L’histoire du dernier baril de pétrole a gagné du terrain ces dernières années alors que les pays du monde entier, notamment dans certaines parties du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, se démènent pour réduire les émissions de carbone et transformer des sociétés entières en vue d'éviter une crise causée par le réchauffement de la planète. C'est un exercice fascinant que d'essayer de prédire où et quand le dernier baril de pétrole sera vendu, ne serait-ce que pour déterminer comment l'économie mondiale parviendra à se sevrer des énergies fossiles après un siècle entier de dépendance.
Cependant, si les tendances actuelles persistent, l'histoire du dernier baril de brut sera une saga connue faite de divergences, de contradictions, d'incertitudes et de vérités dérangeantes. Le monde ne verra peut-être jamais son dernier baril de pétrole. Le cas échéant, ce dernier baril résultera de l'épuisement des réserves de combustibles fossiles, et non du fait que nous avons réussi à fermer les robinets et à éradiquer complètement le charbon, le pétrole et le gaz naturel de l'économie mondiale.
C'est une histoire similaire en ce qui concerne les prochaines transitions énergétiques qui devraient mettre fin à la dépendance au pétrole et au gaz dans les économies avancées du monde, de même que dans les économies les plus pauvres – souvent les plus vulnérables au changement climatique.
Les économies les plus riches restent bien placées, malgré les défis de la pandémie, pour amorcer des transitions qui réduiront temporairement le produit intérieur brut, augmenteront le chômage et entraîneront peut-être des pressions inflationnistes en raison des coûts de l'énergie initialement élevés. En revanche, la plupart des économies en développement dans le monde ne sont même pas en mesure de garantir un accès équitable à une énergie bon marché pour la plus grande partie de leurs populations. Cette situation est en train de s'aggraver et de devenir la cause fondamentale d'une série de maux socio-économiques.
Ces «disparités» créent un mélange différent de priorités au cours de cette décennie décisive pour l'atténuation du changement climatique, comme le montre la conclusion quelque peu décevante du sommet sur le climat de Glasgow. Pour le moment, et peut-être bien au cours de la prochaine décennie, le monde en développement devra continuer à compter sur sa consommation de combustibles fossiles, voire à l'augmenter, d'abord pour remettre sur pied les économies touchées par la pandémie, et ensuite pour renforcer la résilience des sociétés à venir dans ce qui constituera probablement une série de transitions douloureuses.
Entretemps, la plupart des pays de l'hémisphère sud devront mettre en œuvre des réformes attendues depuis longtemps et qui seront probablement des conditions préalables à l'accès au financement climatique.
Après tout, malgré la poussée des énergies renouvelables, le pétrole, le charbon et le gaz naturel bon marché resteront des sources d'énergie très attrayantes, même au-delà de 2050, pour la plupart des pays du monde à revenu faible et modéré. Selon leurs calculs, se fier à des énergies renouvelables non adaptables et non testées qui devront être intégrées aux réseaux électriques et aux réseaux de transport existants et dépendants des combustibles fossiles est extrêmement risqué et politiquement coûteux.
Mettre fin aux subventions des combustibles fossiles, comme on le voit dans certaines parties du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, ainsi qu'essayer d'éliminer progressivement le charbon et de mettre en œuvre des systèmes de tarification du carbone, ne fera qu'ajouter une pression énorme, quasiment destructrice, sur des sociétés et des économies déjà vulnérables. De plus, certains secteurs, tels que l'aviation et le transport maritime, sont extrêmement difficiles et onéreux à électrifier. Cela s'applique également à certains types de fabrication qui nécessitent un chauffage industriel, comme la production d'acier, de ciment, de produits chimiques, de céramique et de verre.
Aucun avantage de capital politique ne pourrait jamais «légitimer» la contraction des économies, la hausse du chômage, l'inflation, l'arrêt de secteurs entiers et la perte rapide de valeur des monnaies, simplement pour se lancer dans des révolutions vertes auxquelles même les plus grands pollueurs du monde ont résisté jusqu'à présent.
