Une bombe à retardement diplomatique se cachait dans la myriade d'engagements politiques de la campagne pour la direction du parti conservateur britannique. Elle était tellement enfouie qu’elle n’a quasiment pas eu de couverture médiatique. Elle n’a même pas été mentionnée dans la longue liste des engagements dans tous les domaines de la candidate victorieuse, Liz Truss.
Dans une lettre adressée aux Amis conservateurs d'Israël, qui constituent principalement un groupe de pression antipalestinien au sein du parti au pouvoir, la nouvelle Première ministre a défini sa position concernant Jérusalem, soulignant «l'importance et l’aspect sensible de l’emplacement de l'ambassade britannique». «J'ai eu de nombreuses conversations avec mon bon ami le Premier ministre Yaïr Lapid à ce sujet. Ceci étant, je vais examiner la décision pour m'assurer que nous opérons sur les bases les plus solides avec Israël» a-t-elle annoncé. En d'autres termes, elle s'est engagée à étudier l'opportunité de déplacer l'ambassade britannique de Tel-Aviv à Jérusalem, reconnaissant ainsi unilatéralement la revendication d'Israël sur la ville contestée.
Il faut regarder de plus près les mots qu’elle emploie. Ce changement de lieu d’ambassade ne se ferait pas dans le cadre d'une révision des politiques visant à résoudre le conflit israélo-palestinien, l'un des conflits les plus aigus du siècle dernier. Non, cela n’est même pas mentionné dans sa lettre. Ce serait simplement pour améliorer les relations du Royaume-Uni avec Israël.
Truss va encore plus loin. Elle se vante de défendre Israël sur la scène mondiale. Nombreux sont ceux qui pourraient penser que son travail en tant que ministre des Affaires étrangères aurait dû être de défendre la Grande-Bretagne et ses intérêts. Il n'est pas surprenant qu'elle n'accorde aucune considération aux violations constantes par Israël, depuis des décennies, des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU et de la quatrième Convention de Genève, à son recours à la torture ou au consensus international des droits humains selon lequel ce pays est coupable de crime d'apartheid.
L'autre élément alarmant de la lettre qu’il faut relever est que Liz Truss ne fait absolument aucune mention des Palestiniens. Ils n'existent pas. On pourrait penser qu'il s'agit d'un regrettable oubli, mais depuis qu'elle est devenue ministre des Affaires étrangères l'an dernier, le mot a à peine effleuré ses lèvres.
Liz Truss ne mentionne aucune approche pour soutenir toute forme de processus de paix ou de pourparlers entre les deux peuples. Elle ne s'en soucie aucunement et refuse de s'aliéner les électeurs antipalestiniens de son parti. Les Palestiniens, pour une grande partie du Parti conservateur, sont devenus un non-peuple, et leur destin un non-problème. L'écart avec le Parti républicain aux États-Unis s'est réduit presque au point de devenir insignifiant.
Plusieurs sources du ministère des Affaires étrangères m'ont informé que, lors de discussions dans le courant de l'année sur une éventuelle visite de Truss en Israël, elle avait rejeté l'idée de se rendre à Ramallah et d'avoir des réunions avec l'Autorité palestinienne. Elle s'était demandé pourquoi cela était nécessaire.
L'ancien rival de Truss, Rishi Sunak, n'a pas perdu de temps pour s'abaisser à ce niveau. Lors d'une assemblée des Amis conservateurs d'Israël, Sunak a affirmé que Jérusalem était «sans conteste la capitale historique d'Israël et qu’il y avait clairement de très bonnes raisons pour qu'elle soit reconnue en tant que telle». Il a ajouté qu'il était «très ouvert à l’idée de prendre cela en compte», le considérant comme une «étape historique et réaliste». Comme Truss, il ne s'est pas engagé à demander des comptes à Israël, tout en n’ayant aucun scrupule à déclarer que les Palestiniens devaient le faire.
Est-ce important? Pour ceux qui veulent une résolution juste et pacifique de ce conflit, c'est certainement le cas. Jérusalem est au cœur du conflit. Elle est importante aux yeux des deux peuples ainsi que pour les fidèles des trois religions monothéistes. Au total, elle aurait changé 37 fois de mains à travers la guerre et la violence.
