Macron et l’establishment français indemnes… pour le moment

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Publié le Dimanche 01 mai 2022

Macron et l’establishment français indemnes… pour le moment

Macron et l’establishment français indemnes… pour le moment
  • Il y a trois raisons fondamentales pour lesquelles les populistes formulent des vœux pieux en affirmant courageusement leur retour après leur défaite aux élections présidentielles
  • Immédiatement après avoir perdu de justesse au premier tour, Mélenchon a astucieusement appelé à une alliance unifiée de la gauche lors des élections législatives

Comme toujours, l’idole du président français Emmanuel Macron, Charles de Gaulle, a parfaitement résumé la situation. L’illustre fondateur de la cinquième République a résumé non sans une pointe d’ironie la difficulté de gouverner la nation perpétuellement troublée qu’est la France : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ? »

Après les élections législatives françaises des 12 et 19 juin, il est désormais presque certain que ce cadeau empoisonné incombera à Emmanuel Macron. En effet, malgré les discours courageux des ténors populistes de droite (Marine Le Pen) et de gauche (Jean-Luc Mélenchon), il est certain que la France traditionnelle, celle de l'establishment, se débrouillera pour gouverner.

Le résultat le plus probable est que Macron et son parti, La République En Marche, se retrouveront avec une majorité certes réduite, mais exploitable. Le pire scénario pour le président nouvellement réélu serait qu'il doive former une coalition avec le parti gaulliste traditionnel du centre-droit, les Républicains, mais cela ne lui poserait pas de réelle difficulté. Depuis sa première élection à l'Élysée en 2017, Macron – suivant le centre de gravité politique en France – dérive de toute façon vers la droite par rapport à son idéologie centriste initiale.

Il y a trois raisons fondamentales pour lesquelles les populistes formulent des vœux pieux en affirmant courageusement leur retour après leur défaite aux élections présidentielles. Tout d'abord, l'élan de la victoire présidentielle entraîne historiquement le parti du président nouvellement élu vers une majorité parlementaire. Depuis 2000, aucun président n'a échoué à convertir son triomphe électoral en une majorité lors des élections législatives suivantes. Compte tenu de la belle victoire de 17 points de Macron sur Le Pen au second tour du scrutin présidentiel la semaine dernière, rien ne porte à croire que cette tendance ne se confirmera pas cette fois-ci également.

Ensuite, aucun des ténors populistes n'a de véritable parti derrière lui. Au mieux, ils ont des factions axées sur leur personnalité pour les soutenir. Selon une tendance curieuse qui a dominé la politique française durant les dix dernières années, on assiste au déclin des socialistes traditionnels de centre-gauche et des Républicains de centre-droit au niveau présidentiel, au profit d’individus, qu'il s'agisse de Macron, Le Pen ou Mélenchon.

Si cette tendance s'est vérifiée au niveau national, cela n'a pas été le cas lors des élections parlementaires, où le courant dominant s'est maintenu. Par exemple, en 2017, bien que Le Pen ait remporté 34 % des voix au second tour de la présidentielle, son parti, le Rassemblement National, n'a réussi à obtenir que 8 des 577 sièges de l'Assemblée nationale. De même, le feu follet de gauche que représente Mélenchon n’a obtenu qu’un score minuscule de 17 sièges.

Il est plus qu'improbable que les populistes de gauche ou de droite empêchent Macron d'avoir une majorité parlementaire au pouvoir.

Dr. John C. Hulsman

Pour remporter les élections législatives en France, il faut des outils dont seul un véritable parti établi dispose généralement (La République En Marche de Macron étant l'exception) : une empreinte locale forte et traditionnelle et des prouesses organisationnelles. Ce sont-là des éléments dont les factions populistes de gauche et de droite, centrées sur leur leader, sont presque totalement dépourvues. C’est sans doute cela qui expliquerait leurs piètres résultats parlementaires passés. Rien ne prouve que ces tendances systémiques sont susceptibles de changer cette fois-ci.

Enfin, la seule façon pour les populistes de contourner ces obstacles historiques et organisationnels de taille serait de sceller des alliances avec leurs compagnons de route idéologiques, afin d'amplifier leur influence sur le scrutin. Ceci est particulièrement urgent pour la gauche fragmentée, qui s'est livrée à des divisions fratricides sans fin depuis la Révolution française. Les partisans de Mélenchon, et c'est tout à leur honneur, en sont douloureusement conscients. Ils savent en effet que si les autres candidats de gauche à la présidentielle s'étaient retirés en faveur de leur leader, ce dernier aurait battu Le Pen et serait au second tour face à Macron, un leader qu'ils méprisent et perçoivent comme « le président des riches ».

Immédiatement après avoir perdu de justesse au premier tour, Mélenchon a astucieusement appelé à une alliance unifiée de la gauche lors des élections législatives, afin de peut-être renverser la victoire présidentielle imminente de Macron. Cependant, son appel est jusqu'à présent tombé dans l'oreille de sourds, et la gauche française n’a rien changé à son comportement.

Contrairement à Mélenchon, Le Pen ne veut pas entendre parler d’unité populiste. Consciente que ses 41,5 % des voix au second tour marquent un record absolu pour l'extrême droite française, elle souhaite continuer à se dédiaboliser plutôt que de rappeler aux électeurs du centre pourquoi beaucoup la craignent encore. C'est pourquoi, lorsque son rival encore plus à l'extrême droite, Eric Zemmour, a suggéré un pacte électoral, Mme Le Pen a rapidement et résolument fait demi-tour. Alors que Macron entame son deuxième et dernier mandat présidentiel et que l'extrême droite continue de progresser régulièrement au niveau national, Mme Le Pen regarde l'avenir, pas le présent.

Ainsi, pour toutes ces raisons, il est plus qu'improbable pour l’heure que les populistes de gauche ou de droite empêchent Macron d'obtenir une majorité parlementaire. Il n’en demeure qu’avec une victoire présidentielle décisive comme la sienne, et avec un mandat parlementaire qu’il obtiendra probablement, Macron n’aura d’autre choix que de  « s’approprier » ce qui va se passer en France. Étant donné l'inflation endémique qui s’installe, les taux de croissance obstinément faibles qui se profilent à l'horizon et une cherté de vie à la hausse, le moment est mal choisi pour « s’approprier » des résultats politiques. Le succès politique de Macron devient donc à très haut risque. La suite des événements lui sera clairement et exclusivement attribuée.

 

Le Dr John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.