Y a-t-il un vote arabe en France, comme on pourrait parler d’un vote noir aux États-Unis ou d’un vote arabe en Israël? Assurément non. Et cela ne tient pas uniquement à la nature du système politique, pour lequel le communautarisme politique est un péché absolu, à l’inverse de ce qui se passe chez les Anglo-Saxons, où il s’agit d’une qualité dynamique de représentation.
Le vote arabe en France a longtemps été fantasmé, aussi bien par les gauches que par les droites. La gauche, quand elle disposait encore d’un ancrage ouvrier, voyait dans les Arabes de l’immigration et leurs enfants qui peuplaient les usines et les mines, un précieux réservoir de votes. Pour la droite, il s’agissait d’un terroir à conquérir.
Mais gauche comme droite ont éprouvé des difficultés à gérer, et à sensibiliser cet électorat. L’indifférence propre aux exclus, le défiance de la marge, le manque d’intérêt pour la chose politique ont longtemps été la particularité de ces électeurs. De nombreuses études ont démontré que dans certaines régions, le taux de participation était des plus bas.
En théorie, un vote arabe existe bien, mais il n’est pas compact. Il semble dispersé entre les différentes offres politiques. On le trouve présent aussi bien à l’extrême gauche, dans une sorte de fidélité à une tradition militante ouvrière, et avec une tendance presque naturelle à s’identifier aux thématiques de la périphérie en souffrance, qu’à l’extrême droite, où il marque une forme de remise en cause douloureuse, et de prise de conscience parfois aiguë. D’ailleurs, dans sa perception des enjeux, l’extrême droite a toujours tenté d’instrumentaliser les peurs et les angoisses que ce vote pourrait susciter dans une France en crise, qui se remet en question.
Et pourtant, ce fameux vote arabe n’a jamais réussi à se structurer pour devenir une mécanique d’influence. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. À gauche comme à droite, les tentatives se sont multipliées pour le capter, et l’organiser. En pleine effervescence politique des années 1990, des associations comme SOS racisme, issue des milieux de la gauche socialiste, ou France Plus, inspirée par la droite traditionnelle, ont été lancées pour tenter de l’accaparer… sans grand succès.
L’indifférence propre aux exclus, le défiance de la marge, le manque d’intérêt pour la chose politique ont longtemps été la particularité de ces électeurs.
Mustapha Tossa
Avec le temps, le vote arabe, déjà désorganisé, et donc politiquement inexistant, est devenu à la fois un épouvantail pour les uns, et une ambition à réaliser pour les autres. Le seul semblant de structuration s’est fait sur la base religieuse. Les associations d’obédience islamiste ont pullulé, non seulement pour tenter de participer à l’organisation du culte musulman, voulue par les pouvoirs publics, mais aussi pour tenter de former des lieux et des réseaux d’influence. Il est incontestable que ces associations ont eu à jouer un rôle parfois déterminant au niveau des élections locales et municipales, mais leur influence à l’échelle nationale reste à démontrer.
Ce fameux vote arabe fait l’objet, par les temps qui courent, d’énormément de suspicion politique. Dans le grinçant bras de fer qui oppose toujours Emmanuel Macron à Recep Tayyip Erdogan, le camp présidentiel a formellement accusé le président turc de vouloir mobiliser les leviers islamistes de France au profit des adversaires politiques du président. Ce à quoi les autorités turques ont opposé une dénégation si faible qu’elle confirme en réalité le projet.
Au cours de la récente rencontre entre Macron et Erdogan, la question de l’influence turque sur le processus électoral français a été, semble-t-il, longuement évoquée. C’est dire à quel point le président français craint cette instrumentalisation dont le président turc est manifestement conscient.
À défaut d’avoir trouvé des structures représentatives pour négocier le vote arabe, les partis politiques français se sont livrés ces dernières années à une compétition acharnée pour exhiber le plus de diversité possible dans leur liste de candidats. Cette course à la diversité est très variable et inégale. Il y a encore quelques années, il était rare de trouver des élus municipaux et des députés avec un nom à consonance arabe, ce qui aujourd’hui est plus fréquent et visible.
Les forces politiques au pouvoir ont également trouvé une autre astuce pour séduire ce segment de la population: la nomination aux postes visibles de ministres des personnalités issues de la diversité. Un plan de marketing politique pour s’attirer les grâces des uns et des autres.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24.
Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
Twitter : @tossamus
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.