Les défis grandissants révèlent les limites de l'action de l’ONU

Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres (à gauche), s'entretient avec Abdallah Shahid, président élu de la 76e session de l'Assemblée générale des nations unies, le 14 septembre dernier, au siège de de l'organisation. (Photo ONU via AP)
Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres (à gauche), s'entretient avec Abdallah Shahid, président élu de la 76e session de l'Assemblée générale des nations unies, le 14 septembre dernier, au siège de de l'organisation. (Photo ONU via AP)
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Publié le Mercredi 22 septembre 2021

Les défis grandissants révèlent les limites de l'action de l’ONU

Les défis grandissants révèlent les limites de l'action de l’ONU
  • Pour guider le monde à travers la crise actuelle et suggérer des solutions globales aux défis mondiaux, les Nations unies doivent renoncer aux modèles réactionnaires qui ont jusque-là guidé leurs actions
  • Les délégués participant à l'Assemblée générale doivent relever un défi: ne pas se contenter d'écarter le scénario apocalyptique décrit dans le rapport du secrétaire général

Les dirigeants de la planète se réunissent dans le cadre de l'Assemblée générale annuelle des Nations unies. Cette année, l'organisation est apparue plutôt en marge des crises et des conflits internationaux. En dépit de ses imperfections, les Nations unies conservent des capacités et des outils uniques pour répondre aux crises et restent la seule instance de médiation dans des conflits qui perdurent depuis de nombreuses générations.

Il est évident que les discussions portent, cette année, sur le renforcement de la lutte contre le changement climatique, sur la Covid-19, sur les problèmes liés aux droits de l'homme qui prennent de l'ampleur ainsi que sur les crises humanitaires qui sévissent un peu partout dans le monde. Cependant, les Nations unies l'ont dit elles-mêmes: le monde est loin de régler les problèmes existants, et encore plus loin de progresser de manière substantielle vers des objectifs de développement durable.

Pour guider le monde à travers la crise actuelle et suggérer des solutions globales aux défis mondiaux, les Nations unies doivent renoncer aux modèles réactionnaires qui ont jusque-là guidé leurs actions. Prévenir la guerre, favoriser le développement économique et social et promouvoir le respect des droits de l'homme sont certes des objectifs précieux, quoique difficiles à atteindre. Toutefois, il ne suffit plus de surveiller les points chauds en se concentrant sur les moyens de prévenir les répercussions indésirables, d'agir à la dernière minute en utilisant des ressources insuffisantes ni de répartir l'aide au développement. Bien au contraire, ce sont des actions audacieuses et préventives qui s'imposent.

Quelle ironie de constater que l'auteur et le gardien des objectifs de développement durable reste paralysé par un mode de fonctionnement non viable. Depuis la création de l'ONU, le nombre de ses membres a augmenté. L’organisation regroupe aujourd'hui tous les pays de la planète et ses responsabilités se sont élargies en raison des menaces communes que sont le VIH et le sida, l'inégalité des sexes, le changement climatique et le terrorisme. Au fil des ans, de nouveaux programmes et des financements supplémentaires ont engendré une mosaïque d'agences spécialisées et vaguement reliées entre elles. Et ce sont les Nations unies qui en constituent le noyau: une organisation complexe adaptée à un monde de plus en plus compliqué.

Malheureusement, si l’on examine les défis croissants en tentant d’établir un diagnostic de la situation, on s'aperçoit que ces derniers ont mis à rude épreuve l'efficacité de l'ONU dans la gestion des crises, qui se heurte à de graves restrictions et à d’importants obstacles. De l'Éthiopie à la Palestine, de la Libye à la Birmanie, les Nations unies ont préféré, à tort, échapper aux risques et elles ont choisi la passivité en raison des divisions persistantes au sein du Conseil de sécurité. Ainsi, le seul organe autorisé à limiter les conflits violents s'est vu confier le soin de gérer leurs retombées au lieu de prendre des mesures décisives pour combattre leurs causes.

 

Les délégués qui participeront à l'Assemblée générale devront relever un défi: ne pas se contenter d'écarter le scénario apocalyptique décrit dans le rapport du secrétaire général, António Guterres, dans lequel il a énoncé sa vision de l'avenir de la coopération internationale. Dans ce rapport, le monde se trouve confronté à deux avenirs profondément opposés.

 

Une année s’est écoulée depuis que l’organisation a lancé sa «Décennie d'action»; la communauté internationale demeure pourtant peu encline au changement, bien que l'on s'aperçoive – de plus en plus clairement – que le manque de coopération risque d'entraîner des ravages irréversibles. Il faut espérer que la prochaine session de l'Assemblée générale changera de ton. Sinon, le monde pourrait vivre une nouvelle année de passivité.

