Le mois dernier, le roi Salmane a promulgué un décret royal faisant du 22 février de chaque année un jour férié officiel dans tout le pays pour commémorer le « Jour de la fondation » de la nation - une décision qui est loin de relever du protocole normal.
Le roi Salmane est connu pour sa passion pour l'histoire, sa connaissance poussée des tribus et des familles de la péninsule arabique, de la biographie des transformations qui ont eu lieu et des batailles historiques qui ont été menées. Ses visiteurs lui prêtent toujours une oreille attentive.
La Fondation du roi Abdulaziz pour la recherche et les archives, connue sous le nom de Darah, a été créée en 1972 pour servir d'organisme spécialisé au service de l'histoire, de la géographie, de la littérature et du patrimoine de l'Arabie saoudite, de la péninsule arabique et du monde arabe. Le roi Salmane préside le conseil d'administration de Darah, non seulement parce qu'il est membre de la famille régnante, mais aussi parce qu'il porte un intérêt personnel à l'histoire saoudienne. D'où l'importance de la décision de commémorer le 22 février comme le jour de la fondation de la nation, qui marque la création du premier État saoudien en 1727 par l'imam Mohammed ben Saoud.
Ben Saoud a gouverné Diriyah, dans le centre de l'Arabie, après en avoir réuni les différentes parties, y avoir établi la sécurité et la stabilité, protégé les convois et fourni un environnement dans lequel les gens pouvaient commercer, cultiver et faire des affaires sans craindre les bandits, les raids tribaux ou les vols.
Fournir un environnement sûr était une entreprise difficile, car les tribus se battaient généralement entre elles et voulaient se contrôler. L'unification de ces tribus a été une réalisation politique importante qui a ouvert la voie à Ben Saoud pour poser la première pierre de la cité-État, étape initiale d’un projet plus vaste.
Les historiens ont négligé l'année 1727 malgré son importance, se concentrant toujours sur 1744, année où Ben Saoud et le cheikh Mohammed ben Abdel Wahab ont signé leur célèbre accord. La principale raison en est que la majorité des conteurs et historiens saoudiens étaient eux-mêmes des érudits religieux ou étaient influencés par eux, d'autant plus que « l’histoire religieuse » prévalait auprès du grand public. Une autre raison est que les rares personnes qui excellaient dans l'écriture étaient soit des clercs, soit des personnes connues sous le nom de police religieuse, ou Mutawa.
La religion, qui avait un impact majeur sur la vie des habitants de la péninsule arabique, était au cœur de la biographie sur la formation du premier État saoudien, bien que la véritable action politique ait eu lieu environ 17 ans plus tôt. Il ne faut pas perdre de vue qu'Abdel Wahab a quitté sa ville d'Al-Uyaynah après avoir été rejeté par beaucoup de ses habitants, y compris des membres de sa propre famille, et s'est rendu chez Ben Saoud, qui a trouvé qu'il y avait un discours religieux dont il pouvait bénéficier pour construire l'État, établir la sécurité et commencer son projet.
Ben Saoud ne s'est donc pas tourné vers Abdel Wahab, mais c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Le religieux a utilisé l'homme politique dans le but de le protéger et de diffuser son message.
Ainsi, l'annonce par le gouvernement saoudien de la Journée de la fondation est une correction du récit historique qui a prévalu pendant des années. Elle consolide également les fondements politico-civils de l'État en tant qu'entité vivante qui se développe et n'est pas encadrée par une doctrine spécifique.
Il a été largement promu que la base de la gouvernance en Arabie saoudite est la coopération et l'accord entre Ben Saoud et Abdul Wahab, et que c'est cette dualité qui donne aux dirigeants saoudiens la « légitimité », sans laquelle ils perdent leur crédibilité religieuse et populaire et ne peuvent pas perdurer. Ce récit est dangereux dans le sens où il véhicule une image de l'État saoudien « wahhabite », avec une vision unilatérale de la religion qui est incapable de dépasser le discours et l'idéologie d'Abdel Wahab.
Les islamistes radicaux, qu'il s'agisse des mouvements salafistes traditionnels ou de l'islam politique - comme les Frères musulmans et Al-Srouria, ou le « courant Srouri », qui est un mélange des idées des Frères et de l'idéologie salafiste - ont soutenu l'idée de la dualité « imam et cheikh » à des fins politiques, à savoir bénéficier d'un statut spécial.
Le Jour de la fondation abolit cette dualité politico-religieuse et fait de l'État national le point de référence des individus qui y vivent, indépendamment de leur religion ou de leurs doctrines.
Cet acte s'apparente à un changement révolutionnaire dans les concepts sociaux, culturels et même religieux en Arabie saoudite, car il fait table rase d'une histoire ancienne taillée par les clercs et met en place un nouveau discours, à la mesure des objectifs ambitieux que la Vision 2030 veut atteindre.
Il va sans dire que les religieux purs et durs s'opposeront rigoureusement à ce changement socio-religieux, qui est important pour l'établissement philosophique de la Vision 2030. Sans une culture libérale et courageuse qui enlève à l'État du poids de l'histoire ancienne, le changement de l'Arabie saoudite sera incomplet.
Désormais, le Jour de la fondation sépare deux périodes et donne la priorité à la nature laïque de l'État, la religion étant une affaire personnelle entre un individu et le Créateur. Les individus ont le droit de pratiquer leurs croyances et leurs rituels religieux sous le couvert de la loi, qui garantit ce droit. Mais l'État ne sera pas l'otage de circonstances historiques dépassées.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
Hassan Al-Mustafa est un écrivain et chercheur saoudien qui s'intéresse aux mouvements islamiques, au développement du discours religieux et aux relations entre les États du Conseil de coopération du Golfe et l'Iran.
Twitter : @Halmustafa