La nuit des Oscars et la mort culturelle du sionisme

Samuel L. Jackson remet l'Oscar du meilleur documentaire à Basel Adra, au théâtre Dolby de Los Angeles, le 2 mars 2025. (Photo AP)
Samuel L. Jackson remet l'Oscar du meilleur documentaire à Basel Adra, au théâtre Dolby de Los Angeles, le 2 mars 2025. (Photo AP)
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Publié le Jeudi 06 mars 2025

La nuit des Oscars et la mort culturelle du sionisme

La nuit des Oscars et la mort culturelle du sionisme
  • Les gens voient très clairement la brutalité israélienne et sa suprématie
  • Aujourd'hui, de nombreuses personnes de gauche parlent d'Israël comme d'un projet colonial; Israël est en train de perdre son emprise sur le récit

La soirée des Oscars a été pleine de surprises. Un film à budget relativement modeste, «Anora», a remporté le plus grand nombre de récompenses. Cependant, la véritable star de l'événement a été le documentaire israélo-palestinien «No Other Land». Ce documentaire explore les activités malveillantes des forces d'occupation israéliennes en Cisjordanie, notamment l'expansion des colonies et l'assujettissement des Palestiniens à Masafer Yatta, la ville natale de Basel Adra, le coréalisateur palestinien.

Si l'on peut considérer «No Other Land» comme une œuvre artistique documentant les souffrances des Palestiniens, c'est bien plus que cela. L'accueil qu'il a reçu de la part d'un public de célébrités a été plus qu'un signe d'appréciation d'un bon film. Il a marqué la mort culturelle du sionisme.

Le cinéaste palestinien Adra a commencé son discours de remerciement en annonçant qu'il était devenu père il y a deux mois. Il a déclaré qu'il espérait que sa fille n'aurait pas à souffrir de ce qu'il vivait, «craignant toujours la violence des colons, les démolitions de maisons et les déplacements forcés que ma communauté vit et affronte chaque jour sous l'occupation israélienne». Cependant, avant même qu'il ne termine sa phrase, le public l'a applaudi à tout rompre. Il a déclaré que le documentaire représentait «la dure réalité qu'ils endurent depuis des décennies». Il a appelé le monde à prendre des mesures sérieuses pour mettre fin à «l'injustice et au nettoyage ethnique du peuple palestinien».

Le cinéaste israélien Yuval Abraham, qui a coréalisé le documentaire, a déclaré que lorsqu'il regarde Adra, il voit son frère, mais qu'ils sont inégaux. Il a ajouté qu'ils vivaient sous un régime où lui, en tant qu'Israélien, jouissait de la liberté, alors qu'Adra n'en bénéficiait pas. Il faisait référence au régime d'apartheid qu'Israël a mis en place en Cisjordanie, où les Palestiniens vivent sous un régime militaire et les Israéliens sous un régime civil. Abraham a parlé de la «suprématie ethnique» qui régit actuellement les relations entre Israéliens et Palestiniens. Et le sionisme est une question de suprématie ethnique, comme on peut le voir avec les sionistes qui revendiquent un droit biblique exclusif sur la terre.

Abraham a réclamé des droits nationaux pour les deux peuples. Il a également critiqué la politique américaine et déclaré que l'Amérique «bloquait» le chemin de la paix. Lorsqu'il a évoqué la politique étrangère des États-Unis à l'égard du Moyen-Orient, il a reçu des applaudissements nourris. Pendant ce temps, Guy Pearce, nommé pour l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, portait un pin's «Free Palestine».

Cette scène hollywoodienne contraste totalement avec la 50e édition des Oscars en 1978, lorsque l'actrice britannique Vanessa Redgrave a remporté l'Oscar du meilleur second rôle féminin pour son rôle dans le film «Julia». Ce film racontait l'histoire d'une femme qui avait aidé des juifs à fuir l'Allemagne nazie. De nombreux groupes pro-israéliens se sont opposés à sa nomination en raison de son soutien aux Palestiniens et de ses critiques à l'égard d'Israël et du sionisme. Lors de son discours de remerciement, elle a dénoncé les «voyous sionistes» qui ont tenté de l'empêcher de recevoir le prix. Elle a été huée par le public lorsqu'elle a critiqué le sionisme. Aujourd'hui, au contraire, la critique du sionisme aux Oscars est ovationnée. Si cela signifie quelque chose, c'est la mort culturelle du sionisme. C'est bien plus dangereux pour Israël, l'État sioniste, que son incapacité à éradiquer le Hamas.

Alors que dans les années 1970, les gens considéraient le sionisme comme le droit à l'autodétermination du peuple juif et les Palestiniens comme des terroristes faisant obstacle à l'accomplissement de ce noble projet, aujourd'hui, l'image a changé. Les gens voient très clairement la brutalité israélienne et sa suprématie. Aujourd'hui, de nombreuses personnes de gauche parlent d'Israël comme d'un projet colonial. Israël est en train de perdre son emprise sur le récit.

Aujourd'hui, de nombreuses personnes de gauche parlent d'Israël comme d'un projet colonial. Israël est en train de perdre son emprise sur le récit.

-Dania Koleilat Khatib

Je me souviens avoir assisté en 2008 à Dubaï à une séance de dédicace du livre de John Mearsheimer et Stephen Walt intitulé «The Israel Lobby and US Foreign Policy» (Le lobby pro-israélien et la politique étrangère des États-Unis). Ce livre a été une révélation, non seulement parce qu'il dévoilait la manipulation israélienne du système politique américain et de la politique du pays à l'égard du Moyen-Orient, mais aussi parce qu'il émanait de deux auteurs américains traditionnels et non de voix marginales. Lors de la signature de mon livre, Mearsheimer m'a dit qu'il s'agissait d'une guerre d'idées. Aujourd'hui, après avoir regardé les Oscars et comparé les réactions aux discours de remerciement de Redgrave et d'Adra, je me rends compte qu'Israël est en train de perdre la guerre des idées que Mearsheimer jugeait si importante.

La force d'Israël vient du soutien qu'il reçoit, principalement des États-Unis, mais aussi du monde occidental. La culpabilité de l'Occident à l'égard de l'Holocauste a créé un sentiment de devoir de soutenir Israël et d'assurer sa survie. Si ce soutien disparaît, il sera très difficile pour Israël de poursuivre sur la voie qu'il emprunte aujourd'hui. Malheureusement, Israël ne voit pas cela. Il ne se rend pas compte que le monde est en train de changer. Israël n'est plus considéré comme le faible outsider qui a besoin d'être protégé contre des voisins arabes belliqueux. Au contraire, il est considéré comme l'agresseur. Toutefois, Israël a été enhardi par l'occupant de la Maison Blanche.

Pour l'instant, Israël bénéficie toujours du soutien matériel des États-Unis. Alors que l'administration Trump a réduit les subventions médicales et autres accordées au peuple américain, l'aide à Israël a augmenté. Cependant, cette situation n'est pas durable. Bien sûr, Israël utilise l'argent et sa machine de lobbying pour garantir le soutien du Congrès. Les législateurs rivalisent de loyauté et de soutien envers l'État sioniste. Néanmoins, cette situation peut s'inverser au moment où l'opinion publique change d'avis, lorsque l'Américain moyen ne croit plus aux mensonges sionistes. La Hasbara, ou propagande sioniste, a bien fonctionné jusqu'à présent, mais toute campagne de propagande finit par atteindre un point où elle perd sa crédibilité et où les gens commencent à se rendre compte qu'il s'agit d'une propagande qui cache la vérité. Lorsque ce moment arrivera, Israël sera en grande difficulté.

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com