La semaine dernière, Faisal J. Abbas réagissait à la décision des États-Unis de retirer des dispositifs antimissiles visant à protéger l’Arabie Saoudite de la menace iranienne qui attaque régulièrement le Royaume par le biais de ses alliés houthis au Yémen. Il faisait une très juste comparaison en indiquant que cette décision pouvait être comparable à un hypothétique désengagement des Américains du dispositif antimissile «Dôme de fer» déployé en Israël, qui laisserait son allié sans protection sous les roquettes du Hamas.
Cette décision de retirer les Patriots (système antimissile américain) est difficile à comprendre pour les observateurs extérieurs. Elle montre en tout cas que l’Amérique apparaît de moins en moins comme un partenaire fiable. L’abandon par les Américains de l’Afghanistan, mais aussi de la Syrie, de l’Irak et d’autres pays de la région en atteste suffisamment. Fort heureusement, comme le signalait le directeur de la rédaction d’Arab News, l’Arabie saoudite est en mesure d’assurer seule sa défense, toutefois, le message envoyé, notamment à l’Iran, mais aussi et surtout au reste du monde, est calamiteux.
Les leaders du Royaume avaient d’ailleurs anticipé un tel camouflet en inscrivant spécifiquement parmi les projets stratégiques de défense du pays le développement d’une industrie nationale de l’armement qui éviterait de dépendre trop d’un allié ou d’un partenaire qui pourrait se retirer brutalement et laisser le Royaume sans protection.
Les États-Unis ont très récemment pris une autre décision à l’encontre d’un de leurs alliés historiques les plus fidèles: la France. En promettant de fournir des sous-marins nucléaires (remettant en cause la non-prolifération) à l’Australie dans le cadre d’un nouvel accord de défense indopacifique, les Américains ont obtenu l’annulation un contrat de 50 milliards d’euros signés en 2016 entre l’Australie et l’entreprise française Naval Group.
La fiabilité du partenaire commun à la France et au royaume d’Arabie Saoudite s’en trouve donc singulièrement remise en question. Pendant longtemps, l’Arabie Saoudite a considéré la France comme un partenaire stratégique secondaire, privilégiant logiquement son alliance historique avec l’Amérique.
Cette double manœuvre devrait, ce serait souhaitable, faire réfléchir les dirigeants français et saoudiens et les pousser à reconsidérer leurs relations stratégiques. La France et le royaume d’Arabie saoudite ont des positions alignées sur l’Afghanistan, la Libye, l’Égypte, la Syrie ou encore le Liban. Par ailleurs, jamais la France ni l’Arabie saoudite n’ont lâché d’alliés ou de partenaires aussi brutalement.
Une conjonction semble donc se dessiner entre les deux pays, d’autant plus que le succès des réformes entreprises depuis cinq ans en Arabie saoudite est évidemment très commenté en France et contribue à améliorer l’image du pays. Le président de la république française et le prince héritier saoudien sont de jeunes leaders appartenant à la même génération et ils gagneraient à entamer un dialogue stratégique allant beaucoup plus en profondeur que ce qui a déjà été fait jusqu’à présent.
Toute crise génère des opportunités. Peut-être que cette double affaire est l’occasion de construire une région moins dépendante des États-Unis, désormais beaucoup plus concernés par la nouvelle guerre froide avec la Chine. La France dispose d’une solide industrie de défense et compte de nombreux intérêts communs avec les monarchies du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite. En ces temps où les décisions se prennent rapidement et où l’Histoire s’accélère, peut-être serait-il enfin temps de renforcer les liens entre les deux puissances, ce qui ne pourrait qu’amener encore davantage de stabilité dans le Golfe et donner un message fort à nos amis américains sur ce que représentent des engagements stratégiques.
Bien entendu, un tel rapprochement ne pourrait pas se faire en claquant des doigts, de nombreux contacts préalables apparaissent nécessaires, mais ce double affront doit nous faire réfléchir à la création d’un monde multipolaire qui puisse se montrer moins dépendant d’alliés à la fiabilité toute relative.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
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NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.