Aux États-Unis, le pétrole est enfermé dans une camisole de force de nature financière

Christyan Malek, l'analyste le mieux classé de JP Morgan qui a prévu la récente flambée des prix il y a quelque temps, affirme que l'industrie du pétrole aux États-Unis est enfermée dans une « camisole de force » de nature financière. (Photo, AFP)
Christyan Malek, l'analyste le mieux classé de JP Morgan qui a prévu la récente flambée des prix il y a quelque temps, affirme que l'industrie du pétrole aux États-Unis est enfermée dans une « camisole de force » de nature financière. (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 14 juin 2021

Aux États-Unis, le pétrole est enfermé dans une camisole de force de nature financière

Aux États-Unis, le pétrole est enfermé dans une camisole de force de nature financière
  • Le dernier « rig count » (nombre des installations de forage) est resté stable à 359 plateformes opérant sur le marché pétrolier des États-Unis
  • La pression du lobby environnemental nouvellement soutenu par l'administration Biden les contraint en même temps à s'engager dans la transition énergétique plutôt que dans l'expansion des activités liées aux hydrocarbures

Le Brent semble atteindre un nouveau plancher supérieur à 70 dollars. Le West Texas Intermediate, principale victime de l'effondrement des prix, survenu il y a un peu plus d'un an, touche lui aussi des sommets sur plusieurs années. Pourtant, le schiste américain semble rester coincé dans une ornière. 

Les chiffres du cabinet de conseil en énergie John Kemp ont récemment révélé que le dernier « rig count » (nombre des installations de forage) est resté stable à 359 plateformes opérant sur le marché pétrolier des États-Unis, pour la plupart dans les gisements de schiste de l'ouest du Texas.

Ce chiffre est nettement supérieur au creux conjoncturel enregistré en août dernier (172), au moment où l'industrie pétrolière américaine a fermé ses portes, comme la plus grande partie de l'économie mondiale. Cependant, il reste largement inférieur aux 683 installations de forage qui opéraient avant que la pandémie ne frappe.

Voilà donc une véritable énigme, qui soulève de nombreuses interrogations auprès des analystes du secteur pétrolier. Dans le passé, l'industrie du schiste aux États-Unis a tiré sa force de son caractère flexible et réactif face aux conjonctures financières. La nature de l'industrie du schiste permettait aux exploitants de charger et repartir dans les champs de pétrole du bassin permien, lorsque le prix justifiait une telle activité.

Étant donné que le coût de production, pour la plupart des exploitants de schistes, se situe entre 40 et 50 dollars, le moment semblerait propice pour reprendre le forage. Pourtant, les chiffres de forage indiquent le contraire. 

Qu'attend alors le schiste pour redécoller ?

L'une des réponses à cette énigme est la suivante : en dépit de la stagnation des activités de forage, les échanges d'actifs se multiplient dans le bassin permien. Des parcelles de terrain dont la valeur est estimée à quelque 7 milliards de dollars ont été échangées au cours des cinq premiers mois de 2021 –  ce qui correspond à la valeur enregistrée sur l'ensemble de l'année 2020 – dans la mesure où les sociétés d'exploitation ainsi que les investisseurs tentent de combler une part des pertes subies au cours de l'année dernière.

Cependant, cette situation ne fait que mettre en évidence la nouvelle réalité de l'industrie du schiste aux États-Unis. Le pétrole danse sur une mélodie imposée par l'industrie financière au lieu de se consacrer à l'extraction de la substance noire du sol.

Christyan Malek, l'analyste le mieux classé de JP Morgan qui a prévu la récente flambée des prix il y a quelque temps, affirme que l'industrie du pétrole aux États-Unis est enfermée dans une « camisole de force » de nature financière.

Les responsables du secteur du schiste, qui bénéficiaient autrefois d'un accès quasi illimité aux capitaux, sont obligés désormais de se plier aux nouveaux impératifs imposés par l'effondrement du WTI (West Texas Intermediate ) qui a entraîné la faillite de certains d'entre eux.

Les exploitants de schiste qui maintiennent leur activité sont obligés d'utiliser les fonds pour honorer leurs promesses de désendettement ; en d'autres termes pour rembourser leurs prêts, plutôt que de dépenser cet argent pour relancer les activités de forage.

En outre, ils sont tenus de respecter leurs engagements envers les investisseurs et les banquiers qui les ont aidés à poursuivre leurs activités l'année dernière. Ils doivent donc verser des dividendes plus élevés et racheter des actions afin d'améliorer leurs rendements historiquement faibles.

La pression du lobby environnemental nouvellement soutenu par l'administration Biden les contraint en même temps à s'engager dans la transition énergétique plutôt que dans l'expansion des activités liées aux hydrocarbures.

Les récents problèmes rencontrés par les sociétés ExxonMobil et Chevron au niveau de leurs actionnaires montrent que même les plus grandes compagnies américaines de pétrole sont vulnérables face aux revendications de la nouvelle génération d'activistes environnementaux, qui bénéficient de plus en plus du soutien de la part d'investisseurs soucieux des critères de performance ESG (NDRL : L'ESG est synonyme d'environnement, de social et de gouvernance, il désigne l'évaluation des impacts d'une entreprise à travers des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance) tant aux États-Unis qu'en Europe.

Par le passé, le prix des actions cotées des compagnies pétrolières traduisait plus ou moins le prix du pétrole brut sur les marchés mondiaux. Toutefois, en dépit des gains spectaculaires enregistrés par le Brent et le WTI au cours de cette année, aucun exploitant indépendant n'a réalisé des gains aussi importants.

Le secteur du pétrole semble devoir attendre longtemps avant de surmonter la crise pétrolière qui a frappé les États-Unis en 2020. Par ailleurs, rien ne garantit que le gaz de schiste puisse un jour retrouver la place prépondérante qu'il a occupée sur les marchés énergétiques dans le monde au cours des dix dernières années.

Voilà donc une bonne nouvelle pour l'OPEP+, la Russie et surtout l'Arabie saoudite, qui pourront élargir davantage leur part du marché mondial sans se soucier de ce qui ressemble de plus en plus à une mise en scène américaine.

 

Frank Kane est un journaliste d'affaires primé basé à Dubaï.

Twitter: @frankkanedubai

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com