Les attentats racistes qui ont lieu régulièrement en France et ailleurs soulèvent toujours la même indignation. Qu’il s’agisse des récents assassinats au couteau de policiers dans l’Hexagone par des islamistes radicalisés, ou de l’affaire de cet homme de 70 ans à Dôle, le 21 avril, qui a voulu passer un «bicot sous le capot de sa voiture», en fonçant sur Adil S. devant sa maison, on n’en peut plus de s’offusquer. À peine une tragédie s’efface de l’actualité qu’une autre la remplace aussitôt.
Le crime de London, au Canada, le 7 juin, traduit les ravages que peut provoquer l’islamophobie. Un terroriste a ôté la vie à quatre membres d’une famille musulmane d’origine pakistanaise, en fonçant sur elle avec son pick-up alors qu’elle était en promenade. Trois générations des Afzaal sont mortes: une grand-mère de 74 ans, un couple de 46 et 44 ans – universitaire et kinésithérapeute –, et leur fille de 15 ans. Un garçon de 9 ans a été hospitalisé dans un état grave, et l’on peut se demander quelle sera sa vie après ce drame odieux. En effet, les cinq victimes étaient vêtues de leur tenue traditionnelle pakistanaise, ce qui a suffi au meurtrier pour les identifier comme «musulmans» (alors qu’ils auraient pu être Hindous ou Sikhs, ces Américains souvent pris à partie depuis le 11-Septembre, car confondus avec des musulmans, en raison de leur turban et de leur barbe), et pour le décider à les tuer.
Le jeune homme de 20 ans, Nathaniel Veltman, avait prémédité et planifié son acte. Sa seule motivation: sa haine des musulmans. Abyssale. Incontrôlable. Incurable. Le Premier ministre a rappelé que plusieurs attaques contre la communauté musulmane avaient été perpétrées au Canada, depuis la fusillade de la mosquée de Québec, où six fidèles étaient morts en 2017, l’une des pires attaques du genre dans un pays occidental, avant celle de Christchurch, en Nouvelle-Zélande en 2019, qui avait fait 51 morts et 50 blessés.
Le Premier ministre a rappelé que plusieurs attaques contre la communauté musulmane avaient été perpétrées au Canada, depuis la fusillade de la mosquée de Québec.
Azouz Begag
Il a confirmé que les Afzaal avaient été visés en raison de leur foi musulmane, dans ce pays pourtant longtemps réputé pour sa tolérance et son accueil de la diversité. Il est clair qu’aujourd’hui il ne fait pas bon être musulman au Canada. En tout cas, désormais la prudence sera de mise dans la vie quotidienne des membres de cette communauté. Le plus grave est que ce genre de séquelles marque des générations entières de migrants ou d’enfants de migrants, en proie à la haine dans leur pays d’accueil.
En parcourant la presse à propos de cette attaque, on constate que l’islamophobie s’est en fait largement répandue dans l’ensemble du Canada depuis quelques années. Au Québec francophone, elle est alimentée par les nationalistes xénophobes et les «laïcards», au nom de l’égalité des sexes, tandis que dans le Canada anglophone, les suprémacistes blancs la propagent. On ne peut que plaindre cette communauté prise en sandwich, entre francophones et anglophones, qui n’est plus en sécurité dans ce grand pays démocratique, et naguère hospitalier.
Par ailleurs, il faut se rappeler qu’avant de passer à l’acte l’auteur de la tuerie de 2017 dans la mosquée de Québec avait nourri sa haine islamophobe, en s’instruisant du décret de Donald Trump bloquant l’entrée aux États-Unis de ressortissants de sept pays musulmans, («muslim ban»), effectué des recherches sur des figures de l’extrême droite… Cela pour souligner à quel point la propagande et les discours politiques à l’encontre d’une communauté minoritaire fabriquent un environnement toxique qui peut faire basculer le cerveau d’un individu anonyme, au point de le faire passer à l’acte.
La propagande et les discours politiques à l’encontre d’une communauté minoritaire fabriquent un environnement toxique qui peut faire basculer le cerveau d’un individu anonyme, au point de le faire passer à l’acte.
Azouz Begag
Sur ce sujet, on sait combien les juifs ont souffert de l’image que les Nazis leur avaient forgée. Aujourd’hui, les musulmans sont les cibles de ce type d’escalade mortifère. En France, depuis des décennies, les thèmes de la sécurité et de l’identité nationale ont été progressivement échafaudés sur leur dos, jusqu’à générer des attaques récurrentes contre les mosquées, mais ils ont surtout libéré la parole et les appels au meurtre.
