Il est peu probable que le mea-culpa de Boris Johnson lui permette de rester au pouvoir

Boris Johnson, lors de la séance de questions au Premier ministre à la Chambre des communes à Londres, le 12 janvier 2022. (Photo AP)
Boris Johnson, lors de la séance de questions au Premier ministre à la Chambre des communes à Londres, le 12 janvier 2022. (Photo AP)
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Publié le Vendredi 21 janvier 2022

Il est peu probable que le mea-culpa de Boris Johnson lui permette de rester au pouvoir

Il est peu probable que le mea-culpa de Boris Johnson lui permette de rester au pouvoir
  • À l’heure où le pays a désespérément besoin d’un leader accompli qui aurait à cœur les intérêts de son peuple, il se retrouve à la merci d’un dirigeant populiste
  • Des gens comme Boris Johnson, Jacob Rees-Mogg et Michael Gove, sans compter Nigel Farage, ont transformé la politique en un cirque dépourvu d’idéologie, de conviction ou de loyauté

Il y avait quelque chose d’insoutenable dans la séance de questions au Premier ministre la semaine dernière. Il ne s’agit nullement d’avoir de la peine pour Boris Johnson qui a été contraint de faire amende honorable, mais plutôt de regretter la façon dont il a réussi, pendant son court mandat, à dévaluer la plus haute fonction du pays, tout en traitant le peuple britannique avec le mépris le plus total, alors que nous traversons l’une des périodes les plus éprouvantes de notre Histoire.

Au moment d’écrire cet article, le poste de Boris Johnson ne tient qu’à un fil. Cependant, il est inconcevable qu’un Premier ministre, qui a perdu la confiance et le respect du pays, et qui continue d’ailleurs de faire preuve d’irresponsabilité et d’un manque total de jugement, tout en se comportant sans la moindre dignité, puisse rester au pouvoir. Tous les Premiers ministres finissent par atteindre le point de non-retour, lorsque leur position devient intenable, mais M. Johnson a réussi à y parvenir en un temps record – et pas nécessairement en raison de sa politique ou de son idéologie (en supposant qu’il en ait une), mais principalement à cause de sa personnalité profondément viciée. À une époque où le pays a désespérément besoin d’un leader accompli qui aurait à cœur les intérêts de son peuple, il se retrouve à la merci d’un dirigeant populiste qui a remporté les élections de 2019 en surfant sur une vague de sentiments antieuropéens et antiétrangers.

Dire que la principale considération pour décider de destituer ou non Boris Johnson de ses fonctions est de savoir à quel point il est devenu un fardeau électoral, et non un frein à la reprise du pays après une catastrophe sanitaire qui a causé des souffrances incommensurables, est un témoignage tragique pour le parti conservateur d’aujourd'hui, ainsi que pour ses représentants au Parlement.

Alors que le Royaume-Uni a atteint la semaine dernière le douloureux cap des 150 000 décès dus à la Covid-19, il est apparu clairement que, lors du premier confinement en mai 2020, le Premier ministre a assisté à une garden-party au 10 Downing Street avec au moins trente autres personnes. Cette fête a non seulement eu lieu dans la résidence officielle du Premier ministre – et il existe beaucoup d’autres allégations faisant état de fêtes similaires qui s’y seraient tenues –, mais M. Johnson a lui-même assisté à celle-ci, témoignant ainsi d’un manque total d’empathie envers la souffrance de millions de personnes à travers le pays et d’un mépris total des lois que lui et son gouvernement avaient mises en place.

C’est à Sue Gray, haut fonctionnaire, que l’on a confié la responsabilité peu enviable d’enquêter sur la série de fêtes que Boris Johnson a catégoriquement démenties, jusqu’à la semaine dernière, lorsque les preuves sont devenues trop accablantes. Il est ahurissant de voir M. Johnson et ses alliés parlementaires tenter de se cacher derrière une fonctionnaire, dont le supérieur hiérarchique est le Premier ministre et qu’il a d’ailleurs lui-même nommée. Ils prétendent, malgré tout, qu’elle est «indépendante». Ces députés en savent déjà assez pour faire ce qui s’impose et renvoyer Boris Johnson immédiatement.

Toutes ces manigances se déroulent à l’heure où le Royaume-Uni se dirige vers une grande crise, s’il n’y est pas en plein déjà; il s’agit d’un bouleversement dans lequel le Premier ministre a joué un rôle crucial. M. Johnson mérite peut-être quelque reconnaissance pour le déploiement réussi du vaccin, mais sa gestion globale de la pandémie a été chaotique, avec une procrastination constante et des hésitations entre différentes stratégies pour tenter de la contenir. Du fait de ces atermoiements, le Royaume-Uni détient l’un des taux d’infection et de décès par habitant les plus élevés au monde. Cette situation s’ajoute aux répercussions du Brexit qui confirment, sans l’ombre d’un doute, que le souhait de Boris Johnson de quitter l’Union européenne (UE) ne découlait pas de raisons idéologiques, mais simplement de ses ambitions personnelles de devenir Premier ministre. À cause de son égoïsme, les camions de livraison sont sans chauffeurs, les pénuries dans les magasins sont devenues monnaie courante et le Royaume-Uni demeure en désaccord avec Bruxelles sur la question de la frontière irlandaise.

 

«Toutes ces manigances se déroulent à l’heure où le Royaume-Uni se dirige vers une grande crise, s’il n’y est pas en plein déjà.» – Yossi Mekelberg

 

Pendant ce temps, l’inflation dépasse les augmentations salariales et les familles souffrent d’impôts plus élevés et de factures d’énergie qui montent en flèche, entraînant une chute dévastatrice du niveau de vie, qui affecte de manière disproportionnée les personnes les moins bien rémunérées. À l’approche des élections locales de mai – qui constituent toujours un bon indicateur des tendances –, le Parti conservateur doit faire des choix difficiles. Il peut soit nommer un nouveau Premier ministre avant ces élections et sauver ce qui peut encore l’être, soit emprunter une voie plus machiavélique et risquer de subir un grand coup, en faisant porter au Premier ministre l’entière responsabilité, et en le remplaçant par une personne capable de se distancier de l’ère chaotique, peu fiable et destructrice de M. Johnson, afin de repartir sur de nouvelles bases en vue des prochaines élections.

L’idée que Boris Johnson puisse remporter le vote ne tient pas. En effet, les sondages d’opinion donnent désormais au Parti travailliste de l’opposition une avance de dix points sur les conservateurs, tandis que le nombre de personnes qui pensent qu’il ferait le meilleur Premier ministre a été réduit de moitié par rapport à 2019, lorsque son parti a remporté une vaste majorité aux élections. Le pire pour Johnson est que 70 % des électeurs pensent qu’il n’est pas digne de confiance et qu’il fait très mal son travail de Premier ministre. C’est le genre de situation où les conservateurs impitoyables se retournent généralement contre leur chef.

Le moment n’est pas uniquement crucial pour Johnson, mais pour le Royaume-Uni dans son ensemble. Ces dernières années, la majorité du peuple britannique a choisi de sombrer dans un populisme superficiel qui a peut-être engendré une satisfaction nationaliste à court terme, mais dont les conséquences se ressentent aujourd’hui dans la crise des services de santé et le chaos économique. Des gens comme Boris Johnson, Jacob Rees-Mogg et Michael Gove, sans compter Nigel Farage, ont transformé la politique en un cirque dépourvu d’idéologie, de conviction ou de loyauté envers qui que ce soit d’autre qu’eux-mêmes. Il est grand temps de mettre fin à toutes ces pitreries au sein du gouvernement – et le plus tôt sera le mieux.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com