Peut-on comparer l’intégration des femmes arabes du Golfe et celle de la deuxième génération des immigrées françaises?

 En Arabie saoudite, les réformes prises depuis dix ans et leur accélération ces quatre dernières années ont donné des arguments décisifs aux jeunes femmes qui souhaitaient convaincre des familles hésitantes. (Photo, AFP)
En Arabie saoudite, les réformes prises depuis dix ans et leur accélération ces quatre dernières années ont donné des arguments décisifs aux jeunes femmes qui souhaitaient convaincre des familles hésitantes. (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 02 septembre 2021

Peut-on comparer l’intégration des femmes arabes du Golfe et celle de la deuxième génération des immigrées françaises?

Peut-on comparer l’intégration des femmes arabes du Golfe et celle de la deuxième génération des immigrées françaises?
  • J’ai voulu comparer les parcours des femmes françaises de la deuxième génération qui sont devenues managers et ceux des femmes du Golfe qui, elles aussi, ont acquis des responsabilités professionnelles
  • La différence essentielle entre ces femmes porte sur la situation sociale de leurs parents et, bien entendu, sur le contexte dans lequel elles ont grandi

Cela fait plusieurs années que je travaille sur la notion d’intégration. Ce terme est d’ailleurs assez improprement employé, puisqu’il n’a souvent aucun rapport avec l’origine ou l’ethnie de la personne qui s’intègre dans une société. En fait, le mot est utilisé pour évoquer le cas d’un individu qui «s’adapte mal» à la société, indépendamment de son origine ethnique ou nationale. Ce processus d’adaptation est parfois bloqué par la société qui est censée l’accueillir pour des raisons culturelles ou légales, entre autres. Parfois, l’adaptation est rendue difficile dans la mesure où l’entourage de l’individu tend à freiner cette intégration. Souvent, les deux facteurs se superposent.

C’était l’objet de mon livre, La femme est l’avenir du Golfe, publié en novembre 2020, dans lequel, après une étude sociologique qui impliquait notamment des femmes cadres d’Arabie saoudite, je montrais comment ces dernières parvenaient à trouver des stratégies pour convaincre leur entourage de les laisser profiter des réformes du marché du travail. Une fois qu’elles étaient intégrées dans l’entreprise, leur entourage devenait fier d’elles et les valeurs familiales, parfois conservatrices, s’adoucissaient. Souvent, les parents hésitants devenaient eux-mêmes des promoteurs des réformes, poussant leurs autres filles à en profiter.

La France, par son passé colonial, a accueilli dans les années 1960 et 1970 de nombreux immigrés d’Afrique du Nord. À l’origine, cette migration concernait surtout des hommes, employés dans l’industrie, les travaux publics ou l’agriculture, plutôt peu qualifiés. Il n’était d’ailleurs pas prévu qu’ils s’installent définitivement. L’ouverture au regroupement familial a fait changer cette problématique puisque ces hommes ont fait venir leurs épouses et ont eu des enfants, qui sont devenus français. C’est à ce moment-là que l’intégration est devenue une question politique en France.

J’ai voulu comparer les parcours des femmes françaises de la deuxième génération qui sont devenues managers et ceux des femmes du Golfe qui, elles aussi, ont acquis des responsabilités professionnelles. Dans les deux cas, il y a eu une démarche d’intégration, avec des blocages et des négociations. Les deux échantillons ont sensiblement le même âge, la même situation professionnelle et la même religion. La différence essentielle entre ces femmes porte sur la situation sociale de leurs parents (les Françaises sont d’origine très pauvres) et, bien entendu, sur le contexte dans lequel elles ont grandi (l’Arabie saoudite n’est pas la France).

 

Là où les femmes du Golfe affirment souvent que le conservatisme de leur milieu a été l’obstacle le plus difficile à contourner, les Françaises indiquent que les traditions nord-africaines ont pu constituer un obstacle dans la mesure où la femme y a souvent moins de libertés que l’homme

Malgré ces disparités, les processus d’intégration sont assez semblables: là où les femmes du Golfe affirment souvent que le conservatisme de leur milieu a été l’obstacle le plus difficile à contourner, les Françaises indiquent que les traditions nord-africaines ont pu constituer un obstacle dans la mesure où la femme y a souvent moins de libertés que l’homme. Dans les deux cas, il a fallu un processus de négociation qui a fini par faire évoluer les valeurs traditionnelles et par changer en partie la vision des parents et de l’entourage. Bien entendu, il subsiste des différences entre les deux échantillons, mais il est fascinant de constater que ces femmes ont souvent connu un parcours assez proche.

Ce parallèle dans le processus d’intégration de femmes dans la société montre plusieurs choses.

D’abord, et c’est important, c’est que la démarche d’intégration doit passer par un changement impulsé par le haut. En Arabie saoudite, par exemple, les réformes prises depuis dix ans et leur accélération ces quatre dernières années ont donné des arguments décisifs aux jeunes femmes qui souhaitaient convaincre des familles hésitantes. C’est d’ailleurs souvent ce qui revient dans les propos des Saoudiens lorsqu’ils parlent notamment du prince héritier: ils disent souvent que ce dernier «donne l’exemple» et qu’il ne fait plus de distinction entre les Saoudiens. Cela crée forcément un effet psychologique qui permet une ouverture de la société tout entière et entraîne une intégration des femmes qui devient de plus en plus visible.

En France, la deuxième génération a pu bénéficier de certaines réformes prises par le gouvernement mais, d’après les propos recueillis, c’est surtout l’idée selon laquelle faire des études permettrait de s’en sortir et de s’intégrer qui a convaincu leurs familles.

Or, on constate à travers les témoignages des femmes interrogées que cette intégration est un peu «en panne» et que leurs propres enfants, parfois, ne se sentent pas vraiment «français».

La différence essentielle entre nos deux pays repose précisément sur la question de dynamisme. Comme je le dis souvent, il faut regarder l’évolution dynamique des valeurs plutôt que d’observer des images qui ne bougent pas. Il est clair que l’idée selon laquelle faire des études peut permettre de s’intégrer et que chacun possède des chances égales est de moins en moins partagée par la jeunesse en France, là où l’élan de toute une partie de la jeunesse du Golfe veut croire le contraire.

Dans le cas du Golfe, il va falloir maintenir cette dynamique et, dans celui de la France, la recréer. Le président Emmanuel Macron parlait de «réenchanter le rêve français»; il gagnerait à observer ce qui semble fonctionner dans le Golfe afin de recréer cet indispensable élan.

 

 

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.