Pourquoi les élections au Liban pourraient être annulées

Alors que les opposants au Hezbollah considèrent les événements du 7 mai 2008 comme une agression contre l'État, le groupe les considère comme une action nécessaire pour assurer sa survie. (AFP)
Alors que les opposants au Hezbollah considèrent les événements du 7 mai 2008 comme une agression contre l'État, le groupe les considère comme une action nécessaire pour assurer sa survie. (AFP)
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Publié le Vendredi 14 janvier 2022

Pourquoi les élections au Liban pourraient être annulées

Pourquoi les élections au Liban pourraient être annulées
  • Même si elles n'apportent pas de changement radical, les élections modifieront la majorité et ceci constitue une menace pour le Hezbollah
  • Et si le nouveau gouvernement jugeait les interventions du Hezbollah en Syrie et au Yémen illégitimes?

Le président, le Premier ministre et le président du Parlement libanais ont réussi jeudi à mettre en place un autre plan couvert et protégé par la loi libanaise. Le président Michel Aoun a accepté d'ouvrir une session parlementaire exceptionnelle. Cela protègera de manière effective les politiciens du fait d’être convoqués par le juge Tarek Bitar et de comparaître dans le cadre de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth.

Ainsi, les politiciens seront protégés de tout interrogatoire en échange de la levée du blocage de la reprise des réunions du gouvernement par Amal et le Hezbollah. Le Conseil des ministres pourra donc se réunir et décider du budget, ainsi qu’entreprendre des pourparlers avec le Fonds monétaire international.

Cependant, les sceptiques soutiennent le fait que la session exceptionnelle pourrait également être utilisée pour annuler les élections prévues en mai. Les parlementaires pourraient proposer une mesure visant à restreindre le vote des expatriés à seulement six sièges. Cela neutraliserait fondamentalement le vote des expatriés, qui s'opposent avec véhémence au Mouvement patriotique libre d'Aoun ainsi qu’au Hezbollah. Une telle loi créerait sans aucun doute des troubles, et ces derniers seraient l'excuse parfaite pour annuler complètement les élections.

Certains voient dans ces élections une occasion en or pour la sulta (les gens au pouvoir) de renouveler sa légitimité auprès du peuple libanais et de la communauté internationale. Les sondages montrent que les groupes de protestation peuvent espérer remporter 23 sièges sur 128, ce qui signifie que les élections ne déracineront pas la classe dirigeante. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le Hezbollah, malgré le mécontentement général, car le groupe a toujours une emprise sur la population chiite.

Néanmoins, même si elles n'apportent pas de changement radical, les élections modifieront la majorité, et ceci constitue une menace pour le Hezbollah. Afin de comprendre cette menace, nous devons étudier en premier lieu la raison pour laquelle le Hezbollah fait partie du gouvernement. Avant l'assassinat de Rafic Hariri en 2005, le Hezbollah ne participait à aucun gouvernement. Cela n'était pas nécessaire parce que le régime syrien protégeait le groupe et ses armes. La situation a changé avec la mort de Hariri et les manifestations massives qui ont suivi et conduit à l'expulsion des forces syriennes du Liban. Le garant du Hezbollah n'étant plus là, ce dernier devait donc prendre le contrôle du gouvernement pour s'assurer qu'il ne serait soumis à aucune pression pouvant conduire à son désarmement ou à sa délégitimation.

Les élections, même si elles n'apportent pas de changement radical, modifieront la majorité, et ceci constitue une menace pour le Hezbollah

Dr Dania Koleilat Khatib

Après le décès de son père, Saad Hariri a gagné la sympagthie des Libanais. Le camp antisyrien et anti-Hezbollah, sous le nom de l’alliance du 14-Mars, a par la suite remporté la majorité parlementaire, mettant ainsi le Hezbollah dans une situation très inconfortable. Vers la fin de 2006, le Hezbollah, le mouvement Amal, le parti Marada de Sleimane Frangieh et le Mouvement patriotique libre ont orchestré des manifestations visant à renverser le Premier ministre Fouad Siniora. Ils ont installé des tentes pour encercler le siège du gouvernement au centre-ville de Beyrouth. Le principal point de discorde était le contrôle du gouvernement. Le Hezbollah a demandé un tiers de «garantie» des voix ministérielles, qui était en fait un tiers de blocage. Il voulait avoir le droit de veto sur les décisions du gouvernement, en particulier sur toute mesure risquant de menacer son droit de conserver ses armes.

Si l'on remonte dans le temps, on constate que les Israéliens ont quitté unilatéralement le Liban en 2000. Depuis, de nombreuses questions ont été soulevées concernant les armes du Hezbollah et son privilège d’en avoir, contrairement aux autres factions. Lorsque la guerre civile a pris fin avec l'accord de Taëf en 1989, les milices ont été invitées à rendre leurs armes, à l’exception du Hezbollah qui combattait l'occupation israélienne. Cette excuse a cependant faibli après le retrait israélien.

En mai 2008, lorsque le gouvernement a décidé de mettre fin au contrôle du Hezbollah sur le réseau de communication et de licencier un officier de sécurité de l'aéroport proche du groupe, ce fut l'enfer. Le Hezbollah est descendu dans la rue et a utilisé ses armes contre ses opposants politiques. L'attaque du Hezbollah a pris fin grâce à l'accord de Doha en vertu duquel le Hezbollah a obtenu ce qu'il voulait: un tiers de blocage.

Alors que les opposants au Hezbollah considèrent les événements du 7 mai 2008 comme une agression contre l'État, le groupe les considère comme une action nécessaire pour assurer sa survie. La découverte de son réseau de communication aurait pu mettre en danger tous les dirigeants du Hezbollah. Ces événements montrent jusqu'où le groupe est prêt à aller pour conserver sa mainmise sur le gouvernement. Pour le Hezbollah, c'est plus qu'une question de deux ou trois ministres, c'est une question de survie.

Alors que les prévisions ne laissent pas espérer de changement radical dans la composition du Parlement, les États-Unis, l'Europe et les États arabes du Golfe misent sur un changement de la majorité, Samir Geagea gagnant en popularité sur son adversaire chrétien Aoun pour affaiblir le Hezbollah. Selon la loi libanaise, comme dans toute démocratie dans le monde, la majorité choisit le Premier ministre et approuve le cabinet – un cabinet qui pourrait être hostile à l'axe de la résistance.

Et si le nouveau gouvernement jugeait les interventions du Hezbollah en Syrie et au Yémen illégitimes? Et si cela conduisait au changement du président du Parlement? Le Hezbollah peut-il se passer de son allié de longue date Nabih Berri, le chef d'Amal? En un mot, les élections apporteront trop d'inconnues que le Hezbollah a intérêt à éviter.

 

Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, notamment en ce qui concerne le lobbying. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (RCCP), une ONG libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l'Université américaine de Beyrouth.

 

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com