La semaine dernière, les médias libanais ont relayé l’histoire de cinq jeunes hommes originaires du nord du pays, morts au combat aux côtés de Daech. Le fait que ces citoyens soient originaires de Tripoli a fait beaucoup de tapage.
Pourquoi tant d’efforts à présenter Tripoli – la capitale du Nord – comme centre de l’extrémisme sunnite? En réalité, le Hezbollah juge bon de le faire parce que l’extrémisme sunnite a été son plus grand allié. Le récit de l’intégrisme sunnite convient également à Saad Hariri, l’ancien Premier ministre, car son mouvement et lui sont censés représenter la «modération».
Loin d’être un foyer d’extrémisme, Tripoli est à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme. En 2007, ses habitants ont été les premiers à combattre Chaker al-Absi et son groupe Fatah al-Islam lors de la bataille de Nahr el-Bared. De jeunes hommes des villes de Bebnine et d’Al-Abda, proches du camp de réfugiés de Nahr el-Bared, ont contenu le groupe terroriste jusqu’à l’arrivée de l’armée libanaise.
Certaines des personnes les plus riches du Liban, dont le milliardaire et actuel Premier ministre, Najib Mikati, sont originaires de Tripoli. Cependant, ses habitants souffrent de pauvreté et de privations depuis des décennies. Tripoli était autrefois un carrefour de culture et de commerce le long de la Méditerranée, mais la ville fait désormais partie des endroits les plus pauvres de la région. Néanmoins, si vous visitez la ville, vous rencontrerez des gens sympathiques, généreux et accueillants. Vous vous rendrez compte très rapidement que toute la propagande négative est diffusée à des fins politiques.
Pour comprendre comment le Hezbollah se sert du terrorisme sunnite, il faut remonter au début de la guerre syrienne. Initialement, lorsque Bachar al-Assad perdait le combat et que les soldats et les officiers rendaient les armes, le dictateur avait besoin d’aide pour réprimer son peuple. Hassan Nasrallah, du Hezbollah, ne pouvait envoyer de jeunes hommes pour défendre un dictateur dont la famille avait fait souffrir le Liban pendant trente ans. Par ailleurs, le conflit en Syrie n’avait rien à voir avec le mandat initial du groupe – celui de combattre Israël. Alors M. Nasrallah a prétexté que le Hezbollah devait protéger le mausolée de Zeinab des Omeyyades – même si le dernier des Omeyyades a péri pendant la Reconquista en Espagne il y a six cents ans. L’excuse n’était pas convaincante. Hassan Nasrallah s’est trouvé dans l’embarras et il a donné des explications contradictoires quant à l’intervention du groupe. L’émergence de Daech a été un cadeau pour le Hezbollah. Le groupe terroriste représentait une menace existentielle pour les chiites. Les takfiris, qui considèrent les chiites et autres sectes comme des apostats et veulent les anéantir, ont donné au Hezbollah une excellente excuse pour rallier les gens.
Désormais, le Hezbollah est critiqué dans ses propres rangs. Il a paralysé le gouvernement et il tient le pays en otage, simplement pour que l’Iran puisse bénéficier d’un pouvoir de négociation plus important lors des pourparlers sur l’accord nucléaire à Vienne. De plus en plus de personnes issues de la communauté chiite en prennent conscience et se demandent ce qu’il est advenu du projet de «résistance». En fin de compte, au-delà des slogans, le principal objectif des gens est de vivre dans la dignité. Le moment est donc venu pour le Hezbollah de mettre une fois de plus en valeur la menace existentielle perçue.
Le récit de l’intégrisme sunnite est nécessaire pour rallier les chiites et une partie de la population chrétienne. Il permet au Hezbollah de se présenter à la communauté internationale comme le moindre des deux maux. Après tout, la communauté internationale n’a-t-elle pas autorisé la création des Unités de mobilisation populaire en Irak dans le but de combattre Daech? Le monde perçoit les milices pro-iraniennes comme un moindre mal en comparaison avec Daech. En réalité, il s’agit d’un monstre tout aussi mauvais.
Quant à M. Hariri, il est connu pour mener un train de vie fastueux. En 2019, il a versé seize millions de dollars (1 dollar = 0,88 euro) à un mannequin sud-africain de vingt ans à une époque où il ne payait pas ses employés. À cause de cela et de son attitude lâche envers le Hezbollah, sa popularité a faibli. Il suffit de voir ses partisans pour comprendre. Lorsqu’il a déclaré le mois dernier qu’il ne se présenterait pas aux élections en mai, le nombre de ses partisans qui sont descendus dans la rue était négligeable par rapport à ceux qui ont manifesté en février 2011, lorsqu’on a assisté à la chute de son gouvernement à la suite de la démission de onze ministres. L’Arabie saoudite a également cessé de le soutenir, compte tenu de son incapacité à gouverner et à contenir le Hezbollah.
«Le récit de l’intégrisme sunnite est nécessaire pour rallier les chiites et une partie de la population chrétienne.»
Dr Dania Koleilat Khatib
Le récit de l’intégrisme sunnite convient à Saad Hariri, car il lui permet de se présenter aux yeux des Saoudiens et de la communauté internationale comme un moindre mal; l’incompétence est mieux tolérée que l’intégrisme. Cependant, tout ce récit d’intégrisme est faux. Tripoli n’est pas un terreau fertile pour le terrorisme et le vide créé par le départ de Saad Hariri ne sera pas comblé par des intégristes. La ville abrite une société civile dynamique et de nombreux militants patriotes soucieux du bien-être de la population. La communauté internationale devrait prêter main-forte et financer des projets de développement dans la ville pour y réduire la pauvreté. Elle ne devrait surtout pas se laisser berner par le cliché de l’intégrisme sunnite.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com