Beaucoup de gens, moi le premier, n'aiment pas les impôts. En réalité, pour de nombreux travailleurs étrangers de la région du Golfe, cette aversion est l'une des principales raisons de leur présence ici.
Il est difficile de nier le plaisir qui consiste à constater pour la première fois la ligne inférieure d’une fiche de paie identique à la ligne supérieure, après avoir grimacé pendant des années devant les 30% qui concernent beaucoup d’individus en Occident.
Cela ne veut pas dire que nous appartenons à une sorte de mouvement libertaire et antigouvernemental opposé par principe au financement de l'État ou aux services publics. Il s'agit plutôt de la conviction que les individus prendront souvent de meilleures décisions que les gouvernements en matière de dépenses pour leur avenir et celui de leur famille.
Le Golfe proposait un modèle économique qui semblait être un excellent compromis: les particuliers et les entreprises ne payaient pas ou peu d'impôts tandis que les services communaux ou publics – écoles, hôpitaux, routes, etc. – étaient financés individuellement, en fonction de leur utilisation, ou conjointement par le biais de droits et de prélèvements imposés par le gouvernement.
Pour la première fois, toutes les entreprises, étrangères ou émiraties, devront verser cette proportion de leurs bénéfices au gouvernement fédéral.
Bien sûr, une partie des revenus personnels finissait par revenir aux gouvernements, mais il y avait toujours la possibilité de choisir: si vous ne voulez pas ou si vous ne pouvez pas vous permettre le service public, ne l'utilisez pas.
Ce même raisonnement – ne pas pouvoir payer, ne pas vouloir payer – a également été utilisé lorsque les Émirats arabes unis (EAU) et d'autres pays ont introduit la TVA, en 2019. Si les 5% supplémentaires font une différence dans vos dépenses discrétionnaires, ne dépensez pas du tout.
Avec l'annonce des projets des EAU qui visaient à introduire un impôt sur les sociétés forfaitaire de 9% à partir de l'année prochaine, ce modèle économique réussi est remis en question. Pour la première fois, toutes les entreprises, étrangères ou émiraties, devront verser cette proportion de leurs bénéfices au gouvernement fédéral.
Il est important de souligner le caractère limité de cette mesure. Tout d'abord, et c'est probablement le point le plus important, il ne s'agit pas d'un impôt sur les salaires individuels, et les autorités émiriennes ont pris soin de souligner qu'elles ne prévoient pas d'introduire un tel système.
En théorie, il serait tout à fait possible, dans le cadre des nouvelles dispositions, de créer une société aux EAU pour quelques milliers de dollars et d'en retirer des millions en salaires personnels sans être affecté par le nouveau prélèvement de l'impôt sur les sociétés.
Le Royaume a fait l'objet de pressions pour «normaliser» son régime fiscal afin de garantir une plus grande transparence et de «prévenir les pratiques fiscales dommageables, comme l'ont reconnu les autorités financières des EAU lorsqu'elles ont fait l'annonce de l'impôt».
Deuxièmement, il s'agit d'une imposition relativement modeste. Lorsque les autorités financières mondiales sont convenues d'un taux d'imposition universel, l'année dernière, ce dernier a été fixé à environ 15%. Si ce taux devient la norme mondiale, les EAU resteront très compétitifs.
Troisièmement, comme les autorités émiriennes se sont empressées de le souligner, cette mesure s'accompagnerait progressivement d'une réduction des frais et des prélèvements pour les services gouvernementaux, ce qui, en théorie, équilibrerait l'impact global sur les entreprises.
Enfin, les nouvelles dispositions fiscales ne s'appliqueraient pas dans les zones franches, qui emploient de nombreux travailleurs étrangers et qui ont été le moteur de la croissance économique rapide des EAU au cours des deux dernières décennies.
Ainsi, pour toutes ces raisons, les entreprises des EAU ne verront probablement que peu de différence dans leurs résultats lorsque le nouveau régime d'impôt sur les sociétés sera mis en place. Cependant, cela a un sens plus profond.
Le Royaume a fait l'objet de pressions pour «normaliser» son régime fiscal afin de garantir une plus grande transparence et de «prévenir les pratiques fiscales dommageables, comme l'ont reconnu les autorités financières des EAU lorsqu'elles ont fait l'annonce de l'impôt».
La plupart de ceux qui ont critiqué le régime fiscal des EAU sont originaires de pays où l'on taxe et où l’on dépense beaucoup; ces États sont très heureux de voir leurs systèmes étendus à une partie du monde qui a prospéré sous un autre type de modèle économique.
Certains considèrent que la proposition de 9% n'est que le début d'un processus qui aboutira au déploiement de toute la panoplie d'armes dont dispose le fisc, y compris l'impôt sur le revenu. Si cela se produisait, cela aurait sans aucun doute un impact sur l'attrait de la région comme lieu de vie et de travail.
Les autres pays du Golfe, qui appliquent déjà des niveaux variables mais limités d'impôts sur les sociétés et d'autres taxes, seront attentifs à la manière dont se déroulera l'expérience des EAU.
Les avantages pour les EAU en termes de recettes publiques compenseront-ils la perte d'attractivité du pays en tant que lieu de vie et de travail?
Par ailleurs, cela vaut-il la peine de mettre au rebut le modèle économique qui a si bien servi les EAU pendant cinquante ans en échange de l'approbation des autorités financières internationales?
Frank Kane est un journaliste économique primé basé à Dubaï.
TWITTER: @frankkanedubai
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com