L’extrême droite entraîne l’Europe sur une voie dangereuse

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, parti d’extrême droite. (Reuters)
Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, parti d’extrême droite. (Reuters)
Short Url
Publié le Dimanche 24 avril 2022

L’extrême droite entraîne l’Europe sur une voie dangereuse

L’extrême droite entraîne l’Europe sur une voie dangereuse
  • Ce ne sont pas les immigrés mais bien les fanatiques d'extrême droite qui constituent la véritable menace pour le mode de vie européen et l'ordre libéral
  • L'extrême droite se nourrit du fondamentalisme islamique pour exacerber la peur de «l'autre» – qui vient d'Afrique ou du Moyen-Orient et qui a une apparence différente

Rasmus Paludan, un homme politique suédois qui n'a pas réussi à réunir suffisamment de signatures pour se présenter aux élections législatives de septembre, a acquis une certaine notoriété en se rendant dans des quartiers musulmans pendant le ramadan pour brûler des exemplaires du Coran.

Un comportement aussi méprisable a évidemment suscité une réaction violente. Un politicien qui tente de se faire un nom est une chose, mais la question plus profonde que nous devrions nous poser est de savoir où l'extrême droite entend mener l'Europe.

La liberté d'expression est sacrée pour les Européens, mais cette liberté a été détournée au service d’une polarisation et d’un discours de haine. La police de Malmo, la troisième plus grande ville de Suède, a engagé des poursuites contre Paludan pour incitation à la haine.

L'extrême droite se nourrit du fondamentalisme islamique pour exacerber la peur de «l'autre» qui vient d'Afrique ou du Moyen-Orient et qui a une apparence différente, des habitudes différentes et une foi différente. Elle présente «l'autre» comme une menace pour la culture européenne. Les partisans de l’extrême droite disent que l'islam est incompatible avec le mode de vie européen et que les immigrés musulmans changeront le visage de leur pays, détruiront leur identité et imposeront une culture étrangère. Faire miroiter une menace est un excellent outil pour rassembler les gens, et l'extrême droite en joue astucieusement.

Cependant, ce n’est pas par charité que l'Europe a ouvert ses portes aux migrants, mais bien par nécessité. Sa population est vieillissante et l'Europe a besoin d'une main-d'œuvre jeune. Ceux qui considèrent ces nouveaux arrivants comme des intrus semblent oublier la valeur économique de l'immigration.

Il n’en demeure qu’aujourd’hui, l'immigration devient problématique parce que les immigrés commencent à s'organiser; ils veulent s'intégrer et non s'assimiler, et ils ne sont plus aussi invisibles que l'extrême droite le souhaite. L'argument avancé par des politiciens tels qu’Éric Zemmour, partisan de la ligne dure en France, est que les immigrés doivent se transformer en Européens et oublier leurs origines: «À Rome, faites comme les Romains». Zemmour a totalement adopté le prétendu mode de vie «français» en rejetant ses propres origines de fils d'immigrés algériens, et il pense que tous les migrants doivent faire de même pour être acceptés. Mais dans les démocraties libérales, il est inconcevable d’imposer un «mode de vie». L'extrême droite n'a pas encore commis les excès d'Adolf Hitler, mais elle pose les fondements d'une nouvelle vague de pensée fasciste. Où cela mènera-t-il?

«Il nous faut engager une discussion approfondie sur ce que cela signifie d’être européen.»

Dr Dania Koleilat Khatib

Lors du débat d’entre-deux-tours la semaine dernière, le président sortant Emmanuel Macron a averti sa concurrente de droite, Marine Le Pen que si elle tenait sa promesse d'interdire le voile, elle entraînerait le pays dans une guerre civile. Aurait-elle des policiers dans les rues pour arrêter les femmes qui portent le voile, a-t-il demandé? Sa réponse est restée vague, laissant l’audience imaginer le genre de politiques sociales qu'elle imposerait. Mme Le Pen a invoqué la défense de tout ce qui fait l'âme de la France – mais qu'est-ce que cela signifie et qui en décide les contours? S'agit-il de la décision de porter ou non le voile, ou des droits des individus à la liberté et à la dignité?

Derrière les slogans de l'extrême droite, il n'y a pas de véritable substance. Le Pen et ses partisans entendent-ils créer des camps de «rééducation», comme en Chine, pour apprendre aux immigrés à devenir «vraiment» français? Ceux qui refusent de se fondre dans le moule seront-ils mis à la porte et renvoyés dans leur pays d'origine? Qu'est-ce que cela ferait de la France? Qu'adviendrait-il de la Suède si des gens comme Paludan obtenaient un jour la majorité au Parlement?

Il est légitime de se demander si l'Europe n'est pas en train de revivre les horreurs de l'antisémitisme mais avec, cette fois, une nouvelle victime. Les Européens devraient y réfléchir à deux fois et examiner les idées de l'extrême droite. Ce ne sont pas les immigrés mais bien les fanatiques d'extrême droite qui constituent la véritable menace pour le mode de vie européen et l'ordre libéral qui est le fondement des sociétés occidentales.

En vue d’éclaircir ce point, il nous faut engager une discussion approfondie sur ce que cela signifie d’être européen. Un bon point de départ serait le concept de musulman européen introduit dans le discours public par Afzal Khan. Arrivé du Pakistan au Royaume-Uni à l'âge de 11 ans, Khan est devenu le premier maire musulman de Manchester, a siégé au Parlement européen, a été honoré par la reine Elizabeth pour son travail sur les relations raciales et est aujourd'hui député britannique. Des personnalités publiques de premier plan telles que Khan sont essentielles puisqu’elles peuvent rationaliser les relations entre les communautés musulmanes et les sociétés européennes au sens large, une réconciliation qui porterait un coup fatal à l'extrême droite une bonne fois pour toutes.

 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.


NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.