Le Royaume procède à des réformes dans tous les domaines depuis des années, si bien que, parfois, certaines d’entre elles passent inaperçues. Pourtant, le 8 mars 2022, la loi sur le statut personnel ouvre la porte à une modernisation sans précédent pour les femmes et, d’une façon plus générale, pour la famille en Arabie saoudite.
Plusieurs éléments de cette réforme risquent d’avoir des effets durables. D’abord, le fait que désormais, nul homme ne peut s’opposer au mariage d’une femme avec celui qu’elle a choisi. Si, dans les faits, ce type de mariage contraint était de plus en plus rare, cela pouvait donner lieu à des conflits qui allaient parfois bien au-delà du cercle familial.
Ainsi, on oublie souvent que la peine à laquelle le blogueur Raif Badawi, libéré cette semaine, avait été condamné portait d’abord et avant tout sur la désobéissance dont il avait fait preuve vis-à-vis de son père, puisqu’il avait pris le parti de sa sœur qui refusait d’épouser l’homme qu’on lui imposait. Aujourd’hui, Raif Badawi ne pourrait sans doute plus être condamné pour ce motif.
Le fait qu’on ne puisse légalement plus contraindre une femme à épouser un homme qu’elle ne désire pas épouser est une avancée qui permettra aux Saoudiennes de savoir que, désormais, le droit est de leur côté. Dans certaines familles conservatrices, il va désormais être possible de s’appuyer sur le droit pour faire évoluer la culture et les mentalités sur le chemin de ce que j’ai appelé la «modernité arabe» dans mes recherches.
L’autre point très important, et qui n’a pas été suffisamment relevé, porte sur la garde des enfants en cas de divorce. En effet, alors que les enfants étaient très souvent remis au père, la réforme du 8 mars stipule que, désormais, la garde serait accordée à la mère par défaut.
Ce nouveau statut, dont il a bien été précisé qu’il était conforme à l’islam, équilibre grandement les relations entre hommes et femmes, mais il dépend désormais de la capacité des femmes saoudiennes à le faire respecter et, parallèlement, à faire évoluer les mentalités. Comme je l’ai montré dans mon livre La femme est l’avenir du Golfe, les réformes du Royaume, surtout quand elles touchent la famille, ne pourront fonctionner que si les mentalités évoluent; elles ne peuvent le faire que si la jeunesse, et notamment les femmes, parvient à incarner ce changement en se conformant à la culture saoudienne.
C’est ce que les observateurs occidentaux ont le plus de mal à comprendre. Les sociologues analysent en effet avec difficulté la façon dont la jeunesse saoudienne fait évoluer le pays sans heurts et dans un respect des traditions qui permet de faire bouger l’ensemble de la société par la négociation, notamment au sein de la famille.
C’est ainsi que les filles sont parvenues à convaincre leurs familles de l’importance de faire des études, de travailler, et que leurs pères sont eux-mêmes devenus les promoteurs de cette modernité. Le schéma de diffusion est très différent de celui que les sociologues occidentaux ont l’habitude d’observer. Là où la mobilisation militante est l’instrument des grandes réformes en Europe, ces dernières reposent en Arabie saoudite sur ce que certains nomment un «non-mouvement social». Il s’agit d’un comportement adopté par des individus sans qu’ils se soient concertés au préalable et qui conduit, en définitive, à un changement social en douceur.
C’est précisément ce qu’il s’est produit avec l’accès des femmes à l’emploi et aux études supérieures. Il y a de fortes probabilités que ce mouvement se poursuive après l’adoption de ce nouveau statut personnel.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.