PARIS : Le voyage qu’entreprend cette semaine Emmanuel Macron au Qatar, aux Émirats arabes unis (EAU) et en Arabie saoudite était attendu depuis plusieurs mois et il est le bienvenu. La France a toute raison d’entretenir un contact étroit avec le Qatar, avec lequel les liens sont nombreux, en dépit des réserves qu’inspire le soutien apporté par Doha aux Frères musulmans. Avec les Émirats, la France a depuis longtemps une relation approfondie; les deux chefs d’État se connaissent et s’apprécient. Mais la rencontre prochaine à Riyad entre le président français et le prince Mohammed ben Salmane est certainement l’étape la plus nouvelle et, de ce fait, la plus significative.
Ce n’est pas un hasard si la tournée du président français intervient au moment où les négociations entre l’Iran et le groupe des 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité + l’Allemagne) reprennent à Vienne en vue de relancer l’accord de démantèlement du programme nucléaire iranien signé en 1995. La situation critique dans laquelle se trouve l’économie iranienne laisse espérer que, au prix d’une levée des sanctions américaines, un accord pourra être trouvé. Téhéran traîne les pieds et veut obtenir une levée intégrale et définitive de toutes les sanctions, y compris celles qui ne sont pas liées au nucléaire. Mais une autre hypothèse doit être envisagée; «less for less», disent les Américains: un déblocage d’une partie des fonds iraniens gelés contre une suspension provisoire et partielle des activités nucléaires iraniennes, et la négociation pourrait se poursuivre au-delà.
Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane sont parfaitement conscients de cette situation. Certes, ils appartiennent à deux traditions historiques radicalement différentes, mais ils sont de cette même génération des jeunes dirigeants du monde et ils aiment l’un et l’autre parler «cash». Leurs intérêts peuvent converger, pourvu qu’ils le veuillent vraiment. Mohammed ben Salmane s’inquiète légitimement de ce que sera l’avenir du Moyen-Orient sans les États-Unis, entre les ambitions dominatrices de la Turquie, l’agressivité iranienne et les prétentions russes. Pour asseoir son leadership sur le monde arabe sunnite, il a besoin du contrepoids de l’Union européenne (UE). Cela tombe bien, Emmanuel Macron travaille depuis quatre ans à reconstituer l’influence française au Moyen-Orient et, en janvier prochain, la France va présider l’UE, trouvant ainsi, après la retraite d’Angela Merkel, une opportunité favorable pour avancer ses pions. C’est donc peut-être, pour les deux hommes, un moment clé.
Après le succès, en juillet dernier, de la conférence de Bagdad sur la stabilité au Moyen-Orient qu’il avait parrainée, le Français voudrait poursuivre sa démarche en y impliquant les États du Golfe. Chacun est conscient que les États-Unis sont sur le départ. Joe Biden veut un accord raisonnable avec l’Iran; il laissera quelques moyens militaires dans le Golfe, mais ses priorités sont ailleurs, en Asie notamment. C’est donc, pour les deux dirigeants, le moment de se mettre en mouvement pour sortir le Moyen-Orient du chaos où l’a plongé une décennie désastreuse. Voilà l’enjeu de cette rencontre.
Aujourd’hui comme hier, l’Arabie saoudite est au cœur de tous les événements de la région. Certains dirigeants semblent prêts à rechercher quelles pourraient être les conditions d’une sécurisation du Golfe qui soit durable et acceptable par tous les pays riverains, y compris l’Iran. C’est un fait nouveau qui, s’il était confirmé, serait d’une très grande importance. Ce sera sans doute le premier sujet entre les deux hommes. Ils évoqueront aussi, très probablement, la situation en Syrie, en Palestine, les tensions en Irak et la crise libanaise. L’Arabie saoudite a toujours été influente à Beyrouth, la France également.
Pour les deux pays, le blocage de la situation provoqué par le Hezbollah est une préoccupation majeure. Enfin, Emmanuel Macron ne manquera sans doute pas d’évoquer les difficultés de l’islam de France et ses efforts pour le soustraire aux influences étrangères, ainsi que la lutte contre le terrorisme de Daech et d’Al-Qaïda au Mali pour solliciter de son partenaire saoudien un soutien sans ambiguïté.
Sur tous ces sujets, l’entrevue entre Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane pourrait déboucher sur des convergences significatives, qui sont aujourd’hui sous-jacentes, mais qui pourraient apparaître au grand jour. C’est l’intérêt de nos deux pays de nouer un partenariat le plus étroit possible pour faire face aux évolutions moyen-orientales désormais en marche. Il est sans doute trop tôt pour lancer le projet d’une conférence internationale sur la paix au Moyen-Orient, dans l’esprit de ce qu’a été la CSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, NDLR). Mais il n’est pas trop tôt pour y penser et s’y préparer.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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