L’islam et les musulmans en France sont un sujet politique récurrent qui devient bien entendu sensible à l’approche des élections, mais qui prend aussi souvent une dimension internationale, notamment lorsque l’on parle de l’islam de France dans les pays musulmans.
D’abord, en quoi l’islam en France est un sujet politique? On peut se le demander, surtout dans un pays dit «laïc», où la religion et l’État sont séparés. C’est encore plus étonnant quand on connaît la passé colonial de la France qui a accueilli de nombreux musulmans sans que cela ne pose de problèmes particuliers au cours du XXe siècle.
En fait, il faut remonter aux «grèves saintes» de 1982-1983 dans l’industrie automobile où des pratiques et revendications jusqu’à lors cantonnées aux ateliers arrivent sur le devant de la scène. Les revendications religieuses sont telles qu’elles apparaissent sur des tracts et des banderoles des syndicats de Citroën, Talbot, Renault et Peugeot. Il est demandé notamment des salles de prières ou encore un repos supplémentaire pendant la période de ramadan.
Ces grèves, qui mêlent revendications religieuses et ouvrières, furent interprétées par les pouvoirs publics comme des mouvements religieux orchestrés par des activistes. Les réactions médiatiques des ministres de l’époque sont assez révélatrices d’une forme de surenchère et d’une crispation autour de la question religieuse. Ainsi, Gaston Deferre le ministre de l’Intérieur et Pierre Mauroy le Premier ministre semblent à cette occasion découvrir qu’il y a des musulmans en France.
Parallèlement, à partir de 1981, de véritables émeutes urbaines – les premières de ce type – propulsent la situation des banlieues, dont la dimension religieuse est à l’époque considérée comme secondaire, sur l’agenda politique. Ces événements, a priori non liés à une problématique religieuse, mirent rapidement en évidence le rôle des religieux dans les quartiers, souvent appelés à la rescousse de façon indirecte par des municipalités débordées. L’interprétation des grèves de 1982-83 par les pouvoirs publics doit aussi se faire à l’aune de ces événements.
Ces émeutes sont l’une des raisons qui expliquent l’organisation de la très médiatique «marche des beurs» dite «marche pour l’égalité et contre le racisme» de 1983. L’interprétation de ces grèves, puis des émeutes et de leurs suites par les pouvoir publics, les médias et les partis politiques engendre une crispation autour de la question de l’immigration et de l’islam. Les partis de gauche se mettent ainsi à promouvoir le droit à la différence. Cette nouvelle grille de lecture est illustrée par la création de l’association SOS Racisme, mais également par le changement de ton notamment au Parti socialiste sur la question des minorités religieuses.
À droite, l’immigration et l’islam deviennent également des préoccupations, le Front national, jusqu’alors réduit à des résultats électoraux confidentiels, se saisit à cette époque du diptyque «insécurité/immigration» pour connaître ses premiers succès électoraux.
C’est à partir de ce moment précis, bien avant le débat sur le voile islamique, les caricatures ou les attentats terroristes que l’islam devient un problème politique en France. Mais finalement, que réclamaient les musulmans au début des années 1980?
C’est le sens du chapitre que je viens d’écrire dans un ouvrage collectif qui vient de paraître. Les musulmans de 1980 réclamaient le droit à l’indifférence, c’est-à-dire celui d’être des Français «normaux» sans que l’on leur mette une étiquette. La société française, et notamment la gauche de l’époque, a interprété ce message comme une expression d’un droit à la différence et ce fut l’erreur fondamentale qui a entraîné toute la suite du traitement de l’islam en France. En considérant, sans doute par bienveillance, les musulmans comme des français «différents», on a pointé le projecteur médiatique et politique durablement sur eux, freinant la démarche d’intégration, créant des communautés, multipliant les revendications religieuses alors et provoquant ce qu’Emmanuel Macron appelle le «séparatisme».
L’islam et les musulmans de France n’ont jamais demandé à être traités différemment mais au contraire à être comme les autres. C’est ce message initial qui n’a pas été compris et qui finit aussi par créer des tensions bien inutiles avec les pays musulmans partenaires de la France.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
TWITTER: @LacheretArnaud
NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.