Hafed al-Ghwell

 

Dans le premier scénario, la Covid-19 continuera de muter et les nations les plus riches refuseront de partager leurs surplus de vaccins; cette tendance entraînera des flambées d'infections qui ruineront une grande partie des systèmes de santé fragilisés des pays en développement. Dans le même temps, en raison de l'inaction dans la lutte contre le changement climatique, les températures continueront d'augmenter et certaines régions de notre planète deviendront inhabitables. L'insécurité hydrique et alimentaire, les pertes de biodiversité sans précédent, les sécheresses généralisées et les phénomènes météorologiques extrêmes déclencheront alors des conflits et forceront des dizaines de millions de personnes à émigrer.

En contrepartie, les migrants qui afflueront aux frontières des pays encore habitables provoqueront à l'intérieur de ces États des perturbations et des remous politiques, car les citoyens protesteront et envahiront les rues par crainte de se trouver sans emploi ou sans revenu si leur gouvernement envisage d’accueillir les réfugiés. Les protestations massives qui s'ensuivront seront alors réprimées par la violence et les droits de l'homme seront violés, ce qui attisera davantage la haine de la population et aboutira en fin de compte à un conflit généralisé qui poussera l'humanité au bord de l'effondrement total.

L'avenir alternatif repose sur un programme plus audacieux, qui prévoit un partage équitable des vaccins et une aide plus importante pour relancer les économies des pays en développement que la pandémie a ravagées. Cette coopération multilatérale plus poussée a pour objectif de favoriser une relance durable et inclusive, mais aussi d'éliminer les émissions de carbone dans les différents pays pour atteindre les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique. Ainsi, les Nations unies apparaissent comme la seule plate-forme de collaboration d’un monde désormais conscient des risques liés aux menaces incontrôlées et incontrôlables que représente la Covid-19.

Certes, les agences onusiennes se sont mobilisées pour affronter les débâcles humanitaires dans les régions instables du monde et elles ont veillé à préserver les circuits d'acheminement de l'aide en faveur des personnes vulnérables. Par ailleurs, les responsables des Nations unies ont constamment tiré parti des hauts et des bas des différents conflits afin d’accélérer la consolidation de la paix ou les initiatives qui avaient pour but de dissiper les vieilles tensions; ils ont en effet enregistré des avancées remarquables en Libye, en Haïti et à Chypre. Grâce à ces interventions exceptionnelles, les Nations unies maintiennent et déploient leurs compétences uniques en termes de résolution de problèmes sur le long terme. Cependant, les pays membres continuent de remettre en question la pertinence de l'organisation en dépit du fait qu’ils essuient de nombreux échecs dans leur tentative de résolution des problèmes mondiaux.

Toutefois, la route qui mène à cette percée semble plus ardue que jamais. Le Conseil de sécurité est en passe de perdre sa pertinence. Le brusque virage de l’engagement des États-Unis de Biden n'a fait que renforcer le rôle civil du Conseil de sécurité au lieu d’affermir son efficacité. Ce dernier s'est transformé en une arène dans laquelle les rivaux géopolitiques équilibrent leurs intérêts alors qu'il devrait prendre des mesures décisives pour relever les défis mondiaux.

En raison du manque de cohérence entre les membres permanents, la collaboration relative aux actions concrètes cède souvent la place à des débats futiles qui portent sur les modalités des aides humanitaires. Aujourd'hui, les autres États membres des Nations unies préfèrent, pour la plupart, que le Conseil de sécurité s'éloigne de leur territoire ou qu'il ne se mêle pas de leurs affaires intérieures. Ainsi, le Conseil de sécurité aura de plus en plus de mal à trouver un terrain d'entente pour endiguer ou anticiper les crises.

Étant donné ces contraintes, le secrétaire général et les États membres des Nations unies ont décidé de se concentrer sur les répercussions humanitaires et de mener un engagement discret. Même dans son rapport intitulé «Notre programme commun», le secrétaire général n’a pas évoqué la sécurité dans le monde ni la paix durable. Il s’est plutôt penché sur des menaces inhabituelles telles que l'égalité des sexes, la diffusion de fausses informations et la question de la sécurité sociale pour les personnes vulnérables. En effet, si l’on souhaite prendre des mesures plus courageuses, il convient de se lancer dans des paris politiques plus audacieux, qui risquent d'être rejetés ou mis à mal par les rivalités interminables qui règnent au sein du Conseil de sécurité. M. Guterres a souvent préféré confier à d'autres parties prenantes le soin de piloter les efforts de médiation, à l’instar de l'Union africaine ou de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est.

Il serait prématuré d’affirmer que, pour réaliser plus rapidement les objectifs des Nations unies de 2030, il suffit de souligner à nouveau l'importance de la coopération mondiale. Cependant, une année s’est écoulée depuis que l’organisation a lancé sa «Décennie d'action»; la communauté internationale demeure pourtant peu encline au changement, bien que l'on s'aperçoive – de plus en plus clairement – que le manque de coopération risque d'entraîner des ravages irréversibles. Il faut espérer que la prochaine session de l'Assemblée générale changera de ton. Sinon, le monde pourrait vivre une nouvelle année de passivité.

 

Hafed al-Ghwell est chercheur principal au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies.

Twitter : @HafedAlGhwell

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com