Les élections parlementaires sont prévues le 15 mai prochain au Liban. Malgré cela, le pays ne semble pas atteint par la «fièvre électorale»… Très peu de candidatures sont annoncées, et cinq d’entre elles n’auraient même pas rempli les conditions nécessaires pour être dûment enregistrées.
Dans les villes et les villages, les rues ne portent toujours pas les stigmates d’une bataille électorale annoncée. Seuls quelques groupes de la société civile issus de la «révolution du 17 octobre 2019» commencent à s’organiser. Ils essaient de former des alliances visant à défier les listes des partis traditionnels de l’establishment qui tient les rênes du pouvoir. L’atmosphère générale ne laisse guère croire que la tenue des élections est inévitable comme on l’avait annoncé.
Aujourd’hui, malgré les pressions internationales et les promesses faites par les autorités en place à Beyrouth, un ajournement des élections ne serait pas exclu
Comme il se doit au Liban, le pays des rendez-vous manqués, il n’est pas rare, en effet, d’entendre des hommes politiques ou des journalistes bien informés évoquer la possibilité d’un ajournement des élections. Ils se basent sur certaines informations autant que sur les antécédents enregistrés depuis les années 1970. L’histoire récente du Liban nous apprend que les échéances électorales ont été maintes fois repoussées sous prétexte de force majeure.
L’avant-dernier Parlement, que les élections devaient remplacer en 2013, a siégé cinq ans de plus que prévu en prolongeant son mandat à plusieurs reprises. Aujourd’hui, malgré les pressions internationales et les promesses faites par les autorités en place à Beyrouth, un ajournement des élections ne serait pas exclu. On n’en parle pas de vive voix; cependant, on en discute avec beaucoup de gravité dans les coulisses du pouvoir.
Plusieurs facteurs d’ordre technique seraient avancés pour justifier un tel ajournement. Le premier résiderait tout simplement dans les difficultés administratives et financières causées par l’effondrement économique et financier du pays. Le budget alloué au financement de l’opération électorale n’a toujours pas été arrêté par le gouvernent. On parle de 16 millions de dollars (1 dollar = 0,88 euro) pour financer les élections en métropole, et de 4,5 millions pour les financer à l’étranger.
Depuis deux ans, dans la majorité des administrations gouvernementales, les fonctionnaires ne travaillent qu’un jour par semaine
Il est vrai que, pour un pays qui tient absolument à organiser les élections à temps, les montants ne sont pas élevés. Ces sommes pourraient être réunies grâce à des dons qui proviendraient d’une communauté internationale qui ferait pression sur le gouvernement, ainsi que sur les principales formations politiques du pays, pour pousser ces dernières à respecter le calendrier électoral.
Mais un problème fondamental se pose: l’administration manque d’effectifs qualifiés qui se porteraient volontaires afin de servir dans les bureaux de vote ainsi que dans les différentes administrations concernées. Les compensations financières sont peu motivantes en raison de l’effondrement de la monnaie nationale. L’administration, qui peine à remplir des obligations, est en sous-effectif. En outre, elle est sous-équipée et souffre de coupures massives du réseau électrique, ce qui perturbe la vie des Libanais.
Depuis deux ans, dans la majorité des administrations gouvernementales, les fonctionnaires ne travaillent qu’un jour par semaine. À l’étranger, où plus de deux cent cinquante mille Libanais d’outre-mer se sont inscrits sur les listes électorales, on prévoit l’ouverture de huit cents bureaux de vote dans les ambassades et les consulats à travers le monde.
La crise est si rude qu’elle atteint également les militaires, quel que soit leur rang, qui voient leur pouvoir d’achat s’effondrer
On parle de coupures budgétaires qui visent à réduire considérablement le nombre de représentations diplomatiques à l’étranger, ce qui entraîne la fermeture d’ambassades et de consulats, ainsi que des réductions massives de salaires. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que le gouvernement libanais n’a pas payé ses diplomates depuis deux mois, et cela explique que l’on redoute que les élections du 15 mai n’aient pas lieu en raison de motifs d’ordre techniques.
Un autre facteur pourrait pousser à l’ajournement des élections. Il est lié au maintien de l’ordre durant la période des élections. En effet, cette crise économique et financière sans précédent a considérablement réduit la capacité des forces de l’ordre à remplir leur mission durant les élections. On déplore les désertions qui se multiplient au sein des forces de l’ordre, y compris dans l’armée.
La crise est si rude qu’elle atteint également les militaires, quel que soit leur rang, qui voient leur pouvoir d’achat s’effondrer. Le sentiment de sécurité qu’ils éprouvaient avant la crise en raison des avantages et des privilèges que leur procurait le fait d’appartenir au corps militaire de l’État est mis à mal. Or, nous savons qu’une période électorale offre, par définition, des opportunités aux activités subversives de tout genre qui menacent la stabilité du pays. Voilà pourquoi on hésite à utiliser le prétexte des difficultés auxquelles font face les forces de l’ordre.
On ne parlera pas des facteurs d’ordre politique, qui se résument à la crainte éprouvée par la plupart des partis politiques de l’establishment gouvernant d’accuser des coups durs si jamais la masse électorale indépendante, que l’on estime représenter 70% des personnes inscrites sur les listes électorales, prend d’assaut les bureaux de vote pour faire basculer le paysage politique. Il s’agit d’un risque réaliste, du moins dans les régions du pays qui échappent au diktat du Hezbollah.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.