Alors que l’intérêt médiatique se porte surtout sur Éric Zemmour, le désormais candidat classé à l’extrême droite que les sondages placent pour l’instant en troisième position, il se passe quelque chose dans les «vieux» partis français, ceux qui concourent depuis des années au suffrage et monopolisaient les mandats et l’attention médiatique.
En effet, la vie politique française était, avant l’avènement d’Emmanuel Macron, divisée en trois pôles: la gauche, dirigée par le Parti socialiste (PS), la droite, avec un parti, nommé Les Républicains (LR), qui a changé plusieurs fois d’appellation, et l’extrême droite, qui, même si elle conteste cette désignation, semble tout faire pour mériter ce classement, incarnée par le Front national, devenu le Rassemblement national (RN).
Ces trois mouvements se retrouvaient souvent – on a tendance à l’oublier, tant la mémoire politique des Français semble courte –au second tour des élections locales et législatives à l’occasion de triangulaires incertaines. Tous trois pouvaient, jusqu’en 2017, prétendre atteindre la barre des 20% lors du premier tour de l’élection présidentielle.
Or, ces mouvements ont connu des fortunes diverses ces dernières années. Déjà sérieusement «challengée» par Marine Le Pen, la droite traditionnelle s’est vue très sérieusement écornée par l’avènement d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre, Jean Castex, ainsi que les ministres de l’Intérieur, de la Culture, de l’Économie et des Finances (respectivement, Gérald Darmanin, Roselyne Bachelot et Bruno Le Maire) ont tous été débauchés du parti Les Républicains, privant ce dernier de réformistes et d’élus qui devaient leur carrière au parti de droite.
Les deux partis qui ont donné des présidents de la république à la France se sont retrouvés à devoir se contenter de leurs bastions locaux.
Arnaud Lacheret
Le même phénomène a été observé au Parti socialiste. Emmanuel Macron lui-même en était très proche, puisqu’il fut l’un des piliers des gouvernements qui se sont succédé sous François Hollande et a recruté le ministre de la Défense, ses premiers ministres de l’Intérieur et de la Justice ainsi que de nombreux parlementaires au PS. La gauche sociale-démocrate a également été fortement ébranlée par l’arrivée, à sa gauche, des Verts et de Jean-Luc Mélenchon, ainsi que par une forme de course au gauchisme culturel qu’elle n’a pas pu ou pas su contrer.
En définitive, les deux partis qui ont donné des présidents de la république à la France se sont retrouvés à devoir se contenter de leurs bastions locaux: de grandes régions pour LR et plusieurs villes et agglomérations pour le PS.
Ces deux mouvements ont dû, à quelques semaines d’intervalle, désigner leurs candidats pour la présidentielle, et ils ont choisi deux femmes. Anne Hidalgo, la maire de Paris, âgée de 62 ans, portera les couleurs du PS; Valérie Pécresse, 54 ans, présidente de la région Île-de-France, a été désignée par les adhérents des Républicains. Si l’on ajoute la candidature de Marine Le Pen, 53 ans, au nom du Rassemblement national, on se retrouve avec un plateau qui aurait assuré à la France une présidence de la république féminine avant l’arrivée d’Emmanuel Macron.
Personne ne l’a encore remarqué, mais le «monde d’avant» s’est féminisé et se retrouve concurrencé par des candidats hommes.
Arnaud Lacheret
Personne ne l’a encore remarqué, mais le «monde d’avant» s’est féminisé et se retrouve concurrencé par des candidats hommes. Éric Zemmour tente de remplacer Marine Le Pen à la droite de la droite; Emmanuel Macron occupe le terrain de la droite traditionnelle; les écologistes, conduits par Yannick Jadot, et Jean-Luc Mélenchon se disputent ce qui reste du Parti socialiste, victime d’une crise d’identité politique dont profitent ses adversaires de gauche.
Au-delà de la curiosité que suscite le fait de voir trois femmes représenter les trois grands partis d’avant 2017, il est intéressant de constater que, en définitive, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo étaient, au sein de leurs familles politiques respectives, les élues les plus importantes et que c’est presque naturellement qu’elles ont été désignées lors d’un processus interne.
Bien entendu, ces trois femmes sont assez distancées dans les sondages pour l’instant, ce qui n’est pas une conséquence de leur genre, mais bien davantage de la difficulté qu’éprouve leur camp à se renouveler politiquement et à choisir une ligne. Toutefois, nul n’ignore que la vérité des sondages de début décembre est parfois bien loin du résultat d’avril. Nul n’ignore non plus que la résilience des vieux partis, leur capacité à disposer d’une base territoriale et d’élus locaux appréciés peut tout à fait transformer un baroud d’honneur en campagne victorieuse.
Toujours est-il que cette conjonction, qui rassemblait plus de 60% des suffrages il y a dix ans, est curieuse et, d’une certaine façon, permet aussi de braquer un coup de projecteur un peu différent sur une campagne électorale marquée pour le moment par les outrances et les coups de force.
Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
TWITTER: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.