Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a adressé une lettre ouverte au président français, Emmanuel Macron, après la noyade, le mois dernier, de plusieurs dizaines de personnes qui essayaient de traverser la Manche à bord de leur canot. M. Macron a balayé du revers de la main cette lettre si collégiale. Avec sa hâblerie habituelle, il a attaqué le Royaume-Uni et a passé outre la tragédie humaine que constitue cette noyade. Macron s’est promis de ne jamais tolérer que la région soit contrôlée conjointement par les deux pays; pourtant, une semblable coopération éviterait que de tels incidents se répètent. L’argument que le président français met en avant est qu’il souhaite préserver la «souveraineté» (de son pays, NDRL).
En avril prochain, les électeurs français choisiront leur prochain président. Un second tour de scrutin sera organisé si le premier ne donne pas une majorité absolue à l'un des candidats. Sous les coups de boutoir de la droite, M. Macron se plie aux exigences des électeurs nationalistes. Le mouvement de centre gauche En Marche (La République en marche, NDRL), qui semble avoir perdu la fraîcheur de ses débuts, se montre de plus en plus obsédé par la place de la France dans le monde.
Les deux derniers présidents français, François Hollande et Nicolas Sarkozy, ont laissé leur empreinte à leur pays, pour le meilleur et pour le pire. Mais, au lieu d'imposer la vision de la France sur la politique étrangère, ils se sont contentés d’assister au déclin de la république sur la scène internationale. Les deux hommes ne se sont intéressés qu'aux affaires intérieures de l’Hexagone. Ils ont ainsi perdu de leur influence en Europe en faveur de l'Allemagne. Leur pratique peu brillante de la langue anglaise les a empêchés de tisser des liens étroits avec les présidents américains.
Le dernier grand seigneur que la diplomatie française ait connu est le regretté Jacques Chirac. Sa franchise lui avait valu le surnom de «Bulldozer» auprès de ses collègues. Il s'est fermement opposé à l'invasion de l'Irak en 2003 et s'est fait davantage d'amis que d'ennemis à l'étranger. Son discours sur l'arsenal nucléaire français était ferme et il a su braquer les projecteurs sur le changement climatique à une époque où les autres pays du Groupe des Huit (G8) traînaient les pieds.
On se souvient de son mandat comme d'une décennie marquée par le rôle prépondérant de la France dans les affaires internationales. Macron a tenté de marcher sur les traces de Chirac en adhérant à la doctrine gaulliste, qui appelle à «affirmer la souveraineté et l'unité nationales de la France». Cependant, à force de privilégier ce principe, il n’est pas parvenu à étendre l'influence française.
La France accorde aujourd’hui une grande importance au monde arabe sur le plan stratégique, contrairement à la tendance qui prévalait par le passé. Macron a cherché à mettre en avant cette stratégie lorsque, au début de son mandat, il a insisté sur la lutte contre Daech. Il voulait apparaître comme un défenseur de la sécurité des Français. En mettant en œuvre cette philosophie en Irak, en Syrie, en Libye et au Liban, son approche vis-à-vis de cette région est devenue trop étroite et son discours antiterroriste a fortifié, en France, les voix xénophobes. Son gouvernement s'est ainsi retrouvé en porte-à-faux avec l'islam, la deuxième plus importante religion de France.
L’approche de Macron vis-à-vis de la région est devenue trop étroite et son discours antiterroriste a fortifié, en France, les voix xénophobes
Zaid M. Belbagi
On pensait que Macron, après avoir été exclu du processus d'Astana sur la guerre en Syrie, prendrait en charge le dossier du programme nucléaire iranien. Cependant, il n'a pas réussi à exercer une influence sur ce dossier, même si la France entretient avec Téhéran des liens plus cordiaux que ceux des pays du P5+1. Contrairement à Hollande, qui faisait la cour à Riyad, et à Sarkozy, qui privilégiait Doha, Macron adopte une approche holistique à l'égard du Golfe.
Le week-end dernier, il s'est rendu à Riyad. Ce déplacement intervient quelques mois avant l’échéance présidentielle. Dans la mesure où sa politique au Moyen-Orient a débouché sur des manifestations et un boycott des produits français, on se demande si cette offensive de charme produira les résultats escomptés, outre l'image d'homme d'État qu'elle a donnée de lui à ses électeurs.
En effet, on évoque la «méthode Macron» pour décrire la façon hyperactive et prétendument perturbatrice dont le président aborde la politique étrangère; une approche qui repose avant tout sur ses relations personnelles avec ses homologues. Cette méthode lui a sans doute conféré davantage de charme et de tact. À Washington, Macron espérait devenir un homme du monde, mais sa relation épineuse avec Donald Trump ou ses clins d'œil à Vladimir Poutine ne lui ont pas rapporté grand-chose. À ce jour, il n'a pas encore reçu le président Joe Biden ni été invité par ce dernier.
Le Brexit a offert à la France une occasion unique de devenir le chef de file de l'Union européenne; toutefois, son ambition, qui consistait à relancer ses relations avec l'Allemagne et de nouer un «nouveau partenariat» avec Berlin, est tombée à l’eau. Cet échec s'explique par le désir exprimé par Macron d'accroître la puissance de la France à l'étranger. Les décisions que Macron a prises en matière de politique étrangère et de sécurité ont exacerbé les tensions entre la France et l'Allemagne, dans la mesure où elles ont surpris ou contrarié Berlin.
Si l'Allemagne cherche à redresser et à renforcer l'Union européenne, Macron, lui, souhaite préserver son autonomie en matière de politique de défense et combler de manière unilatérale le vide stratégique engendré par l'intérêt moins vif que portent les États-Unis à l'Europe. Alors que Berlin insiste sur le renforcement de la position de l'Otan et de l'Union européenne, les efforts nationaux solitaires de Macron ont mis à mal ces projets. Le récent fiasco qui a découlé du pacte de sécurité conclu entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, et la décision prise par Canberra d'annuler une grande commande de sous-marins et de les remplacer par des navires nucléaires américains ont soulevé un tollé en Europe. En effet, cela signifie que Macron poursuit une politique solitaire qui a fatalement échoué au lieu de renforcer la défense de l'Europe.
Alors que Macron entame sa cinquième année en tant que chef de l’État, ses interventions diplomatiques hardies, autrefois considérées comme courageuses, ont déstabilisé la présidence française à plusieurs moments. Comme on a pu le constater au Liban, la France est capable de peser sur la situation d’un État défaillant déchiré par les crises – n'importe quelle puissance européenne en est d’ailleurs capable. Mais la France se bat encore et toujours pour exercer une influence sur les grands dossiers. En annonçant le retrait de ses troupes chargées de la lutte contre l’extrémisme au Sahel au cours du premier trimestre de l’année 2022, la France donne un bon exemple des difficultés qu'elle rencontre à cet égard. À l'instar de Macron, la France est capable de se positionner sur la scène internationale. Mais pour maintenir son influence, elle doit se doter d'une vision prospective, qui lui fait cruellement défaut jusque-là.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid
NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com