DAVOS: Quelque part entre la petite ville industrielle de Landquart, dans l’est de la Suisse, et Davos, station balnéaire de renommée mondiale près de la frontière autrichienne, le climat et la campagne changent. J’en suis témoin depuis 2012 à chaque fois que j’assiste au forum de Davos.
Vous traversez un pays de basse altitude en suivant des vallées fluviales et ce qui semble constituer de très bonnes terres arables avant de vous retrouver soudain au milieu de paysages alpins vertigineux, avec des montagnes escarpées et des glaciers qui émergent de lacs transis.
Pas plus tard qu’hier matin, en prenant le train pour le Forum économique mondial, j’ai remarqué une différence notable par rapport aux années précédentes. Le blanc laissait plus de place au vert dans le paysage. Il a fallu que nous fassions un bon bout de chemin vers Davos (qui, à une altitude de 1 500 mètres, se trouve bien au-dessus de la limite des neiges) avant de voir apparaître l’environnement alpin habituel.
Pour certains militants il s’agit bien là d’une preuve irréfutable que le réchauffement climatique est déjà sur nous, à Davos même, la demeure montagnarde des «maîtres de l’univers».
Peut-être. Mais il n’est pas nécessaire d’être climatosceptique pour affirmer que cela pourrait également signifier que le début de janvier est relativement doux en Suisse cette année. En observant le ciel de Davos chargé de nuages de neige à la fin de l’après-midi ainsi que les prévisions météorologiques qui indiquent des températures en chute libre et des blizzards pour le reste de la semaine, il semble que le climat reprendra très prochainement son cours normal.
Je n’ai aucun scrupule à parler autant de météo, puisque je suis convaincu que ce sujet – ou, plus exactement, le climat – sera l’enjeu clé à Davos cette année, du moins pour la grande délégation du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui a gravi la Montagne magique.
Ce forum intervient après la COP27, quelques jours seulement après la nomination du Dr Sultan al-Jaber en tant que président désigné de la COP28, qui aura lieu aux Émirats arabes unis (EAU) à la fin de cette année.
Il coïncide plus ou moins avec la Semaine de la durabilité d’Abu Dhabi, qui a débuté samedi. La date choisie est peu judicieuse, puisque certains des experts réunis dans la capitale des EAU auraient certainement aimé pouvoir diffuser leur message à Davos également. Ils auraient également eu l’occasion d’expliquer la légitimité de la nomination de M. Al-Jaber comme principal responsable de la COP28 face à la réaction assez hystérique des militants écologistes.
En effet, M. Al-Jaber est à la fois directeur environnemental, grâce à son travail à Masdar, et magnat du pétrole à Adnoc. Or, il est important de savoir comment il est possible de parvenir à zéro émission nette en réussissant la transition énergétique sans l’implication et la collaboration des entreprises et des pays producteurs d’hydrocarbures. Il s’agit en outre de comprendre de quelle manière les hydrocarbures continueront d’être essentiels pour alimenter la croissance économique au cours des décennies nécessaires pour mener à bien la transition vers des sources d’énergie plus propres.
Les hydrocarbures seront essentiels pour alimenter la croissance économique au cours des décennies nécessaires pour mener à bien la transition vers des sources d’énergie plus propres. Frank Kane
Peut-être que les gens du Forum économique mondial seront plus enclins à écouter des arguments aussi convaincants, mais je n’en suis pas tout à fait sûr. En tâchant de ne plus donner l’image d’un club réservé aux ultrariches et aux grosses entreprises, le forum a dû prendre en compte une grande partie du système de croyances écologiste, y compris quelques variantes de l’extrémisme du mouvement «Just Stop Oil».
Il reste fidèle à ses racines. Les Européens – de loin les écologistes les plus militants face aux actions des gouvernements et des sociétés énergétiques – dominent toujours les débats et la philosophie du Forum économique mondial à Davos.
C’est dommage, dans la mesure où la formule de partenariat public-privé de ce forum pourrait être la bonne approche pour relever le défi du réchauffement climatique, à condition toutefois qu’elle soit interprétée à une échelle suffisamment large pour inclure des organisations publiques comme les compagnies pétrolières nationales des pays producteurs de pétrole, à l’image, entre autres, de l’Arabie saoudite.
Par ailleurs, on assiste à une participation record du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord au Forum économique mondial de 2023. Cela pourrait être considéré comme un signe selon lequel les producteurs de pétrole – enhardis par une COP27 réussie en Égypte et la perspective d’un événement marquant cette année aux EAU – portent enfin l’argument jusqu’au bastion du militantisme écologique.
Quant au climat et au temps, je réserve mon jugement final jusqu’à samedi, lors de mon retour de la montagne.
Frank Kane est un journaliste spécialisé dans le domaine des affaires qui a remporté de nombreux prix. Il habite Dubaï.
Twitter: @frankkanedubai
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.