Pour enfoncer encore le clou, ces mêmes économies avancées n'ont pas encore tenu leurs propres promesses de mettre de côté jusqu'à 100 milliards de dollars (1 dollars = 0,86 euro) de financement climatique pour subventionner le passage aux énergies renouvelables dans le monde en développement. Ainsi, alors qu’augmente la pression sur les pays à faible revenu, les pays industrialisés responsables de la plupart des émissions mondiales de carbone retardent cette aide ou rendent très difficile l'accès aux dérisoires 10,3 milliards de dollars de financement climatique actuellement disponibles.
En conséquence, cette obsession nécessaire avec l'accès à une énergie relativement bon marché parmi les États importateurs de pétrole aura presque autant d'influence sur la pérennité des combustibles fossiles, bien après 2070 et dans les années 2100, que la nécessité de maximiser les rendements des secteurs des hydrocarbures parmi les exportateurs de pétrole. Ainsi, pour les producteurs de la région MENA, il y a très peu de raisons de travailler avec des hypothèses hyperboliques et de planifier pour un monde qui n'aura plus besoin du pétrole issu de la région.
Jusqu'à présent, aucun consensus n'a été dégagé concernant le moment précis où le monde atteindra le pic pétrolier. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole prévoit que la demande de pétrole continuera d'augmenter au moins jusqu'en 2045, et sera suivie d'une baisse relative de la part du pétrole dans l'énergie mondiale de seulement 2%, contrairement aux attentes de l'Association internationale de l'énergie concernant une baisse de 75% de la demande de combustibles fossiles entre 2020 et 2050.
En fait, avant même de parvenir à cet avenir, les économies avancées sont au milieu de crises énergétiques en raison de la hausse des prix du pétrole et du gaz, des inquiétudes liées à l'inflation et de la diminution de la volonté politique de mettre en œuvre des politiques climatiques restrictives alors que la pandémie fait toujours des ravages. Par conséquent, un effondrement de la demande à partir de 2023 est hautement improbable, ne fût-ce qu’en raison de la flambée des prix actuellement à la hausse. Un certain nombre de nouveaux projets seront bientôt en place à travers le monde – de la Norvège à l'Afrique du Sud, du Brésil au Japon, voire aux États-Unis, où la production de pétrole de schiste devrait atteindre son pic à la fin des années 2020.
Au-delà de 2030, la pétrochimie, largement utilisée dans les produits au quotidien, représentera près de la moitié de la demande mondiale de pétrole. Les produits pétrochimiques sont également utilisés dans la production de panneaux solaires, de batteries, d'éoliennes, de véhicules électriques et d'installations thermiques indispensables aux économies vertes de demain.
Dans les capitales du Golfe, on s'attend à ce que la demande mondiale de brut continue d'augmenter, et compte tenu du coût de production extrêmement bas de l'Arabie saoudite d'environ 4 dollars le baril, la région continuera probablement à pomper du pétrole jusque dans les années 2100, même si la demande du monde développé et des pays à revenu moyen diminue considérablement. En substance, plus il faudra de temps pour atteindre le pic pétrolier, mieux les économies de la région se porteront, tant pour les consommateurs que pour les producteurs, mais pas pour la planète.
D’autre part, plus tôt arrivera le dernier baril, mieux la planète se portera, tandis que les perturbations de l'approvisionnement et de l'accès à l'énergie auront des effets plus néfastes sur les économies et les sociétés du monde arabe dépendantes des combustibles fossiles. Ainsi, les projections concernant le moment où le dernier baril de brut sera produit et où il sera vendu pourraient simplement devenir des exercices de réflexion pour des générations confrontées à une diminution des réserves de brut dans un avenir lointain.
Quoi qu'il en soit, ce dernier baril proviendra probablement de la région MENA, compte tenu de ses faibles coûts de production et de la baisse des prix relatifs au seuil de rentabilité pour les nouveaux projets pétroliers. Cependant, cette hypothèse repose sur des prévisions extrêmes de changements potentiels inspirés par le climat du côté de l'offre, sans tenir compte d'un ensemble complexe de facteurs nécessaires pour parvenir à un monde mythique de «zéro pétrole».
Hafed al-Ghwell est chercheur associé de l'Institut de politique étrangère de l'École des hautes études internationales de l'université Johns Hopkins.
Twitter: @HafedAlGhwell
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com