Bien qu'il ait été le premier président français réélu depuis l'instauration du quinquennat, Emmanuel Macron, dans ses premières déclarations après la proclamation des résultats du deuxième tour, s'est gardé de tout triomphalisme ou d'orgueil ostentatoire.
Il a reconnu explicitement que sa victoire devait beaucoup à ceux qui l'avaient rallié, non pour adhérer à son projet politique, mais pour barrer le chemin à l'extrême droite. Des analystes ont même considéré que Macron n'était qu’un «président par défaut», «le président le plus mal élu des présidents de la Ve République», selon la formule de Jean-Luc Mélenchon.
Si l’on se réfère au taux d'abstention, au nombre des bulletins blancs et nuls, on pourrait certes remarquer que la réélection de Macron n'a rien d'une victoire éclatante, alors que les résultats obtenus par sa rivale, Marine Le Pen, pourraient être interprétés comme une percée lourde de conséquences pour l'avenir de la France.
La percée indéniable de Marine Le Pen est moins une montée des idées de l'extrême droite que l'avancée perceptible du courant nationaliste populiste en vogue dans l’Hexagone et dans tous les pays européens.
L’issue de la compétition est marquée à la fois un rejet massif de l'extrême droite, même si cette dernière a dépassé la barrière historique de 40% des suffrages, et un refus frontal du projet politique de Macron. Il en découle un paradoxe sans précédent: les deux finalistes en compétition ne sont que très partiellement représentatifs du champ politique français en pleine recomposition.
La percée indéniable de Marine Le Pen est moins une montée des idées de l'extrême droite que l'avancée perceptible du courant nationaliste populiste en vogue dans l’Hexagone et dans tous les pays européens. Ce courant se nourrit des frustrations et d’une colère d'une large couche de la société française, défavorisée par l'intégration mondialiste dont les aléas néfastes se traduisent clairement par la détérioration du pouvoir d'achat, le chômage accru, la précarité sociale et l'insécurité aigüe.
Se trouve-t-on face à une nouvelle ligne de conflictualité politique qui oppose deux larges fronts hétéroclites en France?
Tout en se défendant d'être la candidate de l'extrême droite, Marine Le Pen a recentré son discours politique pour séduire l'électorat traditionnel de la gauche contestataire qui ne se reconnaît nullement dans l'idéologie conservatrice, xénophobe et raciste du nationalisme radical. Sur ce terrain, elle a croisé sur sa route le candidat de la gauche populiste, Jean-Luc Mélenchon, qui canalise les mêmes voix protestataires, mais sous la forme d'une autre offre politique.
Se trouve-t-on face à une nouvelle ligne de conflictualité politique qui oppose deux larges fronts hétéroclites en France? Avec un camp mondialiste libéral qui a soutenu largement le président réélu et un camp souverainiste populiste qui a accaparé plus de la moitié des voix au premier tour, et dont une grande partie s'est lors du second tour alignée avec Marine Le Pen?
Cette lecture communément partagée du nouveau champ politique français nécessite cependant une réévaluation critique. L'identification d'une lignée populiste nationaliste ou souverainiste homogène en France, même au sens le plus large, est en effet une approximation équivoque. Le partage constitutif du champ politique (le clivage droite- gauche) reste toujours le principe structurant de la vie politique française, malgré ses paramètres changeants.
L'effondrement évident des grands partis classiques qui ont gouverné la France durant les cinq dernières décennies n'implique en rien l'épuisement de ce paradigme régulateur. Ce qui est en train d'émerger en France aujourd'hui, c’est la constitution d'un vrai pôle libéral autour du président Macron, la recomposition de la gauche autour de son nouveau leadership radical représenté par Mélenchon et la montée de l'aile nationaliste conservatrice de la droite, qui a été toujours présente et agissante sur la scène politique française, surtout en période de crises et de désarrois.
Les nouveaux enjeux sont donc à cerner au niveau de cette recomposition en cours. Le macronisme peut être considéré comme la première tentative réussie d'instituer en France une formation libérale au sens plein du terme après l'échec de l'initiative giscardienne qui s'est écroulée sous le poids écrasant de la tradition républicaine gaulliste.
Le mélenchonisme est plutôt la survivance de la gauche radicale ayant rallié le grand front socialiste unifié de Mitterrand, qui s'est transformé au gré du réalisme politique à la social-démocratie libérale. Il faut enfin appréhender le nouveau lepénisme comme la synthèse du conservatisme de droite qui s'est cristallisé durant les élections de 2017 autour du candidat républicain malheureux, François Fillon, et de l'extrême droite ultranationaliste (le vieux boulangisme), qui refait surface dans un contexte critique et incertain.
Le rejet du libéralisme macronien et le refus du populisme nationaliste lepéniste à la dernière élection présidentielle, sont cependant les signes notoires de d'aspect tragique de cette recomposition politique.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
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