Immigré de longue date, j’ai eu à suivre, de loin, 7 campagnes électorales en France. L’actuelle n’a rien à voir avec aucune des précédentes. D’abord pour le nombre de candidatures, de la plus aventurière à la plus attendue, en passant par la plus aléatoire, la plus attachante et la plus «enracinée». Au lecteur de distribuer ces qualificatifs comme il l’entend… Mais la campagne que nous vivons en ce moment se distingue surtout par son côté «tohu-bohu», pour reprendre une belle expression biblique on ne peut plus éloquente.
Du tohu-bohu dans l’air
Ainsi, voilà le pays de la Déclaration de l’homme, pays des Lumières, qui se retrouve avec un électorat balloté d’un programme à un autre, d’une promesse la plus surréaliste à la plus généreuse ou la plus démagogique! Les Français ont beau insister sur le pouvoir d’achat, leur préoccupation primordiale, l’extrême-droite, désormais bicéphale, fait semblant de les entendre tout en les rameutant sur le danger de l’immigration sauvage et sur le risque, que dis-je: l’imminence du fantasmatique Grand Remplacement!
Les Français ont beau s’inquiéter de la dévalorisation qui pointe quant à la protection de leur santé et, surtout, de l’âge du départ à la retraite, le pouvoir sortant, en concurrence avec le parti des LR, ressort le slogan éculé du «Travailler plus». Pour «Gagner plus»? Pas sûr! Au vu des milliards sortis comme d’un chapeau par la grâce du «Quoi qu’il en coûte!», pour contrer les effets dévastateurs de la pandémie, les caisses de l’État auront du mal, durant le quinquennat prochain, à garantir le maintien du niveau des salaires!
Nous n’en sommes pas encore là, certes. Encore faut-il qu’il y ait campagne! Une campagne électorale en bonne et due forme, comme il y en a eu durant cette sacrée Cinquième République qui n’en finit pas d’agoniser. Or, le candidat sortant n’en veut pas, de cette campagne. Prétexte: la crise de la Covid et surtout la guerre en Ukraine, à laquelle se sera accroché le président français en scénarisant ses échanges avec le président russe.
«La démocratie a été sévèrement déclassée!», s’est époumoné le candidat Mélenchon, dimanche 20 mars, Place de la République, devant 100 000 personnes, selon l’estimation de son parti. À suivre les reportages, le nombre ne semble pas surestimé. Et, sur les chaînes d’information en continu, les commentateurs (journalistes et politologues) ont eu du mal, cette fois, à banaliser l’événement. On se rappelle au souvenir («pas bon» pour tous, apparemment) de l’élection de 2017, qui manqua de peu de porter au second tour le candidat de la France Insoumise!...
Faire du yoyo, à défaut de faire du… youyou?
De sondage en sondage, certains candidats font du yoyo, quand d’autres ont du mal à faire du… youyou! Comme Anasse Kazib, de père marocain, employé à la SNCF (comme plusieurs membres de sa famille), syndicaliste Sud-Rail, membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qu’il quitte pour créer son propre mouvement, Révolution permanente. Malgré sa médiatisation, il n’aura pas réussi à réunir les 500 parrainages exigés par la Loi. Son nom avait squatté les ondes et les écrans depuis les manifestations des Gilets jaunes et, surtout, depuis son altercation, en décembre 2019, avec le ministre des Transports, dans la célèbre émission Balance ton post de Cyril Hanouna. Menacé de mort sur les réseaux sociaux, et particulièrement de la part de militants du Rassemblement national, il est craint aussi bien de la direction de la SNCF que des autres candidats de gauche. Mais… exit le cheminot né à Sarcelles (banlieue parisienne)!
Des candidatures aussi improbables n’ont jamais manqué à la politique française. C’est de tradition. On se souvient de celle de Coluche qui fit tout de même trembler le système… Mais quid des candidatures considérées comme «légitimes», sinon comme crédibles? De meeting en meeting, les candidats de l’opposition ont du mal à s’imposer. Égarés dans leur inconséquence, jouant à qui promet le plus et à qui sera le plus virulent contre le président sortant, les représentants des partis «historiques» ont du mal à convaincre leurs propres électorats! Certes, le virus Covid a fini par contaminer les esprits, à gauche comme à droite, jusqu’à démobiliser les citoyens, pour qui l’abstentionnisme est déjà un dénominateur commun à toutes les composantes sociales. Ajoutez à cela la désaffection de l’opinion à l’égard de la chose politique et même des hommes et des femmes politiques en personne. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela est du pain bénit pour le président sortant.
Un Salvator Mundi nous est né!
Longtemps, trop longtemps sans doute, candidat non déclaré (sic), Emmanuel Macron n’aura cessé de surfer sur les vagues: celle de la pandémie de Covid-19 et celle de la guerre en Ukraine. C’est ainsi que… «Lors d'une longue conférence de presse à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) devant 320 journalistes, le président sortant a dit vouloir une France “plus indépendante” dans une “nouvelle époque marquée par le retour des crises et de la guerre”, faisant à plusieurs reprises référence à la guerre en Ukraine et à la pandémie de Covid-19».
Servi par son récent et éphémère titre de président du Conseil européen (et non de l’Europe, comme ne cessent de le dire à tort les communicants, y compris des journalistes), Emmanuel Macron joue adroitement et très opportunément sur les deux tableaux. Décrété, par son camp, comme un ersatz de Salvator Mundi («Sauveur du monde», disons de la paix dans le monde), il a tenu à donner de lui l’image du seul chef d’État à pouvoir dialoguer avec Vladimir Poutine, voire à lui tenir tête, sinon à le ramener à la raison.
D’échanges téléphoniques soutenus (parfois des heures, tiennent à préciser ses porte-paroles) en interpellations audacieuses via Twitter, le chef de l’État français se sera distingué par son volontarisme. Ce qui lui vaut, ce qui lui valut des points aux sondages, certes, mais tant qu’il est resté, tant qu’il restait probable candidat… Il faut reconnaître que le service Communication de l’Élysée aura joué son rôle à la perfection. Quand ce n’est pas dans l’exagération. Un exemple…
Les médias annoncent une nouvelle déclinée comme officielle: Emmanuel Macron et Vladimir Poutine se sont mis d’accord pour un sommet du président russe avec le président étasunien. La réalité, vue par le Kremlin, fut autre: selon un mail publié aussitôt par Moscou, «Le Kremlin juge “prématuré” de parler d’un sommet des présidents Vladimir Poutine et Joe Biden, annoncé par la France pour désamorcer la crise»!...
Ainsi, à moins de trois semaines du premier tour, l’électeur français est invité à accepter la volonté du chef: il ne débattra pas avec les autres candidats à la présidentielle. Faut-il comprendre qu’aucun d’iceux ne serait digne de se mesurer au démiurge de la nation, ci-devant Jupiter? Se contentant de conférences de presse et de clips-vidéos en guise de plate-forme programmatique, le candidat-président, ci-devant président-candidat, a dit, il en sera ainsi. Et c’est ainsi que s’instaure, en pleine Europe, la nouvelle démocratie.
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
TWITTER: @SGuemriche
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