Tandis que la guerre fait rage en Ukraine, et que tous les regards sont braqués sur ce conflit sanglant en Europe de l’Est, les pourparlers sur le programme nucléaire iranien se poursuivent de plus belle. Les avances sont substantielles. Toutes les parties concernées s’accordent à dire qu’en ce moment, la conclusion d’un deal qui marquerait la relance de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA) serait imminente entre les pays signataires et l’Iran. Ces derniers jours les déclarations des responsables iraniens affichaient même un optimisme accru. Le guide iranien Ali Khamenei s’est d'ailleurs montré conciliant dans ces derniers discours. Il a même tenu, au grand dam de Moscou, à ne pas prendre de position ferme vis-à-vis de son allié russe dans la guerre en Ukraine de crainte de mettre en péril les dernières négociations qui entrent dans leur phase finale. Plusieurs sources bien informées ont pronostiqué une annonce imminente qui pourrait avoir lieu avant la fin de cette semaine.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux regorgent de commentaires faits par des anciens collaborateurs du chef de la délégation américaine Robert Malley qu’ils accusent d’avoir tout fait pour relancer le deal de 2015, ce à n’importe quel prix. Mr Malley serait ainsi coupable, entre autres, d’avoir failli à sa mission qui consistait à relancer un deal plus robuste. Il s’est plié à l’exigence des Iraniens en acceptant le principe de la levée des sanctions américaines qui ne relèvent pas du programme nucléaire.
Il est vrai que l’administration Biden s’est fixé comme objectif le retour des États Unis à l’accord de 2015 conclus par l’administration du président Barack Obama. L’équipe que l’actuel président américain avait mandaté afin de conduire les pourparlers à Vienne était composée de diplomates et d'experts provenant d’horizons bien différents. Au fur et à mesure que les négociations avançaient, Mr Malley et ses proches collaborateurs ayant presque tous fait partie de l’ancienne équipe de l’administration Obama, a pris le dessus de manière à pousser toutes les voix dissidentes vers la porte de sortie. Dernièrement plusieurs personnalités de premiers plan dans l’équipe de Vienne ont fini par démissionner en protestation contre le manque de fermeté américaine dans les négociations. L’administration Biden n’essayera pas de les retenir. Elle gardera le cap sur un retour, à n’importe quel prix, à l’accord antérieur qui serait accompagné d’allègements supplémentaires des sanctions américaine visant des personnalités clés du régime accusées d’atteintes aux droits de l’homme.
De toute évidence l’administration Biden et Téhéran profitent de la crise ukrainienne pour avancer leurs pions
- Ali Hamade
On parle notamment du guide Ali Khamenei, et de l’actuel président Ebrahim Raïssi, ainsi que d’autre dignitaires ayant commis des exactions à l’encontre d’opposants pacifiques au régime. Ça ne s’arrête pas là ; l’équipe conduite par Malley (commissionné par la Maison Blanche), fera fi du sujet de la prolongation de la durée de l’accord. Elle acceptera tous les contours du traité de 2015 sans aucun amendement. Pire encore, les deux sujets explosifs portants sur le programme de missiles balistiques, et des ingérences iraniennes dans la région seront mis à l’écart de peur d’entraver le cours des négociations.
Ces dernières semaines qui ont précède la guerre en Ukraine, il devenait clair que l’administration Biden avait pris la décision de conclure l’accord coûte que coûte dans les plus brefs délais. La devise Biden étant qu’un mauvais accord vaudrait mieux que l’absence d’accord.
Cependant, alors que le rideau américain est tombé, on assiste à une scène assez surréaliste ; les Russes entraveraient la conclusion de l’accord. Ils exigeraient que les échanges commerciaux entre Moscou et Téhéran soient exemptés des sanctions occidentales prises en réponse a l’invasion de l’Ukraine. Cette exigence aurait exaspéré les Iraniens qui veulent en finir en emportant un accord bien conciliant avec leurs intérêts. De ce fait l’accord tant attendu par l’administration Biden et le régime de Téhéran serait paradoxalement bloqué par la Russie !
De toute évidence l’administration Biden et Téhéran profitent de la crise ukrainienne pour avancer leurs pions, et aller droit vers une conclusion de l’accord qui se soldera par un accès presque immédiat de l’Iran a ses fonds gelés à l’étranger estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Ces fonds ainsi que le mauvais accord sur le nucléaire iranien constitueront une bombe a retardement. Les Etats-Unis ne seraient plus en mesure de se porter en tant que garant fiable de la sécurité et stabilité au Moyen-Orient. Il serait temps de repenser l’architecture de sécurité du pôle arabe face à la menace iranienne, indépendamment des calculs de Washington.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.