«La nouvelle Première ministre britannique s'est engagée à examiner l'opportunité de déplacer l'ambassade britannique de Tel-Aviv»
Chris Doyle
Se précipiter aveuglément et détruire le consensus international sur le futur statut de la ville est une recette qui mène au désastre. Lorsque le président américain, Donald Trump, a fait exactement cela en 2017, seule la position inébranlable des principaux États européens, dont le Royaume-Uni, a pu maintenir le consensus.
En vertu des accords d'Oslo, le statut de l'ensemble de Jérusalem, et pas uniquement de la partie orientale occupée par Israël, devait être défini par des négociations. Reconnaître la souveraineté d'un parti sur n'importe quelle zone de la ville compromettrait tout futur processus de pourparlers et de paix. Cela va également à l'encontre de la réalité sur le terrain. Malgré la propagande israélienne selon laquelle il s'agit d'une ville non divisée, c'est l'une des villes les plus morcelées et les plus contestées au monde. Les deux zones israélienne et palestinienne se distinguent immédiatement l'une de l'autre, notamment parce que la première a correctement financé les municipalités alors que la zone palestinienne ne le fait pas, bien que les résidents paient également des impôts.
Le consensus sur Jérusalem est également au cœur d’une solution à deux États. Les deux États auraient une capitale partagée, ou deux capitales distinctes dans la ville. Ceci reviendrait à agir en toute équité dans cette ville par rapport aux Palestiniens.
Le nombre croissant de personnes qui pensent que seule l'option d'un seul État est viable, devraient également s'inquiéter. Ce n'est pas une étape vers cette vision mais une façon de renforcer une réalité à un seul État, dans laquelle Israël contrôle tout le territoire et maintient un «contrôle souverain» étroit sur l'ensemble du territoire, du fleuve à la mer, accordant aux résidents palestiniens et non aux citoyens, des pouvoirs municipaux sur des zones urbaines qui leur seraient attribuées, toutes sous contrôle israélien. En fin de compte, toutes les colonies et bien d'autres terres encore seront officiellement annexées, tout comme Benjamin Netanyahou avait menacé de le faire il y a deux ans.
Quant à Jérusalem, la politique israélienne accélérera le déplacement des Palestiniens de la ville. Les projets de colonies, associés aux démolitions de maisons et aux dépossessions, sont conçus pour éloigner les résidents palestiniens de Jérusalem de la Vieille ville et des sites religieux, leurs communautés étant remplacées par un parc à thème biblique et un téléphérique. Les Palestiniens sont déjà assez invisibles pour tous, sauf pour les visiteurs de la ville les plus curieux. Ils deviendront toutefois des squatteurs invisibles dans des quartiers périphériques surpeuplés, loin des Israéliens et, bien sûr, des touristes.
Tout cela se passe en ce moment. La seule chose qui a ralenti mais jamais inversé ce processus est le consensus international, avec l'Europe comme point d'ancrage. La Grande-Bretagne n'est peut-être plus membre de l'UE, mais elle reste un acteur majeur dans la définition des positions européennes en raison de ses liens historiques, de ses connaissances du problème et de son influence. Une telle position commune anglo-américaine serait difficile à ignorer.
Si la nouvelle Première ministre britannique choisissait la voie du pyromane et abandonnait tout effort pour résoudre ce conflit, nul doute que d'autres pays suivraient.
Une fois de plus, la résolution des conflits, le droit international et l'ordre fondé sur des règles sont susceptibles d'être abandonnés au profit d'un gain politique et économique limité et à court terme. Même si une décision britannique n'est pas immédiate, une trajectoire est en train de se dessiner. Les électeurs antipalestiniens du Parti conservateur pousseront sans relâche le gouvernement à aller jusqu'au bout dans cette voie. Les voix de la raison doivent l’emporter et assurer un changement de cap avant qu'il ne soit trop tard.
• Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, à Londres.
Twitter: @Doylech
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com