Au Liban, une longue liste de dictateurs et peu de démocratie

Une vue générale des immeubles résidentiels à Beyrouth, au Liban. (Reuters)
Une vue générale des immeubles résidentiels à Beyrouth, au Liban. (Reuters)
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Publié le Jeudi 27 janvier 2022

Au Liban, une longue liste de dictateurs et peu de démocratie

Au Liban, une longue liste de dictateurs et peu de démocratie
  • Le Liban se targue d'être un pays démocratique, mais il n'a pas de véritable tradition démocratique
  • Pour changer radicalement de modèle, il convient d'abolir cette culture qui donne naissance aux dictateurs et aux factions politiques

Shamaluna est le nom que des groupes de la société civile ont choisi de donner à leur coalition; ils viennent de donner le coup d'envoi des élections primaires à Zghorta, Bécharré, Koura et Batroun, qui constituent la troisième circonscription électorale du Liban-Nord. Cette région est le fief de trois partis chrétiens solidement établis: les Forces libanaises (FL), le Courant patriotique libre (CPL) et le parti Marada.

L'objectif de cette plate-forme est de permettre aux citoyens libanais de se présenter comme candidats ou de s'inscrire comme électeurs. Sa portée s'étend toutefois au-delà de ces quatre régions et bien au-delà des résultats des prochaines élections parlementaires – si jamais celles-ci ont lieu. Il s'agit là du premier pas vers une nouvelle manière de faire de la politique. Il est en effet inutile d'espérer transformer le système de gouvernance corrompu et discrédité du Liban si on ne parvient pas à remanier les pratiques politiques existantes. Rejetant les fonds douteux, Shamaluna a choisi de se financer auprès de la population.

Le Liban se targue d'être un pays démocratique, mais il n'a pas de véritable tradition démocratique. L'ancien Premier ministre, Salim el-Hoss, un universitaire et un intellectuel ayant rejoint la scène politique aux moments les plus sombres de l'Histoire du pays, considère qu'«au Liban, il y a beaucoup de libertés, mais très peu de démocratie». Il s'agit d'une image tout à fait pertinente.

En effet, la politique au Liban est déformée, mutilée et défigurée; les sectes ont remplacé les partis politiques. Comment peut-on parler de démocratie si elle ne s'étend pas aux partis politiques qui forment le noyau de la vie publique? Au Liban, les partis politiques correspondent à une forme améliorée de féodalisme. Les seigneurs féodaux ont cédé la place à des seigneurs de guerre convertis en «politiciens» dans le sillage de la guerre civile.

Il suffit d'observer la façon dont les partis sont conçus dans les pays démocratiques. Prenons l’exemple du Royaume-Uni: à la suite de la défaite du Parti travailliste aux élections législatives de 2019, Keir Starmer a remplacé Jeremy Corbyn à la tête du parti au terme d'un vote démocratique auquel ont participé les membres du parti. C’est précisément le contraire de ce qui se produit au Liban: les partis politiques sont réduits à des cultes de la personnalité tournés vers un seul homme – celui-ci sera sans doute suivi par son fils à qui il léguera inévitablement son héritage politique. Comment imaginer qu'une personne n'appartenant pas à la famille Gemayel puisse diriger le parti des Phalanges libanaises (Kataëb) fondé par Pierre Gemayel?

Il est vrai que les partis organisent des «élections». Il s'agit toutefois d'élections symboliques et dénuées de sens. Elles ne donnent pas lieu à une compétition politique, elles ne produisent pas de sang neuf, et elles ne mènent pas à la responsabilisation – elles ne font que consolider la loyauté au «Zaim» (le «chef» en arabe). Il s'agit là d'une dictature plutôt que d'une démocratie. Cette «démocratie consensuelle» apparaît comme une forme de féodalisme politique et de partage du pouvoir entre les seigneurs féodaux qui se désignent eux-mêmes à la tête de leurs partis.

La politique au Liban est déformée, mutilée et défigurée; les sectes ont remplacé les partis politiques.

Dania Koleilat Khatib

Les «dirigeants» qui ont fait leur apparition pendant la guerre civile en brandissant la bannière de l'égalité et de la justice sont en réalité pires que leurs adversaires. Le dirigeant du mouvement Amal et président du Parlement libanais depuis trente ans, Nabih Berry, a commencé par se rebeller contre la mainmise d'Assad sur la population chiite vivant dans le sud du pays; il était un soi-disant combattant contre la corruption et le féodalisme du régime syrien. Paradoxalement, M. Berry a fini par marcher sur les traces de ceux qu'il dénonçait. À l'instar des Assad, il exerce un contrôle absolu sur les chiites et il pille l'État libanais tout en se proclamant défenseur des chiites. La formule «Lève-toi, que je prenne ta place» décrit parfaitement la libération des chiites de l'emprise des Assad. Ce phénomène se poursuivra jusqu'à ce que soit instaurée une nouvelle culture politique qui obligerait les politiciens à rendre des comptes et qui produirait de véritables hommes d'État et non de nouveaux dirigeants féodaux.

L'initiative Shamaluna propose aux citoyens du nord du Liban de s'inscrire aux élections en tant que candidats ou en tant qu'électeurs. Une condition s'impose: ne pas appartenir à un parti politique et faire preuve d'intégrité. On assiste ainsi aux prémices d’une sélection démocratique des candidats; ce n'est plus le chef d'un parti qui impose les candidats. Les citoyens choisissent démocratiquement les candidats.

Jad Hachem fait partie des fondateurs de la nouvelle organisation politique Osos et il participe également à Shamaluna. Selon lui, ce processus de démocratisation se fait déjà sentir au sein des partis traditionnels dont les membres exigent désormais que leurs dirigeants rendent des comptes. Ils mettent désormais en question la loyauté aveugle envers les chefs et ils se demandent pourquoi un membre n'a pas la même chance de se faire élire à la tête de son parti. «Nous poursuivons un objectif de longue haleine», précise M. Hachem. Sans une culture politique saine, le Liban ne parviendra pas à changer le système actuel.

Alors que nous aimons penser que le Liban est une démocratie, il s’agit pourtant d’un pays tiraillé entre de nombreux dictateurs, qui réclament chacun leur part du gâteau, ce qui explique la corruption endémique qui sévit dans le pays. Pour combattre ce fléau, les partis politiques doivent être responsabilisés et, afin de changer radicalement de modèle, il convient d'abolir cette culture qui donne naissance aux dictateurs et aux factions politiques. Une nouvelle démocratie digne de ce nom s'impose. Les élections primaires au Liban-Nord constituent un premier pas important vers cet objectif.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la diplomatie parallèle (Track II). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'université américaine de Beyrouth.

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com