Rappelons ici le cas du président du Yatching Club de la Pointe Rouge, à Marseille, qui avait fait grand bruit en mai dernier, quand, en pleine réunion, il avait lancé: «Je ne suis pas raciste, mais maintenant y en a marre des Arabes. Tu peux plus rien faire sans qu’un Arabe vienne te faire chier… en plus, que des melons. Pas un blond, un Blanc, un mec qui est bien, non, que des Arabes». Avec un épilogue glaçant: «Le jour où il faudra s’armer, je serai le premier à aller faire de la ratonnade». Des propos abjects enregistrés par un journaliste. À
London, le jeune Nathaniel Veltman était dans le même état d’esprit, en lançant son pick-up sur la famille musulmane. Il voulait tuer, éliminer, exterminer des gens qu’il haïssait profondément à cause de leur image.
On voit qu’à force d’être encouragés par une idéologie raciste omniprésente dans leur vie, des individus se transforment en assassins, ruinent leur propre vie en même temps que celles de leurs victimes. L’image fabriquée des musulmans aboutit fatalement à ce type de désastre humain. En 1965, le leader afro-américain, Malcolm X, décryptait le mode de création de l’image des Noirs par les Blancs en ces termes: «Quoi qu’ils fassent (les racistes blancs), il leur faut toujours l’appui de l’opinion publique blanche… ils manipulent la presse. Quand il s’agit d’étouffer ou d’opprimer la communauté noire, que font-ils? Grâce aux journaux, ils livrent en pâture à l’opinion une série de statistiques. L’opinion apprendra ainsi que le taux de criminalité est plus élevé dans la communauté noire que partout ailleurs.
On se demande comment pourra être enrayée l’escalade de la haine antimusulmane dans de nombreux pays, au vu de la progression du racisme d’extrême droite, des stéréotypes, de l’ignorance, des amalgames.
Azouz Begag
Avec pour résultat? Ce message… Il est très habile de faire croire aux Blancs non racistes que le taux de criminalité dans la communauté noire est aussi élevé. Ils collent sur le dos de la communauté noire une étiquette de criminelle. Le seul fait d’appartenir à la communauté noire fait de vous un criminel… Cela s’appelle du savoir-faire. Autrement dit, ils parviennent au moyen d’un procédé qui est une science à “créer une imageʺ et cette image de vous vous paralyse. Elle vous fait honte de ce que vous êtes, tellement elle est mauvaise. Certains d’entre nous, qui ont assimilé, qui ont intégré, qui ont absorbé cette image négative, finissent par ne plus pouvoir supporter la vie dans la communauté noire. Ils ne supportent même plus la compagnie des noirs […].»
L’analyse du leader afro-américain, assassiné peu après, est toujours pertinente de nos jours. Haïr les musulmans, les juifs, les Noirs… repose toujours sur une image qu’on se fait d’eux, ces «autres», d’ailleurs souvent associée à des rats (racoons, ratons… qui incarnent la perfidie, la destruction, la prolifération, la maladie…). Et cette image est une fabrication sociale et politique. Réagissant à l’attaque de London, le Premier ministre canadien a déclaré qu’il faudra «que cela cesse».
C’est un vœu pieux, car on se demande comment pourra être enrayée l’escalade de la haine antimusulmane dans de nombreux pays, au vu de la progression du racisme d’extrême droite, des stéréotypes, de l’ignorance, des amalgames.
Pour cesser d’être les boucs émissaires du système politique français, pour combattre l’islamophobie, les musulmans devraient peut-être penser à s’organiser afin de peser lors de chaque échéance électorale.
Azouz Begag
En France, par exemple, qui va empêcher Éric Zemmour, aujourd’hui candidat potentiel à l’élection présidentielle, et condamné à trois reprises, en 2011, 2018 et 2021 pour provocation à la haine raciale envers les musulmans, de distiller son venin quotidien sur l’islam, devant un million de téléspectateurs sur CNews. Qui? Personne, pas même la justice.
La haine, la peur et les boucs émissaires musulmans sont de bons combustibles en politique. Clairement, le parti de Marine Le Pen a imposé à la majorité ses thèmes de l’immigration, de la sécurité, de la lutte contre l’islam radical et de la préférence nationale, et on peut parier que les actes islamophobes vont s’accroître d’ici à la prochaine élection présidentielle.
D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon s’est retrouvé récemment dans la tourmente en liant terrorisme et élection présidentielle», des propos jugés «indécents» et «complotistes» par une large partie de la classe politique. En effet, il déclarait le 6 juin (à la veille de la tuerie de London) au micro de France Inter: «Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Ça a été Merah en 2012 (le tueur de Toulouse et de Montauban), ça a été l'attentat sur les Champs-Élysées en juillet 2017 (un islamiste assassinait un policier)... Tout ça, c'est écrit d'avance». Clairement, le chef de la France Insoumise redoutait qu'un «grave incident ou un meurtre» soit déjà planifié pour la dernière ligne droite de la campagne de 2022, dans le but de «montrer du doigt les musulmans».
On voudrait que l’histoire le contredise. Il n’empêche que pour cesser d’être les boucs émissaires du système politique français, pour combattre l’islamophobie, les musulmans devraient peut-être penser à s’organiser afin de peser lors de chaque échéance électorale. Tout un programme!
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.