Si le Liban était un bateau fragile, surpeuplé et en train de couler, chargé de réfugiés désespérés et affamés, naviguant difficilement à travers l'océan, Hassan Nasrallah serait un psychopathe armé d’une hache qui, à mi-parcours, tente frénétiquement de percer la coque du navire et de couler tout le monde au fond de l'océan.
La disparition progressive du Liban au cours des deux dernières années est en grande partie le fait du Hezbollah, qui, avec violence, a détaché le Liban de son système de survie dans le monde arabe. Le Liban est le plus arabe des États arabes. Qu'est-ce que la culture arabe sans la culture libanaise? Les innovations libanaises dans les domaines de l'éducation, de la littérature, de la médecine, de la musique, de la finance et de la science ont tellement contribué à faire avancer la région. Pourtant, sans son contexte arabe, le Liban n'est rien.
Dans son dernier discours, Nasrallah fait allusion aux réactions indignées qu'il s'attendait à ce que ses mots suscitent. Ce saboteur adroit savait exactement ce qu'il faisait et les immenses dommages qu'il infligerait.
Son discours a commencé par une oraison funèbre qui rendait hommage aux terroristes Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis. Puis il a développé une logique sinueuse au sujet des raisons pour lesquelles les Américains étaient responsables du massacre de masse de centaines de milliers de Syriens. Des commandants du Hezbollah, au premier rang du public, devaient certainement se dire: «Hé! Ne serait-ce pas à nous de nous vanter de cela?»
Puis, en sueur, il a adopté une posture de stupeur et de colère: «Votre véritable ennemi, le vrai dictateur… le chef de l'agression, la base de l'occupation, le nœud de la corruption et de l'oppression dans notre région, ce sont les États-Unis. C'est un ennemi, alors traitez-le comme un ennemi.»
Et que faire des Américains? «Attaquez-les, combattez-les, luttez contre eux par tous les moyens», a-t-il déclaré. N'est-ce pas un appel pur et simple au terrorisme? Apparemment non, car le chef du «Hezb al-Shaitan» a alors commencé à agiter le poing et à crier pour demander à son auditoire qui sont les vrais terroristes.
Le discours de Nasrallah ayant précipité une chute immédiate de la valeur de la monnaie du pays, les citoyens libanais l'ont entendu et ont fondu en larmes.
Baria Alamuddin
Il a dirigé ses propos contre les États du Golfe en hurlant: «Le terroriste est celui qui parraine toutes les factions de la dissidence et de la guerre civile au Liban… et c'est vous. Cela a dû surprendre les États du Conseil de coopération du Golfe qui, ces dernières années, se sont distanciés du bourbier politique libanais.»
Les tentatives infantiles de Nasrallah pour associer Daech à l'Arabie saoudite sont gravement offensantes quand on sait à quel point les citoyens saoudiens ont souffert du terrorisme, avec notamment l'attentat terroriste meurtrier de 1996 à Khobar – l'une des nombreuses opérations terroristes perpétrées par l'Iran et le Hezbollah.
Mais peut-être que les éléments les plus incendiaires du discours de Nasrallah résidaient dans ses efforts calculés pour marquer la ligne de faille sunnite-chiite dans l’ensemble de la région, la logique «nous et eux», la «résistance» contre les États modérés qui ne sont pas dédiés au militantisme, aux conflits et au terrorisme.
Dans la mesure où le discours de Nasrallah a immédiatement précipité la chute de la valeur de la monnaie du pays, les hommes d'affaires, les travailleurs et les agriculteurs libanais l'ont entendu et ils ont fondu en larmes. Ils continuent de subir la débâcle économique après que les États du Golfe ont boycotté les exportations libanaises, le Hezbollah les ayant exploitées pour faire passer en contrebande des stupéfiants. Ils ont subi les conséquences d'un ancien ministre insignifiant qui a fait sur le Yémen des commentaires ridicules et qui n’avaient pas le millième du caractère offensant du discours incendiaire de Nasrallah.
