Les temps seront durs pour la nouvelle Première ministre britannique

Le roi Charles III de Grande-Bretagne salue la Première ministre, Liz Truss, lors de leur première rencontre au palais de Buckingham, le 9 septembre 2022 (Photo, AFP).
Le roi Charles III de Grande-Bretagne salue la Première ministre, Liz Truss, lors de leur première rencontre au palais de Buckingham, le 9 septembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 19 septembre 2022

Les temps seront durs pour la nouvelle Première ministre britannique

Les temps seront durs pour la nouvelle Première ministre britannique
  • Contrairement à ses adversaires du parti travailliste, Truss refuse de mettre en œuvre une taxe sur les profits exceptionnels pour les entreprises du secteur de l'énergie
  • La nouvelle Première ministre mise sur la croissance comme moyen ultime de sortir de la crise

Au printemps 1945, après avoir dominé le paysage politique américain pendant une génération, Franklin Delano Roosevelt meurt subitement dans son refuge de Warm Springs, en Géorgie. À l'époque, le vice-président Harry Truman se trouvait sur la colline du Capitole, où il partageait le verre habituel avec les leaders du Congrès à la fin d'une semaine difficile (oui, à cette époque lointaine, les dirigeants adverses se fréquentaient).

Convoqué brusquement à la Maison Blanche, Truman tombe directement sur l'épouse du président, Eleanor, qui lui annonce la nouvelle. Choqué dans sa décence élémentaire du Midwest, Truman demande s'il peut faire quelque chose pour elle. Elle a sagement répondu: «Non, Harry, y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour vous? Car c'est vous qui avez des problèmes maintenant.»

J'ai pensé à cette vignette historique la semaine dernière, alors que Liz Truss succédait à Boris Johnson, un homme en pagaille, au poste de Premier ministre du Royaume-Uni. Lorsque la période de deuil officiel de la reine Elizabeth prend fin et que les affaires du gouvernement reprennent, il est rare qu'un nouveau dirigeant politique soit confronté à des dossiers aussi volumineux et dangereux.

Après l'échec semi-criminel de l'Europe et du Royaume-Uni à se préoccuper de leurs politiques énergétiques au cours des dernières décennies. En effet, quelques jours à peine avant le début de la guerre en Ukraine, Berlin faisait encore pression pour que le gazoduc Nord Stream 2 soit opérationnel. Cela aurait augmenté de façon grotesque sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou, l'inflation en chaîne qui a suivi la hausse stratosphérique des prix de l'énergie en a été le triste résultat, tant sur le continent qu'au Royaume-Uni.

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« La nouvelle Première ministre mise sur une croissance agressive comme moyen ultime de sortir de la crise»

    Dr. John C. Hulsman

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La bête de l'inflation, désormais complètement libérée en Grande-Bretagne, se situe à un niveau malsain de 10,1%. Le spectre de la stagflation, et d'une crise permanente du coût de la vie, se profile à l’horizon. En effet, en termes de risque politique, si l'Europe et le Royaume-Uni ne maîtrisent pas (et rapidement) la crise économique actuelle, la sinistre réalité d'un déclin absolu global les attend.

Calmement (un soulagement béni du mandat de montagnes russes de Johnson), Truss a défini une stratégie en quatre volets pour faire face à la calamité. Tout d'abord, son administration a l'intention de geler les prix annuels moyens de l'énergie pour les ménages pendant les deux prochaines années à 2 400 euros, dont une remise sur l'énergie déjà convenue, avec un soutien équivalent pour les entreprises pendant au moins six mois. Le coût sera d'un montant monumental de 171,4 milliards d’euros. Ce renflouement sans précédent éclipse celui de la Covid-19, qui s'élevait à 78,8 milliards d’euros, et sera entièrement financé par de nouveaux emprunts.

Contrairement à ses adversaires du parti travailliste, Truss refuse de mettre en œuvre une taxe sur les bénéfices exceptionnels pour les entreprises du secteur de l'énergie, au motif que cela découragerait leurs investissements futurs dans de nouveaux projets énergétiques. Ce pari de dépenses massives est conçu pour permettre à la Banque d'Angleterre de relever plus lentement les taux d'intérêt (atténuant ainsi la récession à venir) et de limiter les pressions inflationnistes globales elles-mêmes. Dès le premier jour, Truss a parié le succès global de son gouvernement sur ce seul et unique pari économique. Elle a tout misé.

Deuxièmement, Truss veut s'assurer que le Royaume-Uni ne se retrouve plus jamais prisonnier de son approvisionnement énergétique. La fracturation, interdite sous le gouvernement Johnson, sera autorisée dans le but d'augmenter la production nationale d'énergie, tout comme la poursuite des forages de pétrole et de gaz naturel dans les gisements de la mer du Nord, en déclin mais toujours rentables.

Troisièmement, la nouvelle Première ministre mise sur une croissance agressive comme moyen ultime de sortir de la crise. Malgré le nouvel emprunt colossal, Truss fait pression pour obtenir d'importantes réductions d'impôts s'élevant à 34,3 milliards d’euros afin de libérer l'esprit animal des entreprises britanniques et de sortir le Royaume-Uni de sa situation économique précaire. Elle a demandé à Jacob Rees-Mogg, le nouveau secrétaire d'État aux affaires et à l'énergie, de réduire considérablement la réglementation gouvernementale et de libérer davantage le secteur commercial britannique.

Quatrièmement, avec la star montante du Parti conservateur, Kemi Badenoch, comme nouvelle secrétaire au commerce, Truss va essayer d'empocher les gains du Brexit. J'ai longtemps été exaspéré par les deux parties du débat sur le Brexit, enfermées qu'elles sont dans leurs sourdes théologies d'autosatisfaction. En termes de politique, la question est simple. Si, à moyen terme, la Grande-Bretagne parvient à conclure des accords de libre-échange avec les régions du monde qui connaissent une véritable croissance économique (l'Inde, les États-Unis, les pays de l'Anglosphère), alors le Brexit aura valu la peine, car le Royaume-Uni voit son avenir économique au-delà d'une Europe économiquement sclérosée. Si elle n'y parvient pas, le Brexit aura échoué, et la Grande-Bretagne n'aura fait que s'aliéner son principal partenaire commercial.

Sur ces questions politiques monumentales, le leadership de Truss s'élèvera ou s'effondrera. Lors de sa séance inaugurale à l'heure des questions à la Première ministre à la Chambre des communes, le ton de Truss était étonnamment différent de celui de Johnson. Fini la grandiloquence, le sens du spectacle, l'humour sournois et la relation lâche avec les faits, désormais remplacés par la sobriété, une confiance discrète et un calme rassurant. Dans les deux cas, le style des deux leaders dément la réalité. Malgré tout son faste, le programme politique de Johnson était incroyablement ennuyeux; c'était un Macmillanien de pure souche. D'un autre côté, sous la fadeur de Truss se cache un programme politique radical, actualisé et thatchérien qui va soit fonctionner, soit échouer. En termes de substance, comme ce fut le cas pour Truman, des jours agités nous attendent.

 

Le Dr John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en matière de risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la City de Londres. Il peut être contacté via johnhulsman.substack.com.

 

Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com