Au cours des trente années qui ont suivi son lancement en grande pompe, la conférence de Madrid de 1991 a été perçue de façon plus positive qu’immédiatement après, même si elle n’a pas permis de mettre fin aux conflits entre Israël et ses voisins, et encore moins de rétablir la paix.
Il ne s'agissait pas, loin s'en faut, d'une conférence de paix au sens strict, mais plutôt d’une cérémonie unique, bénéficiant d’un soutien international, pour mettre en place une série de négociations bilatérales directes entre Israël et ses voisins immédiats. Ce rassemblement international, coprésidé par le président américain, George H.W. Bush, et le président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, et largement soutenu à l’échelle internationale, n’a conduit qu’à un seul accord de paix ultérieur, celui entre Israël et la Jordanie. Mais ce résultat ne rend compte que d’une partie des faits de la conférence de Madrid.
Un accord de paix avec les Palestiniens, la Syrie et le Liban reste difficile à atteindre. Cependant, ce rassemblement de quatre jours a normalisé les relations directes entre Israël et certains de ses ennemis jurés. Toutes les parties au conflit arabo-israélien se sont alors retrouvées autour d’une même table pour mener des négociations directes.
Il est difficile d’imaginer les accords d'Oslo entre les Israéliens et les Palestiniens sans cette initiative, même si, tragiquement, ceux-ci n’ont pas abouti à l’objectif souhaité qui est celui d’établir un accord de paix basé sur une solution à deux États et de mettre complètement fin à toutes les autres revendications des deux côtés. Le spectacle d’échange de propos et de reconnaissance publique mutuelle entre les représentants israéliens et palestiniens, même si ce n’est pas toujours dans un esprit de réconciliation, constituait alors une nouveauté rafraîchissante qu’il convient de replacer dans son contexte. Au moment de la conférence de Madrid, un seul pays de tout le Moyen-Orient – l’Égypte – avait signé un accord de paix avec Israël douze ans plus tôt, sans aucun signe que les autres puissances régionales lui emboîteraient le pas. Pire, le président, Anouar el-Sadate, avait rompu l’impasse politique avec Israël et payé la signature de cet accord de paix avec Israël au prix de sa vie, lorsqu’il a été assassiné par des islamistes radicaux deux ans plus tard.
Tout bien considéré, réunir autour d’une même table des représentants de toutes les parties alors impliquées dans des guerres depuis plus de quarante ans n’était pas une mince affaire. Ce résultat peut être attribué à des conditions internationales extrêmement favorables et moins à l’empressement de ceux qui étaient impliqués dans ce conflit à faire, à ce stade, les compromis nécessaires à la conclusion d’un accord de paix. Au contraire, les discours de certains dirigeants ont montré qu’ils n’étaient pas prêts à abandonner les anciennes formules et rhétoriques, et qu’ils ont profité de la conférence de Madrid pour se dépeindre mutuellement sous le pire jour possible.
Néanmoins, il s'agissait d'une période d'euphorie et d'optimisme dans l'immédiat de l’après-guerre froide; une époque où le conflit arabo-israélien ne jouait plus de rôle dans la rivalité entre les superpuissances que sont la Russie et les États-Unis; et un moyen pour Washington et Moscou de démontrer qu’ils pouvaient coopérer sur certaines des questions les plus complexes et les plus déstabilisantes sur la scène internationale. Ils voulaient créer la possibilité d’inaugurer une nouvelle diplomatie plus cordiale où les intérêts mondiaux l’emportent sur les intérêts particuliers.
De plus, c’était une période euphorique non seulement en raison de la fin de la guerre froide mais aussi grâce à la libération du Koweït après son invasion et son occupation brutales par l’Irak de Saddam Hussein. Cet événement a mis en lumière une communauté internationale capable de travailler harmonieusement contre l’agression pour résoudre les conflits. Pendant un bref moment de l'Histoire, il a semblé que le grand rêve de l’ONU – tel qu’exprimé dans sa Charte – reprenait vie, après une période de sommeil de près d’un demi-siècle. Rétablir la paix au Moyen-Orient aurait pu en être la parfaite manifestation, avant que nous nous réveillions tous brutalement, ici comme ailleurs dans le monde. Mais à ce moment-là, la question du Koweït a réuni une coalition qui, quelques années plus tôt, aurait été considérée comme un pur fantasme, en plus de favoriser un élan de coopération internationale grâce à la conférence de Madrid.
Ce moment laissait également présager le meilleur, mais surtout le pire. Les représentants légitimes du peuple palestinien – l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – se sont grossièrement trompés en décidant de soutenir l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Le peuple a été mis à l'écart. Israël a été en mesure d’exiger une représentation alternative des Palestiniens qui ne jouait guère le rôle de leader auprès du peuple palestinien. Cette situation constitue un précédent inacceptable, non seulement moralement répréhensible mais empêchant aussi tout progrès. Cela signifiait qu’Israël, en tant que partie la plus puissante dans ce conflit, et avec le soutien de la communauté internationale, pouvait dicter qui devrait représenter les Palestiniens.
Avec tout le respect que je dois à ceux qui ont représenté les Palestiniens à la conférence de Madrid, il est évident que le pouvoir appartenait aux dirigeants tunisiens et à Yasser Arafat. Les premiers ont, au mieux, servi de pont pour les négociations des années suivantes avec la direction de l’OLP, qui représente l’ensemble de la communauté palestinienne dans les territoires occupés et la diaspora. Même vingt-huit ans après les accords d’Oslo selon lesquels Israël s’engage directement auprès de l’OLP, le besoin compulsif des dirigeants israéliens de décider qui est un partenaire de négociation – et encore plus obsessionnellement qui ne l’est pas – reste ancré dans la psyché israélienne.
«En 1991, ce rassemblement de quatre jours a normalisé les relations directes entre Israël et certains de ses ennemis jurés.» – Yossi Mekelberg
Au cours des réunions qui se sont tenues à Madrid, les moments les plus mémorables, en dehors de la dimension dramatique de l’événement lui-même, sont les insultes échangées entre les représentants israéliens et syriens. Néanmoins, dans les années qui ont suivi la conférence de Madrid, un accord de paix a été conclu avec la Jordanie, survivant également à de très grandes turbulences; les accords d’Oslo et les accords ultérieurs entre les Israéliens et les Palestiniens, au moins pendant une courte période, allaient dans le sens d’une solution à deux États, bien qu’ils aient ensuite déraillé. La Syrie et Israël ont évoqué une perspective de paix, parce que l’État hébreu était prêt, à un moment donné, à se retirer presque totalement des territoires occupés dans les hauteurs du Golan.
Pour diverses raisons qui ne sont pas imputables à la conférence de Madrid, la paix n’a pu être conclue avec la Syrie, le Liban ou, surtout, les Palestiniens. Cependant, de manière plus pertinente dans le cas de la Palestine, ce sommet d’il y a trente ans a démontré que, si la communauté internationale est déterminée et parle d’une seule voix, elle peut faire une différence inimaginable. La Palestine attend désespérément que l’Histoire se répète, avec cette fois un sentiment d’urgence accru.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com