Élection présidentielle, quand la Russie s’invite

Difficile pour la campagne présidentielle française de faire abstracion de Vladimir Poutine (Photo, AFP).
Difficile pour la campagne présidentielle française de faire abstracion de Vladimir Poutine (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 24 février 2022

Élection présidentielle, quand la Russie s’invite

Élection présidentielle, quand la Russie s’invite
  • La crise provoquée par la Russie à l’encontre de l’Ukraine laisse planer l’ombre d’une guerre en Europe
  • Dans le cadre de la campagne électorale française, il est difficile de faire abstraction de ce contexte de tension extrême à l’est du continent

La crise provoquée par la Russie à l’encontre de l’Ukraine laisse planer l’ombre d’une guerre en Europe. Rappelons que Vladimir Poutine s’est lancé dans une stratégie d’épuisement de son voisin en organisant de manœuvres militaires incessantes et en stationnant plus de cent mille hommes aux frontières ukrainiennes.
Il s’agit, officiellement, de s’opposer à une éventuelle entrée de l’Ukraine au sein de l’Otan; mais cette manœuvre ressemble beaucoup à une volonté de reconstituer un empire en rassemblant toutes les populations russophones sous la «protection» russe.
C’est ainsi que, de la province moldave de Transnistrie aux régions géorgiennes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en passant par la Crimée et, plus récemment, par le Kazakhstan, les interventions de l’armée russe ou de milices qui lui sont liées ont un objectif qui ressemble à la reconstitution d’un empire basé sur l’appartenance à une ethnie: toute population identifiée comme «russe» ou parlant russe se retrouve ainsi au mieux «protégée», au pire «annexée» – peu importe qu’elle soit située dans un État souverain.
Dans le cadre de la campagne électorale française, il est difficile de faire abstraction de ce contexte de tension extrême à l’est du continent. À première vue, il semble étonnant que des candidats d’un pays occidental et membre de l’Otan comme la France se rangent du côté de l’impérialisme russe. Or, lorsque l’on se prête au jeu des intentions de vote, on s’aperçoit que les candidats pro-Poutine représentent plus de la moitié de l’électorat, ce qui est loin d’être anecdotique et mérite que l’on s’y arrête.
Tout d’abord, il y a les candidats d’extrême droite, qui peuvent avoir des liens financiers et politiques avec la Russie, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen, ou être entourés de conseillers très liés au pouvoir russe, comme Éric Zemmour. Ajoutons que l’extrême droite partage un culte de l’homme providentiel et que l’image de Vladimir Poutine est particulièrement conforme à cet idéal. Les mêmes étaient d’ailleurs admiratifs de Donald Trump, sans pour autant être des proaméricains convaincus. La propagande russe, particulièrement intense sur les réseaux sociaux, cible ce public nostalgique de l’image d’un homme puissant, capable d’imposer sa volonté.
On trouve également une frange non négligeable de l’extrême gauche parmi les admirateurs de la Russie. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, qui n’a jamais caché son admiration pour le régime autoritaire de Nicolas Maduro, au Venezuela, fait preuve d’une bienveillance à peine masquée envers les provocations régulières de l’armée russe. Ses déclarations récentes sur le nécessaire respect des frontières sont d’ailleurs fort ambiguës, puisqu’il ne précise à aucun moment de quelles frontières il parle.
En effet, la Crimée annexée il y a plusieurs années est toujours considérée comme ukrainienne par la communauté internationale et le chef du parti de la France insoumise ne pense évidemment pas à cette région lorsqu’il parle du nécessaire respect des frontières de l’Ukraine. Le candidat communiste, Fabien Roussel, manque également de clarté sur cette question. Il plaide évidemment pour un apaisement, mais sans désigner clairement l’agresseur et son régime.
Dans le cas de l’extrême gauche, cette neutralité bienveillante à l’égard de Poutine s’explique par la traditionnelle opposition à ce que représentent les États-Unis, mais aussi, d’une certaine façon, au charme exercé par Vladimir Poutine. Son image d’homme fort n’est sans doute pas pour déplaire à des dirigeants politiques qui, comme Jean-Luc Mélenchon, ont tendance à ne pas tolérer la moindre dissidence dans leurs rangs.
Enfin, du côté de la droite classique, on peut relever la position très claire de Valérie Pécresse contre les provocations de Poutine, tout en se demandant si elle reflète l’opinion de son camp. Là encore, le fait que l’ancien Premier ministre François Fillon siège au Conseil d’administration de plusieurs sociétés russes liées au pouvoir montre que le travail de sape et d’influence du Kremlin sur les leaders de la droite est assez efficace.
Notons que ce travail d’influence semble complémentaire avec celui que mène la Chine, dont on sait qu’elle entretient des liens étroits avec un autre ancien Premier ministre de droite, Jean-Pierre Raffarin.
En définitive, le fait que des candidats qui représentent plus de la moitié de l’électorat français affichent des positions prorusses ou, au mieux, une neutralité bienveillante à l’égard des agressions de Vladimir Poutine contre l’Ukraine montre l’efficacité redoutable de la diplomatie d’influence du Kremlin menée plus ou moins discrètement depuis plusieurs années. Lorsque l’on analyse l’élection présidentielle française, on ne peut donc pas faire l’économie de cette influence étrangère redoutablement efficace.


Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.