En Europe, la situation est assez tendue à l’approche du second tour de l’élection présidentielle française. Même si Emmanuel Macron est toujours favori, une victoire de Marine Le Pen est plus probable que lors de la dernière élection présidentielle. Ce serait catastrophique pour l’Union européenne (UE) et cela mettrait même en danger son existence.
Mme Le Pen a hérité du parti du Front national de son père, qui prônait une position farouchement ultranationaliste et xénophobe. Bien qu’elle ait tenté de redorer le blason du parti en le rebaptisant «Rassemblement national», son ultranationalisme n’a guère changé.
Cet ultranationalisme s’accompagne d’une prise de position antieuropéenne. L’ultranationaliste, qui adhère à une identité nationale rigide et blasée, voit dans l’intégration d’un cadre plus large comme l’UE une dissolution de son identité française. L’autre raison à l’origine de cette prise de position est que la France a moins de contrôle sur ses frontières en appartenant à l’UE. Si elle remporte cette élection, Marine Le Pen exercera une discrimination contre les citoyens européens en France, ce qui va à l’encontre de certains principes fondateurs de l’UE. La montée en puissance de Mme Le Pen, qui ne soutient pas les sanctions contre l’approvisionnement en énergie de la Russie, et qui est ouvertement proche du président russe, Vladimir Poutine, serait un véritable désastre pour l’Europe, surtout en ce moment.
Une Europe unie représente une menace pour le dirigeant russe, tandis qu’une Europe désunie est une possibilité d’exercer une véritable influence. La guerre en Ukraine tourmente l’âme européenne. Désormais, c’est la Russie qui constitue la principale menace, alors que pendant longtemps, c’était l’extrémisme islamique, notamment pour les Français. Cela pourrait représenter un obstacle pour Marine Le Pen. Son slogan préféré, qui est de combattre l’islamisme, est de fait moins attrayant et son admiration pour M. Poutine, un handicap.
Néanmoins, Mme Le Pen a su s’adapter. Elle concentre sa campagne sur le coût de la vie et la classe ouvrière qu’elle appelle la «France des oubliés». Elle a organisé de petits rassemblements dans des quartiers pauvres, en dehors des grandes villes, décrivant Emmanuel Macron comme un élitiste déconnecté de la réalité. Le message de Marine Le Pen a en partie justifié sa position prorusse en se concentrant sur les prix de l’énergie, notamment parce que son public vit dans des zones reculées et doit parcourir de longues distances en voiture. Elle est contre le fait de sanctionner l’énergie russe, car cela provoque l’augmentation du prix du carburant pour ces personnes.
D’autre part, Emmanuel Macron ne semble plus orienter sa politique en faveur des immigrés.
À ses débuts, il était considéré comme sympathisant de la cause des immigrés. Après son arrivée à l’Élysée, il a progressivement viré à droite. Sa position sur les caricatures et sur le passé colonialiste de la France en Algérie, entre autres, a rebuté une partie importante de son électorat d’origine. La position de M. Macron sur l’islam témoigne d’un point de vue ferme sur la sécurité nationale et les principes français. Cependant, il a indirectement aidé Marine Le Pen en normalisant le racisme. Mme Le Pen n’est plus considérée comme une raciste d’extrême droite, car elle adopte une position similaire à celle du président soi-disant «centriste». Par conséquent, les électeurs, qui avaient massivement voté contre elle, resteront chez eux, car ils ne considèrent plus Emmanuel Macron comme une meilleure option. Par ailleurs, Marine Le Pen touche au combat quotidien du citoyen français moyen, tandis que M. Macron apparaît comme arrogant et détaché de la réalité. Emmanuel Macron commence tout juste à monter en puissance dans sa campagne.
«Emmanuel Macron a fait l’erreur de virer à droite au lieu de gouverner en centriste. Rien ne le différencie donc de Marine Le Pen.» Dr Dania Koleilat Khatib
Désormais, le combat oppose la droite, représentée par M. Macron (bien qu’il se présente comme un centriste), et l’extrême droite, représentée par Mme Le Pen. Emmanuel Macron a pu profiter de l’absence du Parti socialiste qui n’a pas réussi à faire entendre sa voix. Anne Hidalgo, qui représente la gauche, n’a bénéficié que d’1,7 % des voix. La gauche a été détournée par l’extrême gauche, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, qui prévoit de taxer à 100 % les patrimoines qui dépassent douze millions d’euros, ce qui tuerait l’économie de marché.
De nombreux facteurs entrent en jeu.
Ce qui compte, désormais, ce sont les électeurs de M. Mélenchon, qui a obtenu 22 % des voix au premier tour. Les sondages montrent que 34 % voteront pour M. Macron et 30 % pour Mme Le Pen. Emmanuel Macron a fait l’erreur de virer à droite au lieu de gouverner en centriste. Rien ne le différencie donc de Marine Le Pen, dont la défaite dépendra du nombre de personnes qui se rendront aux urnes pour voter contre elle.
Bien que Marine Le Pen n’ait pas prononcé le mot «Frexit» – au moment où l’on se rend compte des mensonges qui ont conduit au Brexit et à ses conséquences –, elle va imposer une préférence française au sein de toutes les relations internationales, ce qui affaiblira le pouvoir de négociation et le poids de l’UE sur la scène mondiale. Néanmoins, les Français sont généralement des Européens fiers et ils veulent un plus grand leadership français au cœur de l’UE. Il lui sera donc difficile de rompre les accords existants.
Les trois principales puissances de l’UE étaient auparavant l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Avec le Brexit, la politique européenne est devenue principalement franco-allemande, et les deux pays trouvent généralement le bon équilibre dans les décisions. Le fait qu’il y ait deux puissances principales au sein de l’UE garantit le niveau minimum de multilatéralisme sur lequel l’union repose. L’UE a besoin d’être dirigée par des membres qui ont un certain poids politique, en particulier en matière de politique étrangère. Alors que M. Macron appelle à un plus grand pouvoir fédéralisé et à une union sans cesse plus étroite, Marine Le Pen fera probablement le contraire et affaiblira considérablement l’UE.
L’élection de Mme Le Pen n’aurait pas seulement une incidence sur les relations citoyen-État et la politique étrangère en France, mais sur l’avenir tout entier de l'Europe. Si Marine Le Pen gagne et que l’Europe et l’Otan – dont elle s’est engagée à se retirer – sont en crise, il faudra rejeter la faute sur le président sortant qui a normalisé l’extrême droite.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com