La guerre en Ukraine complique les pourparlers sur le nucléaire iranien

Pour les négociateurs, c’est peut-être une bénédiction qui leur permet de naviguer sur une mer particulièrement houleuse en vue de parvenir à un accord (Photo, AN).
Pour les négociateurs, c’est peut-être une bénédiction qui leur permet de naviguer sur une mer particulièrement houleuse en vue de parvenir à un accord (Photo, AN).
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Publié le Vendredi 11 mars 2022

La guerre en Ukraine complique les pourparlers sur le nucléaire iranien

La guerre en Ukraine complique les pourparlers sur le nucléaire iranien
  • Les événements en Ukraine rendent plus pressante que jamais la nécessité de parvenir à un accord
  • L’État hébreu est convaincu que toutes les solutions de rechange placent sa survie entre les mains de Téhéran

L’intérêt des médias internationaux est souvent fugace. Il n’est donc pas surprenant que la guerre en Ukraine ait récemment fait la une des journaux et que les tentatives pour relancer l’accord sur le nucléaire iranien à Vienne aient été écartées.
Pour les négociateurs, c’est peut-être une bénédiction qui leur permet de naviguer sur une mer particulièrement houleuse en vue de parvenir à un accord sans l’attention continue de l’opinion publique. Cependant, les événements en Ukraine rendent plus pressante que jamais la nécessité de parvenir à un accord qui empêcherait l’Iran de se doter de la capacité militaire nucléaire. La volonté de prolonger les pourparlers au-delà de la date limite de la semaine dernière indique que les deux parties souhaitent conclure un accord qui éviterait des sanctions plus sévères contre l’Iran et même une éventuelle confrontation militaire.
Un pays, en particulier, semble s’intéresser à ces négociations, bien qu’il n’y prenne pas part: Israël. Pendant toute la durée des négociations dans la capitale autrichienne, les haut gradés israéliens ont plutôt fait profil bas. Cela peut en partie être attribué à l’approche générale du gouvernement actuel pour éviter l’exagération qui a caractérisé les années Netanyahou.
Néanmoins, Israël semble convaincu du fait qu’il soit impossible d’atteindre les résultats souhaités – c’est-à-dire que Washington ne rejoigne pas le Plan d’action global conjoint (PAGC) – en s’opposant à tout accord, en particulier de manière publique. Cela mettra également à rude épreuve les relations avec l’administration Biden. On espère en outre que, avec un changement de présidence en Iran – du plus pragmatique Hassan Rohani au partisan de la ligne dure Ebrahim Raïssi –, ce seront les Iraniens qui feront dérailler les négociations: ils présenteront des exigences déraisonnables qui rendront impossible tout retour à l’accord de 2015.
Étant donné qu’il ne fait pas partie de l’accord, l’État hébreu affirme qu’il n’est pas non plus tenu d’en respecter les dispositions et que ses relations avec Téhéran seront dictées uniquement par ses propres considérations de sécurité. Le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, a récemment averti que l’accord permettrait à l’Iran d’installer d’innombrables centrifugeuses, ce que son gouvernement ne permettra jamais.
La notion des prétendues clauses de caducité en vertu desquelles la plupart des restrictions sur le programme nucléaire iranien, ainsi que toutes les sanctions, seront supprimées d’ici à 2025, est considérée par Israël et la majeure partie de la région comme une autorisation pour l’Iran de se doter de l’arme nucléaire en disposant de ressources accrues pour le faire.

Israël considère l’approche de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran en général et de son programme nucléaire en particulier comme un moyen de repousser l’inévitable.
Yossi Mekelberg


À ce stade, les hypothèses de travail des décideurs israéliens sont que tout changement radical dans l’approche de Téhéran pour développer une telle capacité est hautement improbable, tout comme un changement radical du régime lui-même, mais aussi qu’il serait impossible pour la communauté internationale d’entreprendre une action militaire contre l’Iran.
Selon la presse israélienne, dans un discours au siège du Mossad, Naftali Bennett a clairement indiqué que «la mission gargantuesque qui pèse sur les épaules [du Mossad] est d’empêcher la mise en place d’un Iran nucléaire. C’est une mission avec laquelle vous vous débattez depuis de nombreuses années, mais il semble que nous nous rapprochions de plus en plus du moment de vérité».
Reste à voir comment ce «moment de vérité» sera opérationnalisé. Il suppose en tout cas qu’Israël laisse sur la table non seulement ses opérations clandestines et ses cyberattaques qui visent à faire échouer le programme nucléaire iranien en coopération avec d’autres pays de la région, mais aussi qu’il conserve le projet apocalyptique d’une opération militaire plus large, aussi improbable que cette option puisse sembler. Cela découle moins d’une inquiétude profonde quant à la possibilité que l’Iran se dote de l’arme nucléaire que de la crainte qu’un Iran protégé par des armes nucléaires ne devienne une force de déstabilisation encore plus grande dans la région.
Israël est sans doute conscient de l’ironie de la situation, étant donné qu’il s’est opposé à la signature initiale du PGAC et qu’il a activement encouragé le président Donald Trump à se retirer de l’accord. Aujourd’hui, après cette décision unilatérale des États-Unis, l’Iran est plus que jamais sur le point de devenir une puissance nucléaire.
De plus, bien qu’Israël ait déclaré à plusieurs reprises que le fait d’empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire constitue sa priorité absolue, les possibilités de mener une opération militaire qui vise directement le programme nucléaire iranien sont limitées. Mais le message – tel qu’il a été délivré la semaine dernière par le ministre de la Défense israélien, Benny Gantz – est le suivant: «Qu’un retour à l’accord sur le nucléaire ait lieu ou pas, Israël continuera à faire tout ce qu’il faut pour empêcher l’Iran de devenir une menace existentielle dotée d’une capacité nucléaire.»
Un retour à l’accord sur le nucléaire est perçu comme un double coup dur pour Israël, puisque son ennemi juré bénéficiera d’une augmentation des revenus avec la levée des sanctions, mais, cette fois, ses ambitions nucléaires et son aventurisme dans la région se heurteront à moins de limites conventionnelles et financières.
De plus, les sanctions imposées au grand fournisseur de pétrole et de gaz qu’est la Russie après son attaque contre l’Ukraine seront sans doute bénéfiques à l’Iran à mesure que les prix de l’énergie augmentent. C’est d’autant plus vrai avec la découverte de l’immense gisement de gaz naturel de Tchalous, dans la mer Caspienne, qui pourrait aider Téhéran à devenir un producteur de gaz encore plus important pour l’Europe si les négociateurs de Vienne parviennent à un accord et que les sanctions sont levées.
Israël considère l’approche de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran en général et de son programme nucléaire en particulier comme un moyen de repousser l’inévitable. Au bout du compte, les conséquences qui pèsent sur la sécurité régionale et l’État hébreu lui-même sont trop graves pour que ce dernier les accepte.
La guerre en Ukraine constitue également une situation délicate pour Israël, puisqu’il ne peut pas se permettre de rester neutre: ne pas soutenir l’héroïque résistance ukrainienne serait moralement répréhensible; par ailleurs, adopter un comportement passif indignerait certainement Washington et ses principaux alliés en Europe. Cependant, Israël craint également d’éventuelles représailles du Kremlin en Syrie qui entraveraient ses opérations contre les cibles iraniennes et le Hezbollah, jusque-là tolérées par la Russie.
Contenir les ambitions nucléaires de l’Iran devient une question de plus en plus complexe pour Israël, mais l’État hébreu est convaincu que toutes les solutions de rechange placent sa survie entre les mains de Téhéran.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com