MBS, ardent défenseur de la paix

Alors que les signaux de paix retentissent entre Kiev et Moscou sous le parrainage américain, la grande réussite du moment est que cette prise de conscience est arrivée sur le sol arabe, en Arabie saoudite. Il est pratiquement sans précédent dans les temps modernes qu'une capitale arabe accueille des pourparlers de paix sur une crise internationale. Le seul précédent en termes de portée et d'échelle est peut-être celui du petit et très discret sultanat d'Oman, qui a servi de plateforme aux négociations secrètes entre les États-Unis et l'Iran, lesquelles ont débouché sur le fameux accord international de 2015 sur le nucléaire iranien, qui a depuis connu des hauts et des bas.

Aujourd'hui, la diplomatie saoudienne joue un rôle clé dans la recherche effrénée de la paix entre la Russie et l'Ukraine. Elle a commencé par une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères russe et américain, respectivement Sergueï Lavrov et Marco Rubio. Elle s'est poursuivie par des négociations américano-ukrainiennes lors du sommet de Djeddah, qui ont abouti à l'acceptation par Kiev d'une trêve d'un mois, préambule à un éventuel cessez-le-feu durable et à des négociations politiques entre les deux pays belligérants.

Le choix de l'Arabie saoudite soulève des questions. Traditionnellement, de telles réunions, cruciales pour la paix dans le monde, se tiennent rarement dans les pays arabes. Aujourd'hui, la situation a changé. L'Arabie saoudite est devenue la destination où la paix et la stabilité mondiales sont négociées au plus haut niveau. Le secret de cette performance réside dans deux niveaux d'analyse qui ont permis à un pays comme l'Arabie saoudite d'être ce couvent de la paix en Europe.

Le premier se trouve dans le positionnement général des pays arabes par rapport à la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Depuis son déclenchement, la plupart des pays arabes ont refusé de prendre parti. Malgré les relations économiques et sécuritaires privilégiées qu'ils ont développées avec l'administration américaine et l'Europe, ces pays arabes ont refusé de s'aligner aveuglément contre la Russie, aux côtés des Américains et des Européens. Inspirés par une philosophie du Sud qui considère que la guerre entre Kiev et Moscou est avant tout une affaire intérieure européenne, une préoccupation de la famille atlantique, ces pays arabes se sont abstenus d'y prendre part, que ce soit en armant l'Ukraine ou en participant au blocus économique imposé par l'Occident à la Russie. L'Arabie saoudite, grand producteur et exportateur de pétrole, a toujours refusé de mettre en œuvre des stratégies de production d'énergie visant à étouffer l'économie russe.

L'Arabie saoudite est devenue la destination où la paix et la stabilité mondiales sont négociées au plus haut niveau.

-Mustapha Tossa

Le deuxième niveau d'analyse qui explique pourquoi ces pays arabes ont maintenu une relation de qualité avec Moscou est le fait que les dirigeants arabes, qu'ils soient saoudiens, marocains ou émiratis, ont développé des relations personnelles et des contacts directs avec le président Vladimir Poutine. Le dirigeant russe les considère non pas comme des adversaires aveuglément alignés sur ses ennemis, mais comme des partenaires objectifs aux positions équilibrées, avec lesquels il peut non seulement faire des affaires, mais aussi construire des compromis politiques. Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, s'entretient régulièrement avec Poutine, tout comme il reçoit régulièrement le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Ce n'est pas la première fois que la diplomatie saoudienne est impliquée dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Son implication dans le conflit a déjà conduit à des échanges de prisonniers russes et ukrainiens, comme ce fut le cas en septembre 2022, où elle a également joué un rôle clé dans la libération d'une douzaine de prisonniers étrangers capturés en Ukraine. Parmi eux se trouvaient des ressortissants américains et britanniques.

La diplomatie saoudienne a gagné en crédibilité et en efficacité. Elle a démontré sa performance et sa transformation en se rapprochant de la Chine, permettant à cette dernière de parrainer un accord politique sans précédent en 2023 entre Riyad et le régime iranien. La Chine a réussi là où Washington avait échoué. Aujourd'hui, l'Arabie saoudite joue dans la cour des grands en s'imposant comme le réceptacle incontournable de la paix entre Ukrainiens et Russes. Le prince héritier assume volontiers le rôle de champion de la paix. La guerre entre la Russie et l'Ukraine lui donne l'occasion de déployer la nouvelle envergure de la diplomatie saoudienne.

Cette performance saoudienne en Ukraine – si elle réussit, comme tous les indicateurs semblent le suggérer, à rétablir la paix en Europe – aura un impact féroce sur la qualité et l'étendue des rôles que le Royaume jouera dans d'autres conflits et guerres régionaux. Le leadership saoudien gagnera en notoriété et en efficacité s'il veut jouer un rôle politique et diplomatique à la hauteur de sa puissance économique et financière déjà gigantesque.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d'avoir participé au lancement du service arabe de Radio France Internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Il tient également deux blogs en français et en arabe, dans lesquels il discute de la politique française et internationale, en particulier des questions arabes et maghrébines. 

X: @tossamus
 
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com