S’il est une frange de la politique française qu’Emmanuel Macron semble avoir totalement laminée, c’est bien la gauche française, qui se trouve aujourd’hui au fond d’un insondable puits. Non par manque de personnel politique ambitieux, mais plutôt parce que lui font défaut un programme clair, une idée directrice rassembleuse ainsi qu’une personnalité charismatique capable de l’incarner.
Aujourd’hui, la seule musique électorale que l’on entend à gauche est la cacophonie. La multiplication des candidatures paralyse les esprits et divise les stratégies. Même s’ils sont réunis sous l’appellation de «gauche», qu’y a-t-il de commun entre Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts), Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg (Parti socialiste), Fabien Roussel (Parti communiste français) ou Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise)? Et si l’on ajoute à ce mille-feuille politique l’ancienne ministre Christiane Taubira, la mère du mariage pour tous, qui envisage de se présenter, la paralysie semble totale.
Ironie de l’histoire: c’est au moment où la société française apparaît lourdement fracturée, où les inégalités sociales sont criantes, où le vivre-ensemble est menacé, où il existe une spectaculaire demande de justice sociale que la gauche rencontre des difficultés manifestes pour s’imposer. Le constat est terrible pour cette gauche, alors que, historiquement, si l’on considère ses positions lorsqu’elle était au gouvernement ou dans l’opposition, ce sont là ses préoccupations de prédilection.
Pourtant, c’est le débat sur l’identité et la sécurité, que le duo Le Pen/Zemmour a réussi à imposer aux médias et à la conversation nationale, qui a totalement éclipsé ces thématiques, au profit desidées de confrontation et d’exclusion.
Sur ces questions qui enflamment le débat national, la gauche est restée aphone, comme tétanisée à l’idée de se positionner. Son discours a donné cette vague impression de décalage par rapport à une réalité clivante. Certains dénoncent son «manque de courage» et «d’imagination» devant un monde qui perd progressivement sa vision manichéenne entre le bien et le mal, entre le progrès et la conservation.
Depuis le début de ce processus présidentiel, la gauche a montré son incapacité à produire un leadership unitaire. Jusqu’à présent, elle a échoué là où la droite républicaine a réussi à enfanter – certes dans la douleur – la candidature de Valérie Pécresse.
La gauche est accusée d’avoir perdu les liens qu’elle entretenait autrefois avec les classes populaires et ouvrières. Elle souffre aujourd’hui d’une paralysie provoquée par la compétition des chapelles. Et ce qui désespère ses troupes au plus haut point, c’est l’incapacité des différents courants qui la composent à se mettre d’accord sur un mode de sélection d’un(e) candidat(e) pour représenter ses couleurs dans cette course présidentielle.
Alors que, pour les différents candidats de gauche déclarés, les sondages ne décollaient pas – ils les maintenaient en queue de peloton –, est apparue une revenante de la gauche de gouvernement:Christiane Taubira. Pour certains, son profil très marqué ainsi que son nom, qui reste associé à l’une des réformes sociétales les plus emblématiques de ces dernières décennies, le mariage pour tous, feraient d’elle une candidate compatible avec le casting très clivé des personnalités qui participent actuellement à cette campagne présidentielle.
Christiane Taubira pourrait à merveille donner la réplique idéologique aux harangues d’une extrême droite incarnée par le duo Zemmour/Le Pen. Elle saurait parfaitement mettre en difficulté un homme comme Emmanuel Macron, qui, à force d’être obsédé par sa droite, a oublié de parler à sa gauche. À force de vouloir faire plaisir aux riches, diraient ses détracteurs, il a oublié de s’occuper de la précarité dans ses multiples dimensions.
Pour réaliser cette entreprise, encore faudrait-il que la plupart des candidats de gauche, par désespoir ou réalisme, jettent l’éponge et se mobilisent derrière Christiane Taubira. Or, c’est inimaginable dans le contexte actuel.
Pour Emmanuel Macron, cette gauche-là, divisée «façon puzzle» et paralysée par la guerre des egos, ne constitue nullement un danger pour sa réélection. Il la craint moins que les Républicains de Valérie Pécresse. En effet, elle incarne davantage pour lui un réservoir de vote auquel faire appel pour contrer les dangers de l’extrême droite qu’un véritable compétiteur susceptible de le priver d’un second mandat.
Jamais, dans les élections présidentielles de ces dernières décennies, la gauche française n’a paru si loin du pouvoir, alors même que les thématiques qui fondent son programme et ses ambitions sont celles que plébiscitent les Français, surtout si l’on exclut cette illusion d’optique selon laquelle le débat sur l’identité et sur le rapport avec l’autre serait l’alpha et l’oméga de ce scrutin français.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
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NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.