2002, le père de Mme Le Pen n'avait obtenu que 18% des voix. Elle a plus que doublé ce score, ce qui montre à quel point le soutien à ses politiques a augmenté. Si Macron peut, certes, être félicité pour avoir vaincu l'extrême droite, pour gouverner, il doit désormais être inclusif. Toutefois, cette inclusion ne saurait pas se faire au prix d'une atteinte aux minorités françaises. Le fait que la question de l'interdiction ou non du foulard musulman ait été au cœur de l’élection de cette année témoigne de l'inquiétant racisme du discours politique quotidien en France.

Quelques heures après la victoire de Macron, alors que ses partisans rentraient chez eux, la police a ouvert le feu sur une voiture qui traversait un pont célèbre de Paris et qui roulait à vive allure, tuant deux de ses occupants. De tels incidents donnent un aperçu des décennies de privation de droits et de chômage qui caractérisent l'expérience des immigrés en France, renforçant à la fois le ressentiment à l'égard de l'État et la xénophobie qui a été si ouvertement affichée pendant la campagne électorale.

Il ne fait aucun doute que l’élection française a constitué une mise en garde claire quant à la montée de l'extrême droite dans le courant politique dominant. M. Macron, qui a passé la seconde moitié de son premier mandat à se heurter aux travailleurs français et à la communauté musulmane, va maintenant devoir revoir son style de gouvernance sous peine de voir se multiplier les bouleversements sociaux et les manifestations. Après avoir fait barrage au Rassemblement national de Mme Le Pen, il va falloir à M. Macron modérer son style de gouvernement impérieux, se concentrer moins sur l'Élysée et davantage sur les défis auxquels sont confrontés les membres en colère et laissés pour compte de la société française.


Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.