Au moment où tous les regards sont braqués sur l’Europe de l’Est, l’élection présidentielle française approche à pas de loup. Une deuxième victoire consécutive du président, Emmanuel Macron, qui semblait évidente, est loin d’être garantie. Désormais, la victoire de la candidate d’extrême droite hostile aux musulmans, Marine Le Pen, n’est plus exclue.
En 2017, Emmanuel Macron devient le plus jeune président de l’Histoire de France, à seulement 39 ans. En un an seulement, il brise le vieux système bipartite avec son mouvement baptisé «La République En Marche!» – et l’ambition de créer une dynamique pour balayer l’ancien ordre français. Serait-il donc l’homme qui restaurerait la fierté française et qui apaiserait le sentiment généralisé de déclin qui plane sur une si grande partie de la France? L’insurgé de 2017 est toutefois véritablement devenu l'élite de l’establishment de 2022.
La victoire d’Emmanuel Macron à la précédente élection a sans doute porté le coup fatal à l’ancien ordre politique français, qui s’était érodé au cours des dernières décennies. Cette année, la candidate du Parti socialiste, Anne Hidalgo, ne bénéficie que de 4 % des intentions de vote dans les sondages. Il s’agit du parti de François Mitterrand qui, il y a moins de dix ans, détenait à la fois la présidence et le contrôle des deux chambres du Parlement.
Les ouvriers, qui constituaient autrefois le socle du Parti socialiste et du Parti communiste, ont transféré leur soutien à l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen. Ce soutien de la gauche est à l’origine de sa progression dans les sondages récents, au point qu’elle représente une menace sérieuse pour le grand favori, Emmanuel Macron. On est bien loin de 2017, lorsque M. Macron avait largement battu Mme Le Pen (66% contre 34%) au second tour.
Emmanuel Macron semble trop sûr de lui. C’est à peine s’il fait campagne, préférant se concentrer sur l’Ukraine, ses entretiens avec Vladimir Poutine et l’amélioration de son image présidentielle. Le message qu’il cherche probablement à véhiculer est que la politique électorale est trop insignifiante pour lui alors qu’il tente, en vain, de sauver l’Europe. Il reproche à certains de ses adversaires d’être plutôt pro-Poutine, avec notamment des accusations selon lesquelles Marine Le Pen aurait reçu des fonds russes dans le passé.
L’effet Ukraine s’est estompé. Les citoyens français sont très en colère entre la hausse des prix du carburant et du coût de la vie, ainsi que la flambée de l’immigration. L’inflation est de 4,5% et elle pourrait encore augmenter.
Marine Le Pen ne cesse de progresser dans les sondages, ce qui a poussé Emmanuel Macron à se positionner encore plus à droite, au moment où la gauche se divise de plus en plus. Ainsi, il revêt partiellement l’habit antimusulman de certains de ses adversaires les plus radicaux.
C’est une grande source d’inquiétude pour les musulmans français qui sont au nombre de six millions – soit près de 8 % de la population totale et la plus grande proportion au sein du monde «occidental». M. Macron avait déclaré qu’il serait le président de tous les Français. Nombre de musulmans français estiment que ce n’est pas le cas. Le dénigrement des musulmans en France a atteint les pires niveaux observés dans toutes les grandes démocraties en dehors des États-Unis. Comme de l'autre côté de l’Atlantique, c’est le sentiment qui domine dans les suffrages.
Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, a fait part des craintes des musulmans le mois dernier. Il déclare: «Nous sommes dans une société fragmentée qui se cherche. Cette société se retrouve fragilisée et apeurée après la pandémie. Ce n’est pas la première fois qu’on cherche un bouc émissaire. En 1930, on pointait les juifs du doigt, affirmant qu’ils constituaient le problème de toute une société… désormais, ce ne sont plus les juifs qu’on accuse, mais les musulmans.»
Emmanuel Macron a alimenté ce ressentiment. En 2020, il proclame que «l’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde». Il a également mis fin à un programme, initié en 1977, qui permettait à des imams étrangers d’enseigner en France. M. Macron souhaite que les imams soient formés en territoire français et parlent la langue. Mais cela ne tient pas compte du fait que les imams originaires des pays arabophones ont souvent une compréhension beaucoup plus nuancée des diverses interprétations du Coran, des hadiths et d’autres écrits islamiques. Emmanuel Macron a également interdit le hidjab dans certains contextes, même s’il a voté contre son interdiction dans les compétitions sportives, au contraire du Sénat français.
Marine Le Pen, qui est à la tête du Rassemblement national – l’ancien Front national – veut interdire le hidjab partout, le qualifiant de «vêtement islamiste». L’année dernière, le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Emmanuel Macron a reproché à Mme Le Pen d’être trop indulgente envers l’islam. Le Pen a pourtant dû comparaître en justice après avoir comparé les prières de rue des musulmans à l’occupation nazie.
En écoutant l’ancien chroniqueur et candidat, Éric Zemmour, Marine Le Pen semble moins radicale qu’elle ne l’est. Celui-ci est allé trop loin, affirmant qu’il voulait «sauver la France de l’islam». Il a appelé tous les musulmans français à «s’assimiler et à renoncer à la pratique de l’islam». Il est également un fervent adepte de la théorie du grand remplacement, selon laquelle la population française autochtone sera remplacée par des immigrants musulmans qui deviendront finalement majoritaires.
La France a, bien sûr, souffert de multiples attentats menés par des extrémistes islamistes, notamment l’attentat de 2015 au Bataclan. Mais ce n’est pas une excuse pour accuser tous les musulmans, tout comme il est inacceptable de blâmer tous les chrétiens pour l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine.
Il semble nettement plus facile d’accuser l’islam plutôt que les défaillances du système français. Les musulmans français se sentent exclus et marginalisés. Ils sont généralement les plus défavorisés sur le plan social. Une enquête de 2015 montre que les musulmans ont quatre fois moins de chances que leurs compatriotes catholiques de décrocher un entretien d’embauche. Les musulmans représentent également quelque 60 % de la population carcérale du pays.
«Marine Le Pen ne cesse de progresser dans les sondages, ce qui a poussé Emmanuel Macron à se positionner encore plus à droite, au moment où la gauche se divise de plus en plus.»
Chris Doyle
Cette élection n'offre aux musulmans français aucun répit dans l'hostilité à laquelle ils sont confrontés quotidiennement. Emmanuel Macron pourrait bien triompher à nouveau, mais il devra dynamiser sa base électorale pour y parvenir. Ce qui est certain, c’est que les sentiments antimusulmans et anti-immigrés resteront très répandus et inquiétants. Aucune force française politique importante n’est même disposée à résoudre ce problème de manière significative. Une question plus générale est de savoir comment ce discours antimusulman en France sapera l’élaboration des politiques européennes à l’avenir.
L’hostilité française officielle et obsessionnelle envers les musulmans doit être combattue, car les seules conséquences à long terme seront une société encore plus dangereusement polarisée et un risque réel de violence prolongée. La France a déjà connu des émeutes de masse, notamment en 2005, en plus du mouvement des Gilets jaunes apparu en 2018. Je suis prêt à parier que cela se reproduira, notamment si Marine Le Pen arrive au pouvoir le 24 avril.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com