Les partisans d’Emmanuel Macron estimaient que la guerre en Ukraine donnerait un «coup de pouce» à ses chances électorales, mais cela pas semblé aussi évident après le premier tour, la semaine dernière. Avec 27 % des votes, suivi de près par Marine Le Pen, la candidate d'extrême droite, à 24 %, et de l’homme politique de gauche, Jean-Luc Mélenchon, à 22 %, la campagne relativement tardive de Macron n'a pas réellement écarté ses concurrents. C'est une élection caractérisée par les extrêmes, la démagogie, et la politique de la peur.
Macron et Le Pen ayant atteint le second tour, ils dépendront désormais des électeurs de la classe ouvrière de Mélenchon que Le Pen a qualifiée de «France oubliée». La marginalisation sociale de la campagne, jusqu'à présent, ne peut que se poursuivre, alors que les deux candidats cherchent à faire des migrants la source de tous les maux de la France.
En mai 2017, Macron est devenu le plus jeune président de l'histoire du pays, remportant l’élection avec 66,1 % des voix au second tour, après avoir battu Le Pen. Son mouvement En Marche!, socialement et économiquement libéral, était qualifié de «progressiste». L'ancien banquier, figure neuve et sceptique, avait juré de «débloquer la France», affirmant que l'ancien président, François Hollande, était «normal» et qu'il gouvernerait dans un style jupitérien. C'est ce qu'il a fait, et bien qu'il ait supervisé plusieurs réformes relatives à la loi du travail et la fiscalité, ses mesures ont parfois été impopulaires.
L'opposition à une proposition de taxe sur les carburants a atteint son paroxysme avec les manifestations des Gilets jaunes en 2018, suivies par d’autres mouvements de protestation. Ce même sentiment a récemment refait surface alors qu'il cherchait à relever l'âge de la retraite et à rationaliser les 42 régimes de retraite publics existants en France.
Macron pouvait autrefois prétendre être un «outsider» politique, un candidat qui offrait une alternative à ce qu'il qualifiait de partis politiques sclérosés et dysfonctionnels. Cependant, cinq ans plus tard, plusieurs scandales lui ont donné une réputation de clientélisme et de prétention obstinée qui en a rebuté plus d'un.
Bien qu'il soit diplômé du Lycée élitiste Henri IV, de l’École nationale d'administration (ENA), et qu’il ait travaillé dan à la banque Rothschild, Macron s'est d'abord présenté avec succès comme un candidat en opposition à la classe dirigeante. Son mandat a toutefois montré que c’était une erreur de jugement. Les manifestations des Gilets jaunes et la réponse brutale de l'État n'ont servi qu'à susciter des doléances beaucoup plus importantes de la part de la classe ouvrière durant le mandat de Macron.
Malgré un taux de chômage de seulement 7,4 %, ce sentiment s'est accru, Le Pen le plaçant au cœur de sa campagne. Se concentrant largement sur les questions du coût de la vie, elle a fait référence à plusieurs reprises au président «élitiste et riche» qui ne «comprend pas les petites gens», alors que son slogan de campagne est «Pour tous les Français». Elle a fait campagne presque exclusivement en dehors des grandes villes avec de petits rassemblements et des visites sur les marchés locaux, montrant qu'elle suivait les luttes quotidiennes des citoyens à la suite de la pandémie.
Le Pen cherche à souligner que le pays est divisé en fonction de profondes fractures géographiques – les gens vont bien dans les centres urbains et les zones touristiques, alors qu’ils vivent moins bien dans les zones rurales et les petites villes. Bien qu'elle ait pris ses distances avec son parti, son message est toujours xénophobe et source de division.
L'analyse du paysage électoral français s'est concentrée sur trois forces: l'extrême droite avec Le Pen et Zemmour, le centre avec Macron, et la gauche radicale avec Mélenchon. Cependant, une quatrième force électorale, les 6,5 millions d'immigrés de France, n'a pas vraiment eu voix au chapitre, mais a plutôt été utilisée comme champ de bataille par Macron et Le Pen pour faire valoir leurs arguments.
Là où Le Pen a affirmé que les femmes portant le foulard seraient condamnées à une amende et que les prestations de l'État seraient accessibles par paliers, profitant aux citoyens nés en France avant les immigrés, Macron a poursuivi son discours sur «l'islamo-gauchisme». À la suite du recul de ses réformes, il a constamment affirmé que les valeurs françaises étaient menacées par les principes islamiques.
L'accent mis sur les migrants et l'islam est loin du soutien que Macron a obtenu lors des dernières élections, lorsque des socialistes comme Daniel Cohn-Bendit et même la Grande Mosquée de Paris se sont prononcés en sa faveur. En tant que rempart contre l'extrême droite, Macron avait bénéficié du soutien du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de l'ancienne chancelière allemande, Angela Merkel, et de l'ancien président américain Barack Obama.
Mais la centralisation du pouvoir et de la richesse à Paris étant responsable de l'inégalité qui existe en France, le président a de plus en plus cherché à faire appel au sentiment xénophobe et à détourner l'attention de son programme de réforme problématique. Alors que sa campagne électorale de 2017 encourageait la tolérance envers les immigrés et les musulmans, exprimant sa confiance dans la capacité de la France à absorber davantage d'étrangers, il soutient désormais le fait que la France «ne peut pas contenir tout le monde» et que «le séparatisme islamique met en danger notre République».
«Alors que les précédentes élections étaient remportées par des candidats promettant de faire barrage à l'extrême droite, cette élection pourrait être remportée par le candidat qui la représentera avec le plus de succès»
Zaid M. Belbagi
Compte tenu de la campagne de plus en plus élaborée de Le Pen, Macron a changé de cap. Il s’est adressé cette semaine aux électeurs du Havre: «Il n'y a pas un seul pays au monde qui interdit le port du foulard en public. Est-ce que vous voulez être les premiers?», a-t-il interrogé. Lors d'une rencontre, il a soutenu une femme musulmane dans son choix de porter le hidjab. Pour de nombreux électeurs, ses tentatives de montrer son soutien aux citoyens musulmans après avoir passé son mandat à les railler semblent artificielles.
La connotation raciste désagréable de l’élection présidentielle trouve son fondement dans le propre discours de Macron comme président. Alors que les deux candidats se disputent actuellement l'électorat autrefois de gauche, il est de plus en plus clair que malgré les différences idéologiques, l'extrême gauche et l'extrême droite ont beaucoup en commun: la colère contre la classe dirigeante, une méfiance vis-à-vis de la mondialisation, une distanciation à l’égard de la politique traditionnelle et de l’exclusion économique, ainsi que la peur de l’immigration. Alors que les précédentes élections étaient remportées par des candidats promettant de faire barrage à l'extrême droite, cette élection pourrait être remportée par le candidat qui la représentera avec le plus de succès.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseiller auprès de clients privés à Londres et dans les pays du CCG.
Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com