La ruine économique du Liban a été exacerbée cent fois par le refus du Hezbollah et de ses alliés de renoncer à leur emprise sur l'État afin que les donateurs et les technocrates puissent venir à la rescousse. Des centaines de milliers de travailleurs libanais à travers le Golfe craignent les conséquences d'un effondrement des relations. Nasrallah évoque de manière improbable ces expatriés comme s’ils étaient pris en otage par les États du Golfe, faisant abstraction du fait que le Liban dépend de l'agenda hostile de Téhéran.
Ce sont les mêmes professionnels qui ont facilité la reconstruction du Liban dans les années qui ont suivi la guerre civile grâce à des milliards de dollars d'envois de fonds – sans parler des innombrables milliards de dollars généreusement donnés par les mêmes États du Golfe –, que le chef du Hezbollah a dénoncés à plusieurs reprises comme des «terroristes».
Au lieu d'appeler à la réconciliation, Nasrallah a prononcé l'un de ses discours les plus controversés et les plus violents depuis des années, peut-être même d’une imprudence comparable à l’allocution qu’il avait faite après les affrontements à Beyrouth en octobre, au cours de laquelle il a menacé d'envoyer cent mille combattants du Hezbollah pour affronter ses rivaux.
Si Nasrallah veut détruire le Liban et entraîner la région dans la guerre, c’est exactement le discours qui convient. Même son allié de longue date, Najib Mikati, le Premier ministre du pays, a immédiatement publié une déclaration dénonçant la « polémique vaine» et «sectaire» de Nasrallah.
Ce discours comprenait également la condamnation de toute une série d'autres personnalités nationales. C’était une heure de mensonges, de mensonges et de mensonges toujours plus colériques et vicieux.
Nasrallah redoute des élections démocratiques au cours desquelles le Hezbollah et ses alliés pourraient perdre des voix. Ainsi, ses acolytes Michel Aoun et Gebran Bassil ont déjà réussi à retarder le vote jusqu'au mois de mai, et ils ne se reposeront pas tant que ces élections ne seront pas totalement annulées. Le discours de Nasrallah était la contribution du Hezbollah à ce même programme: entraîner le Liban dans un tel chaos que les élections deviennent impossibles.
Tout comme les alliés paramilitaires de Nasrallah cherchaient à le faire en Irak, le Hezbollah cherche à créer un climat de confrontation avec les États du Golfe et à étouffer toutes les perspectives d'investissement, d'engagement et de commerce, afin que le Liban, la Syrie et l'Irak soient engloutis en bloc en tant que partisans de Téhéran.
Les attaques personnelles éhontées de Nasrallah contre le monarque saoudien en sont l'exemple le plus clair, car le secrétaire général du Hezbollah sait que les pays du Golfe ainsi que les États arabes et islamiques se rallieront rapidement à l'Arabie saoudite et à ses dirigeants face à des attaques d’une telle perversion.
Peut-être que Nasrallah était agité dans la mesure où il savait qu’il était sur le point de lancer un avion sans pilote en Israël, ce qui pourrait provoquer une déflagration, ou parce que les Houthis formés par le Hezbollah venaient de détourner un navire du CCG qui transportait du matériel médical. Alors que les États-Unis mènent des bombardements contre des sites de roquettes liés au Hezbollah en Syrie et que les pourparlers sur le nucléaire iranien sont sur le point de sombrer, toute la région se trouve sur le fil du rasoir. Un faux mouvement serait synonyme de catastrophe. Parce que ces lâches redoutent de s'en prendre directement aux Américains, Nasrallah et le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, se vengent de l'assassinat de Soleimani en torturant un Liban sans défense.
Ce discours incendiaire d'un supposé homme de Dieu n'était pas seulement imprudent. C'était l'acte d'un homme qui voit des élections pacifiques, une renaissance économique et des liens sains avec les États voisins comme contraires à ses intérêts et qui, par conséquent, opte pour le conflit et le chaos. Si le Liban disposait d’un État fonctionnel, Nasrallah serait à juste titre jugé pour cet acte antipatriotique de trahison et de sabotage gratuit de la souveraineté du Liban, ainsi que des droits des citoyens à la sécurité, à la coexistence pacifique et à la prospérité.
Après ce discours délibérément psychopathique, il est du devoir national de chaque citoyen libanais patriote de condamner cet homme et ses bailleurs iraniens avant qu'ils ne plongent la nation et la région dans l'abîme.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.