Tout le monde attendait cette deuxième manche du débat après celui de 2017 et force est de constater que ce Macron/Le Pen 2022 a tenu ses promesses pour peu qu’on le regarde au prisme des objectifs de campagne de chacun.
Au fond, le président sortant visait tout particulièrement l’électorat de gauche «intellectuel» ainsi que celui de Valérie Pécresse, son adversaire désignée du parti Les Républicains du deuxième tour. Le but du débat pour lui était d’apparaître meilleur que son adversaire sur les dossiers et sur le fond, et il y est parvenu.
La pointe d’arrogance, parfois un peu trop visible lors du débat, ne gênera pas l’électorat majoritairement urbain et diplômé qui était visé. Il fallait convaincre ces électeurs qu’il était très différent de Marine Le Pen et qu’il pouvait la dominer, quitte à faire preuve d’une agressivité parfois à la limite. Le ton professoral employé à l’occasion et la virtuosité sur les chiffres ainsi que les aspects techniques lui permettent de passer pour un président compétent, qui n’a pas peur de défier l’extrême droite.
Le président sortant a tenté de lui faire perdre les pédales comme en 2017, mais il n’y est pas parvenu.
Cet électorat de gauche ou de droite qui aurait pu s’abstenir sera rassuré et pourrait être tenté de voter Macron «malgré tout» dimanche, justement parce qu’il aura donné des gages.
Marine Le Pen n’avait pas le même objectif. Il lui fallait gommer sa contre-performance de 2017 où elle avait été mauvaise et très maladroite en prouvant qu’elle pouvait tenir tête au président sortant. Ce brevet de compétence n’a peut-être pas été obtenu pleinement, mais elle a au mieux convaincu qu’elle avait progressé et qu’elle était loin d’être ridicule face à Emmanuel Macron.
L’autre point sur lequel Marine Le Pen a rempli son objectif était celui de la forme. Il lui fallait rester calme, maîtresse d’elle-même afin de poursuivre sa dédiabolisation. Il lui fallait tenir un discours plus simple et accessible que celui de M. Macron afin de mobiliser un électorat populaire, notamment issu des rangs du parti de Jean-Luc Mélenchon.
Le calme affiché face à un Emmanuel Macron volontiers agressif et lui coupant fréquemment la parole, sans riposter outre mesure, est à mettre à son crédit. Le président sortant a tenté de lui faire perdre les pédales comme en 2017, mais il n’y est pas parvenu. Factuellement, elle a sans doute commis quelques erreurs, mais ce n’est pas à un électorat qui considérera ces dernières comme importantes qu’elle s’adressait.
Toutefois, quel que soit le résultat, ce débat aura été à l’image de la France, dévoilant deux blocs difficilement conciliables et qui ne dialoguent pas entre eux.
Les thèmes abordés n’ont pas réellement permis d’assister à un véritable pugilat qu’attendaient sans doute les téléspectateurs, mais il est évident que les deux candidats ne cherchaient pas l’affrontement direct, car ils avaient chacun autre chose à prouver: pour Emmanuel Macron, la compétence mâtinée d’arrogance; pour Marine Le Pen, la retenue et la forme même si le fond n’y était pas toujours.
D’un côté, on a voulu se montrer pugnace contre l’extrême droite afin de séduire un électorat de gauche à mobiliser pour le deuxième tour; de l’autre, on a voulu mobiliser l’électorat populaire qui pourrait s’abstenir de peur de voter pour quelqu’un d’extrémiste. Le côté jugé parfois méprisant d’Emmanuel Macron n’avait pas pour but de séduire l’électorat populaire qui n’a pas manqué de le lui reprocher parfois violemment durant ces cinq dernières années tout comme le côté parfois brouillon et imprécis de Marine Le Pen n'aura pas d’influence pour un électorat urbain de gauche qui, de toute façon, n’aurait pas voté pour elle.
Nous verrons dimanche qui a réellement remporté son pari et aura réussi à mobiliser le plus l’électorat qu’il visait. Toutefois, quel que soit le résultat, ce débat aura été à l’image de la France, dévoilant deux blocs difficilement conciliables et qui ne dialoguent pas entre eux. Le prochain président devra avoir conscience de cette rupture et s’employer à la résorber, sous peine de passer pour un diviseur d’une société déjà profondément fracturée.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
TWITTER: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.