Marine Le Pen en quête d’institutionnalisation?

La candidate du Rassemblement national (RN) est plus que jamais aux portes de l’Élysée (Photo, AFP).
La candidate du Rassemblement national (RN) est plus que jamais aux portes de l’Élysée (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 07 avril 2022

Marine Le Pen en quête d’institutionnalisation?

Marine Le Pen en quête d’institutionnalisation?
  • Les dernières interventions médiatiques de Mme Le Pen permettent de constater à quel point elle se trouve désormais engagée dans une quête de légitimation
  • L'impression d’une Marine Le Pen assez brouillonne et empruntée sur les sujets internationaux risque d’être exploitée par le président sortant

À la veille du premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) est plus que jamais aux portes de l’Élysée. Les sondages lui sont plutôt favorables, tant et si bien qu’une victoire paraît désormais moins improbable qu’auparavant.
Or, s’il est une chose que Marine Le Pen cherche à anticiper, c’est le coup de tonnerre que représenterait son élection. Quelle serait son attitude à l’international? Quelle serait sa politique européenne? Comment agirait-elle vis-à-vis du patronat?

La différence entre les deux candidats est très nette et reflète sans nul doute la volonté de Marine Le Pen de rassurer la diplomatie française, car elle se trouve désormais en position d’espérer une victoire là où Éric Zemmour adopte davantage une posture de provocation.

Les dernières interventions médiatiques de Mme Le Pen permettent de constater à quel point elle se trouve désormais engagée dans une quête de légitimation. Interrogée par la chaîne israélienne I24 sur des sujets relatifs au Moyen-Orient et notamment sur le statut de Jérusalem, elle a répondu qu’elle respectait «la position de la France» et qu’elle souhaitait que Jérusalem devienne une «ville internationale». Ce propos tranche avec ceux de son concurrent Éric Zemmour qui plaide pour une reconnaissance de Jérusalem comme capitale unie et indivisible d’Israël.
La différence entre les deux candidats est très nette et reflète sans nul doute la volonté de Marine Le Pen de rassurer la diplomatie française, car elle se trouve désormais en position d’espérer une victoire là où Éric Zemmour adopte davantage une posture de provocation, jouant le tout pour le tout.
De même, lorsqu’on lui pose la question sur l’accord de Vienne et du nucléaire iranien, la candidate du RN apparaît très modérée, indiquant qu’elle souhaite que l’Iran puisse se doter de nucléaire civil et n’enrichisse pas d’uranium pour en faire une arme nucléaire. C’est une position minimaliste et sans risque qui s’aligne sur celle des diplomates français, sans originalité particulière.

Toutefois, malgré les trésors d’inventivité dont fait preuve Marine Le Pen pour séduire la haute administration française et l’ensemble de la classe dirigeante, de très fortes lacunes sont apparues.


Concernant l’Union européenne (UE), Marine Le Pen a répété plusieurs fois à la télévision française que son parti ne souhaitait plus quitter l’UE et allait rester dans l’euro. De tels propos ne visent assurément pas son électorat très populaire qui est plutôt eurosceptique, mais une partie de l’élite institutionnelle. Ces signaux, ajoutés à ceux qu’elle a donnés au patronat français lors de ses échanges avec le Mouvement des entreprises de France (Medef), sont autant d’éléments qui constituent la dernière étape de la dédiabolisation de la candidate du RN. Au moment où sa victoire apparaît envisageable, il faut qu’elle devienne aussi réalisable et pour cela, son parti à l’image extrémiste doit montrer qu’il pourra s’inscrire dans une forme de continuité républicaine.
Toutefois, malgré les trésors d’inventivité dont fait preuve Marine Le Pen pour séduire la haute administration française et l’ensemble de la classe dirigeante, de très fortes lacunes sont apparues, montrant que son principal défaut n’avait pas disparu: elle reste très fragile sur la maîtrise des dossiers.
Ainsi, interrogée sur les accords d’Abraham, elle a semblé complètement prise au dépourvu et incapable d’émettre une opinion positive ou négative sur cette normalisation entre Israël et certains pays arabes. De même, sa connaissance du dossier iranien a semblé extrêmement lacunaire à tel point qu’on a l’impression qu’elle vient tout juste de le découvrir. Cette apparente méconnaissance des enjeux internationaux est un prolongement direct de ses errements géopolitiques concernant le dossier russe. Pendant très longtemps, la présidente du RN n’a tout simplement pas considéré Vladimir Poutine comme un adversaire, adoptant une position plus qu’ambiguë sur le sujet.
Elle s’était entourée d’élus et de conseillers très liés à la Russie, politiquement et économiquement, qui ont nourri ce tropisme prorusse qui a contribué à un aveuglement, sans doute volontaire, vis-à-vis de M. Poutine qui la met désormais complètement en porte-à-faux devant l’invasion de l’Ukraine. Le départ de nombre de ces éminences grises vers Éric Zemmour lui aura sans doute permis de s’éloigner idéologiquement du Kremlin sans pour autant avoir eu le temps de développer un discours alternatif crédible en matière de relations internationales.
Cette impression d’une Marine Le Pen assez brouillonne et empruntée sur les sujets internationaux risque d’être exploitée par le président sortant lors du débat entre les deux tours, si les deux candidats étaient opposés. Il est clair que la stratégie de légitimation à tout prix de Marine Le Pen pourrait masquer des failles dans ses compétences auxquelles elle ne pourra pas échapper face à un contradicteur qui pourrait la pousser dans ses retranchements.


Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.


TWITTER: @LacheretArnaud


NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.